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29 mars 2019

La trahison des clercs version 2019


S'il fallait une preuve supplémentaire de l'aveuglement complet de notre intelligentsia face à la montée des influences religieuses, il suffit de lire les forums de profs de philo en réaction à une mouture (encore non officielle, fuitée) du futur nouveau programme pour les classes de Terminale.
On trouve notamment dans ce programme une nouvelle notion, intitulée "l'idée de Dieu", en plus de la notion déjà obligatoire de "la religion".
On pourrait à juste titre, si cela était confirmée, s'émouvoir de l'importance redoublée donnée au fait religieux qui serait donc à la fois abordé dans sa dimension culturelle et dans sa dimension métaphysique. On pourrait légitimement, me semble-t-il, y voir une tentative de donner au fait religieux encore plus d'importance qu'il n'en a dans la réflexion philosophique. On pourrait dénoncer une intrusion d'une forme de "théologie" qui constituerait une formidable régression par rapport à l'histoire de la philosophie post moyen-ageuse...
On pourrait imaginer que les profs de philo, et d'abord ceux de l'enseignement "public", défendent à tout prix la valeur essentielle de la "laïcité", en tant que nécessité sociale et en tant que valeur républicaine. Et bien que croyez-vous qu'il arriva ?
Par le genre de subitil renversement des valeurs dont ils ont l'habitude, les voilà qui vont déceler derrière ce programme qui fait la part belle à la religion l'influence en haut lieu des..."laïcistes" ! Je cite une prof de philo : "Que reste-t-il pour asseoir l'importance de cette question ? (...) Une hypothèse vraisemblable serait le retour d'un laïcisme, non pas anti-clérical, mais plus probablement anti-islamisme dans le bon ton du renversement récurrent ces dernières années de la laïcité en argument répressif contre une population racisée".
Oui, vous avez bien lu. C'est la faute aux "laïcistes" (encore un terme péjoré en "iste") ! La courageuse contributrice à ce forum philo aura probablement voulu dire les "islamophobes", mais elle a préféré l'élégance rhétorique de la périphrase "contre une population racisée".
Dingue non ? Les coupables, les dangereux activistes, les fomenteurs de complots, ce seraient donc les "laïcistes" ! Ils ont probablement une grande influence dans la société , imposent peu à peu leur culture laïque, occupent l'espace public, s'affichent ostensiblement, réclament des aménagements et des accomodements... Et tous racistes, en plus !
A vrai dire je ne suis pas surpris, hélas. Les profs de philo racontent tous l'allégorie de la caverne mais beaucoup jouent aux penseurs devant un théâtre d'ombres qui les rassure. Dehors, pendant ce temps, l'avenir se construit dans l'aveuglante lumière de la réalité... sans eux.
En attendant je souhaite bon courage à mes collègues qui enseigneront "l'idée de Dieu" dans des bahuts où il n'est déjà pas toujours simple d'enseigner Darwin ou la Shoah... Je doute qu'ils soient beaucoup perturbés par les grands méchants "laïcistes". Mais ça, ils ne le diront pas, préférant toujours une idéologie qui rassure à une vérité qui dérange. C'est leur droit. Cela s'appelle le confort intellectuel. Ou pour le le dire autrement : la trahison de la philosophie.
Yves Gerbal
"La trahison des clercs" est le titre d'un célèbre ouvrage de Julien Benda, paru en 1923, où il dénonce l'engagement idéologique de certains intellectuels qui leur fait oublier leur quête de vérité et de raison..

15 janvier 2019

Sérotonine

La lecture d’un roman de Michel Houellebecq est toujours une expérience particulière.
On n’en sort jamais indemne. Après avoir lu "Sérotonine"(paru il y a quelques jours à peine) le choc n’est tout de même pas le même qu’en 1998 quand je venais de terminer "Les particules élémentaires". Mais tout de même. Si la qualité d’une œuvre est de nous bousculer, de laisser une empreinte durable, alors incontestablement les livres de Houellebecq ont de la valeur. Kafka disait qu’un livre doit être « la hache qui brise la mer gelée en nous ». Houellebecq, pourtant chétif et malingre, manie cette hache des mots avec une force telle qu’il brise en effet la mer gelée des tabous de tous ordres et nous place devant une réalité brute toujours un peu déstabilisante.
Alors faut-il être maso pour lire Houellebecq et ses histoires de dé-bandade du mâle mature blanc occidental et de con-sternation de la femelle de même espèce ? On pourra au moins éviter d’en conseiller la lecture aux adolescents… Mais les quadra et plus, eux, pourront y trouver un miroir qui nous renvoie une image que l’on jugera plus ou moins fidèle ou déformée en fonction de notre état d’esprit du moment. Ou en fonction de notre honnêteté. Pas facile à encaisser, c’est sûr. Houellebecq est avant tout lucide, voire extra-lucide. Cette lucidité, écrivait René Char, est « la blessure la plus rapprochée du soleil ». Voilà pourquoi certains y verront surtout une douleur, et d’autres le moyen de s’approcher de la vérité.

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Le lambeau

Dernier jour de l’année. Je viens de terminer la lecture du livre de Philippe Lançon : Le lambeau. En larmes. Pour de vrai. Ce livre (prix Fémina et prix spécial du jury Renaudot) est bien à la hauteur de tout ce qu’on en a dit. C’est une incroyable construction littéraire qui raconte l’histoire d’une reconstruction. Philippe Lançon est l’un des « rescapés » de l’attentat de Charlie Hebdo (7 janvier 2015). Il ne fait, dans ces 500 pages, « que » raconter le jour de l’attentat et les mois qui suivirent à essayer de reconstituer chirurgicalement son visage défiguré. Ce n’est donc « que » l’histoire d’un corps, narrée dans la détail de chaque opération et de tout une existence désormais réduite à l’espace d’un l’hôpital et à quelques rares sorties et de nombreuses visites sous protection policière. Dit comme ça, évidemment, ce n’est pas très vendeur. Amateurs de romanesque, passez votre chemin. Ce n’est « que » l’histoire d’un homme mutilé, ravagé, qui trouve en grande partie consolation dans les livres, la musique, la peinture, dont il est un chroniqueur professionnel mais reste un amateur enthousiaste. Ce n’est « que » cela, oui, mais c’est de la littérature. Et c’est ce qui fait toute la différence. A l’heure où tant de livres inutiles encombrent les rayons des librairies, ces espèces de commerce en voie de disparition, il est rassurant de constater que l’on peut encore trouver des livres d’une telle qualité, d’une telle intensité, d’une telle maîtrise dans la construction et le style, d’un tel équilibre entre l’émotion et la réflexion, entre l’histoire individuelle et son élargissement à tous. Car évidemment personne d’autre n’aurait pu écrire ce livre. Et Philippe Lançon non plus sans cet « accident » de la vie. Mais la transmutation littéraire de cette expérience tragique est tout bonnement miraculeuse.

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10 octobre 2018

Pour un populisme de gauche ?

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 La gauche se demande parfois pourquoi elle n'a plus les faveurs du vote populaire. C'est pourtant assez simple. Depuis les  années 80 le mitterrandisme a donné naissance à cette partie de la gauche qu'on a d'abord appelé gauche caviar (figure tutélaire : Jack Lang), et  qu'on appellerait  plutôt aujourd'hui gauche bio (exemples nombreux dans les salles de profs) ou gauche bobo (exemples de figures tutélaires :  Charlotte Gainsbourg, Charles Berling)  C'est une gauche cultivée, essentiellement citadine, bien sous tous rapports. A cette gauche, il a donc toujours fallu une cause forte, à la hauteur de son niveau socio culturel et de sa légitime ambition militante.
Dans les années 80 il était tout de même un peu difficile de se prétendre ouvertement  trotskiste (on gardait ça comme laisser-passer interne au parti socialiste) ou de soutenir encore la cause maoiste comme on pouvait romantiquement le faire en 68, sans peur du ridicule ni de honte à  prendre pour modèles quelques uns des régimes les plus meurtriers du siècle. Certes la génération précédente de cette intellingentsia n'avait pas hésité  à afficher son soutien à Staline avant de se raviser un peu tard, sans véritable mea culpa. On connaît bien sûr par exemple les incroyables errances de Sartre, faisant jouer ses pièces devant les nazis puis ostracisant Camus au nom d'une theorie marxiste que l'URSS démentait dans les faits depuis des décennies... Et c'est lui, le même "Pape" de cette gauche en manque de gourous, qui fondera Libération, la Bible des mitterrandiens et de cette génération qui inventait le boboisme politique (faites ce que je dis, pas ce que je fais). On se doute bien qu'avec de telles figures de proue, cette gauche là ne pouvait se satisfaire de causes trop communes, donc trop...populaires. Le populaire, c'est tout ce qu'ils exécraient ! Sauf quand Andy Warhol (en posters sur leurs murs) faisait du "pop art"... Bref, c'est de l'histoire ancienne. Passons.
Après la victoire de Mitterrand, cette  gauche de baby-boomers, omniprésente dans les milieux intellectuels et médiatiques, habile à parler à tout propos et à user de l'argument d'autorité, avait donc besoin d'une cause (exit le mur de Berlin, by by le communisme)  pour asseoir ses certitudes idéologiques et assurer son confort moral. Cette cause, justement, aurait pu être  "la cause du peuple" ( nom du célèbre journal de la gauche "prolétarienne" de mai 68 à 70, Mao, faucille et marteau), Mais non. A cette gauche là il fallait quelque chose de plus original. Le "peuple" ne lui suffisait plus. Peut être parce que ces "gauchistes"  là venaient des beaux quartiers. Le peuple ? De loin, à la rigueur. Mais de près : bof...  Trop "beauf" justement ( Cabu venait  d'inventer le personnage dans Charlie Hebdo),  Trop blanc, trop conformiste, trop frustre, trop réactionnaire. Pas très fun, ce peuple. Pas très glamour, à un moment où la cour mitterrandienne faisait briller par ailleurs les artistes, chanteurs, créateurs en tous genres. Vous imaginez Buren défendre un peuple qui se moquait de ses colonnes du Palais Royal ?
La "génération Mitterrand", qui était aussi d'ailleurs la génération NRJ (fleuron des nouvelles "radios libres"), s'est donc entichée de l'immigré (ou plutôt de la "figure" de l'immigré) en le parant du costume de double victime, par le passé colonial de son pays d'origine et par le racisme présent des français (les fameux "beaufs"). Cette génération décidément très en verve créative a imaginé  un slogan digne d'une cour de récré ou d'une chanson d'Alain Souchon ("tar ta gueule") : le célèbre "Touche pas à mon pote" (et la petite main jaune qui allait avec). Cette géniale trouvaille lexicale était digne d'un rédacteur concepteur dans la pub. N'oublions  pas que le très mondain Jacques Seguéla, fils de pub, avait  grandement contribué à l'élection de François M. grâce à son slogan  "force tranquille" et à l'image d'un petit village français...avec un clocher ! (Je  ne sais pas si Seguéla s'était déjà offert une Rolex avec l'argent du PS... Mais je suis sûr qu'aujourd'hui on ne verrait plus le clocher sur une affiche du PS !).  Mais "Touche pas à mon pote", ce n'était pas de la pub, hélas. C'était de la politique. Il s'agissait, rien de moins, que d'universaliser (essentialiser?)  la notion très rudimentaire  de "pote" (annonçant le "frère" des cités d'aujourdhui) et en même temps de discriminer  le groupe ("mon" pote) car évidemment tout le monde ne pouvait pas prétendre à ce statut qui offrait une sorte d'impunité à peu près totale à celui qui en bénéficiait, c'est à dire l'immigré nord-africain (parce que les autres immigrés ne pouvaient prétendre au même passé colonial).

En marge de cette belle cause, le disciple de cette gauche moderne et mondialisée s'offrait  régulièrement des causes lointaines, internationales, très idéologiquement  flatteuses : on portait volontiers Che Guevara en bandoulière, symbole de ces nobles engagements. Et pendant ce temps, dans des banlieues abandonnées par cette gauche du boulevard St Germain relayée par les catégories  middle-sup intellectuelles, puissants leviers de transmission, le peuple prolétarien voyait peu à peu son environnement se dégrader, sa culture se perdre, sa vie se pourrir, sans que cette gauche petite-bourgeoise qui avait porté Mitterrand au pouvoir s'en préoccupe particulièrement, à quelques exceptions près en certaines occasions plus spectaculaires ou plus symboliques  (Lip, Michelin) car cette gauche là, Monsieur, a besoin de lyrisme et de mythologie pour asseoir son militantisme. C'est dans sa nature, et c'est plutôt intéressant en général, sauf quand ça déteint en politique.
Plus tard, au début des années 90, quand les premiers problèmes d'intégration d'une culture religieuse musulmane se sont posées dans la société française et son principe républicain de laïcité (les filles voilées du collège de Créteil), cette gauche s'est évidemment engouffrée dans la noble cause de "la diversité" en prêchi-prêchant une "tolérance" sans autre substance que tautologique ("il faut être tolérant parce qu'il faut être tolérant"), substance molle devant laquelle toute tentative de réflexion ou d'objection ou de nuance était irrémédiablement classée dans le camp d'un fascisme rétrograde et, one more time, "raciste" (bien qu'on dise en même temps, bien sûr, et à juste titre, que le concept de "race" est inopérant).
Aujourd'hui cette gauche là, qui commence à se rendre compte (en off seulement, en privé) qu'elle a probablement sous estimé  l'importance du problème culturel voire du défi civilisationnel auquel  nous confronte  l'influence et l'entrisme islamiques, cette gauche là, donc, vient de trouver une manière de rebondir. Une nouvelle cause la mobilise : les migrants. Changement dans la continuité.
C'est tout à son honneur, devrait on dire. Et elle ne se prive pas de faire de la tragédie des migrants une nouvelle façon de nous renvoyer à notre manque d'humanité, notre manque de morale, et autres leçons  dont elle s'est fait une  spécialité, tournant en boucle les mêmes indignations et formes de compassion très ciblées dans un entre soi soigneusement maintenu par un système de cooptation bien rodé, se tenant à l'écart de toute parole déviante...
Et le peuple, pendant ce temps ? Le peuple des villes et le peuple des champs ? Que  devient il ? Il fulmine, terré dans son appart d'une cité devenue drogue center, ou il rumine, atterré dans une campagne devenue centre commercial  ....
Et il y a belle lurette que ce peuple  n'écoute plus les  beaux parleurs qui croient faire l'opinion. Les migrants, à vrai dire, c'est pas trop son problème. Et il s'étonne même de toute cette mise en branle compassionelle alors que lui, son problème, c'est plutôt de pouvoir juste payer son loyer et vivre dans un quartier à peu près tranquille sans avoir non plus à renier sa culture ni ses usages. Et quand ce peuple s'éveillera, il ne faudra peut être pas que cette gauche s'étonne, une fois encore, qu'elle lui tourne le dos...
Mais tout n'est pas perdu ! Dans une récente interview donné au Point, Chantal Mouffe , l'une des  têtes pensantes du parti des "Insoumis" évoque le besoin de la gauche d'être elle aussi, d'une certaine manière, "populiste" (1) Cette philosophe qui remue un peu le cocotier idéologique de cette gauche "extrême", rappelle notamment qu'il faut reconnaître qu'il y a " un investissement libidinal très fort dans les identités nationales et au lieu de le nier il faut essayer de le mobiliser sous la forme d'un patriotisme de gauche." Elle ne récuse pas la notion de "roman national" et rappelle que le populisme de droite à deux idées fortes : "il reconnaît le rôle des affects en politique; il admet que la politique passe par la construction du "nous". La gauche est trop rationaliste pour le comprendre. Pour elle, les arguments et les chiffres suffisent. Or ce qui pousse les gens à agir, ce sont les affects. Abandonner ce domaine à la droite, c'est mortifère."
Passionnante interview qui ouvre des perspectives vers une réconciliation, enfin, de la gauche avec le peuple, tout le peuple, et pas seulement les camarades ou les "potes"...
Tout est encore possible pour cette gauche, à  moins que, une fois de plus, le  peuple dont elle a fait sa cause à ses origines, ne lui plaise toujours pas, ne pense toujours pas ce qu'elle voudrait qu'il pense. Dans ce cas, faudra lui dire, à la gauche, d'arrêter de vouloir remplacer ce peuple par l'idée qu'elle s'en fait.  En philo ça marche peut être. Dans la vraie vie, la réalité résiste.

Yves Gerbal, 8 octobre 2018.
(1) Pour un populisme de gauche , Chantal Mouffe. Albin Michel. 144p, 14€.

08 juillet 2018

Philosophie ou confort intellectuel ? Petite réflexion sur la difficulté de penser.

« Notre tête est ronde pour permettre à la pensée de changer de direction »  Francis Picabia

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Il y a un paradoxe extraordinaire à constater que ceux qui prétendent s'affranchir de la "doxa"(l'opinion commune, au sens platonicien) sont eux-mêmes porteurs d'une "doxa" au moins aussi fermée que celle qu'ils cherchent à combattre. Ceux qui ont pour fonction d'apprendre la liberté de penser et d'opinion ont très majoritairement les mêmes pensées et les mêmes opinions. (1)

Voilà pourquoi il n'est pas très difficile de prévoir quelle sera par exemple, in fine, l'opinion retenue par une très grande majorité de professeurs de philosophie sur une problématique donnée (et en particulier quand le sujet est "politique"). Voilà pourquoi aussi peut-être le débat philosophique qui se prétend ouvert se referme la plupart du temps sur des opinions convenues, attendues, équivalent savant et dialectique du "lieu commun" littéraire. Voilà pourquoi la philosophie donne parfois l'impression de tourner en rond et de ne plus proposer de pistes stimulantes pour la pensée parce que ses zélées élites restent dans leur zone de confort intellectuel alors même, là est le paradoxe, qu'elles prétendent vouloir nous en faire sortir. Chacun, finalement, reste dans la caverne de Platon, et ne se risque pas à sortir dans l'aveuglante lumière des vérités qui fâchent...

Il suffit, pour s’en convaincre, d’assister à des débats réunissant plusieurs membres de cette communauté philosophique « professionnelle », caste qui ne dit pas son nom mais qui pourtant se révèle extrêmement soudée et solidaire autour de quelques idées inamovibles.

Oubliant la fameuse devise de Socrate « Ce que je sais de plus c’est que je ne sais rien », qui incite à faire table rase avant de partir en quête de vérité, le professeur de philosophie avance la plupart du temps, probablement inconsciemment, avec « une » idée en tête et n’a de cesse, malgré la sincérité de sa posture de chercheur et la cohérence de sa démarche logique, de démontrer la validité de cette idée véritablement « pré-conçue » et dont il est depuis longtemps familier, qu’il aime caresser, et bien sûr toujours dans le sens du poil...

Il est rare de voir un philosophe arriver là où il ne pensait pas, c’est à dire accepter peut-être même de s’égarer, de prendre des routes inconnues, d’oser des pistes qui le rebutent, pour finalement atteindre une vérité dérangeante avec laquelle il devra composer et revoir, peut-être, son logiciel de pensée. Cela, il est vrai, est moins confortable que de se faire adouber en permanence par des membres de la même confrérie dont les disciples sont soigneusement cooptés et qui ont dû montrer, dès l’entrée dans la famille, qu’ils seraient de bons petits soldats de la bonne pensée. A l’entrée de la boite « philosophie professionnelle » il faut montrer non pas « patte blanche » (cette expression ne relèverait-elle pas d’ailleurs d’un affreux spécisme raciste anti-loup ?) mais plutôt « patte gauche »… Sinon désolé, « ça va pas être possible » !

Les réseaux sociaux où s’invitent aujourd’hui parfois les débats en tous genres confirment cet « entre-soi » où chacun recherche l’assentiment, la confirmation, le cocooning idéologique. Les algorythmes de Facebook ont vite fait d’accentuer l’effet : on ne parle, en définitive, qu’à des convaincus…(2). C’est gagné d’avance !

Et cela, je veux dire cette difficulté à affronter la pensée différente, d’oser la vraie confrontation, s’avère d’autant plus évident que chacun de ces prosélytes du savoir et de la sagesse philosophique ne voit le réel que de son point de vue, de là d’où il est ancré (socialement, culturellement, idéologiquement, psychologiquement, historiquement etc…). La prétendue objectivité tant recherchée, à juste titre, par la philosophie, se révèle la plupart du temps un nouveau leurre. Une ombre de plus, encore, une silhouette, sur le mur de la caverne.

Personne n’échappe à cette difficulté de penser au-delà de sa bulle personnelle. Ce «solipscisme » est finalement le grand obstacle à l’émergence d’une pensée qui pourrait s’affranchir de sa subjectivité toujours un peu irrationnelle alors que la philosophie prétend se fonder sur la « raison », et encore plus, une raison universelle et atemporelle. Plus encore que Descartes, c’est Wittgenstein que l’on peut convoquer ici avec sa formule très simple mais capitale : « Je suis mon monde » (3). Et puis Diogène aussi, bien sûr, cherchant à Athènes avec une lanterne allumée en plein jour le fameux « homme » platonicien, manière comique de rappeler le caractère théorique du sujet sur lequel se fonde pourtant toute la recherche philosophique présentée comme une science (episteme).

En tant que pratiquant moi-même de cette discipline de la pensée je n’échappe pas à ce double écueil de l’idée préconçue et du point de vue. Je suis confronté, comme tous, à cette difficulté. Je veux juste témoigner ici que cette prise de conscience a marqué, il y a longtemps déjà, mon propre parcours intellectuel, ce qui me pousse peut-être à emprunter n’importe quelle route de la pensée sans jugement a priori ni de sa qualité ni des lieux où elle me mènera. Manière un peu « buissonnière » ou plutôt « buissonnante » d’avancer dans ma compréhension du monde et des problèmes humains. Manière parfois aventureuse qui peut être mal comprise, et sembler provocatrice. Je le comprends. Je ne prétends pas non plus qu’elle soit infaillible ou forcément meilleur q’une autre. Elle est pleine de dangers, de pièges, de chausse-trapes, de fausses routes ou d’impasses. Mais j‘estime, à tort ou à raison, qu’elle me préserve de ce « confort intellectuel » qui est ce que je redoute le plus. Penser en pantoufles, même de couleurs révolutionnaires, très peu pour moi ! Je laisse chacun de ceux qui connaissent un peu mon parcours intellectuel juger la réalité de cette aventure de la pensée.

 Platon se méfiait des célèbres « sophistes », plus enclins à chercher à « avoir raison » que de trouver la véritable « raison ». C’est encore un autre paradoxe pour cette doxa philosophique que de se comporter en donneurs de leçons, en maîtres « raisonnables », en admettant rarement qu’ils puissent être dans l’erreur. Et par conséquent, de trouver par exemple, quoi qu’il arrive, une référence ou une source qui validera leur théorie. Nous sommes tous, c’est vrai, le sophiste de quelqu’un. Nous avons du mal à admettre que nous pouvons nous tromper et notre ego, bien que fort peu sage, vient s’immiscer dans cette recherche pourtant louable de la vérité. Mais nous devrions a minima rappeler constamment que cette vérité est fuyante, qu’elle nous échappe toujours, qu’elle restera définitvement libre et que nous ne l’emprisonnerons pas dans la cage de nos concepts. Car en théorie, tout est simple. Mais comme le dit une petite maxime rigolote : « On ne vit pas en théorie ».

Voilà pourquoi à l’impossible quête platonicienne de l’idée pure je préfère toujours le questionnement socratique, aux systèmes de pensée trop bien ficelés j‘oppose le cynisme et l’indépendance de Diogène ou les fulgurances de Nietzsche, contre les dialectiques bien rôdées je choisis les « sauts et gambades » de Montaigne, et face aux héros d’une idéologie j’invite le « Monsieur Teste » de Paul Valéry s’exclamant : « Je suis l’instable ».

Je continuerai donc à pratiquer avec allégresse l’art de la pensée et la discipline philosophique, mais que Dieu, qui n’existe peut-être pas, me préserve des certitudes formatées et que les humains, qui existent bien réellement, continuent de m’apporter leurs doutes magnifiques… Je veux faire de mon mieux ma cuisine métaphysique et je serai toujours heureux de partager avec vous ces nourritures terrestres et spirituelles au grand « banquet » de la vie…

Yves Gerbal

8 juillet 2018

(1) Et c’est une très vieille histoire, en tout cas, en France, celle d’une « intelligentsia » qui se plie sans l’ombre d’un doute aux diktats d’une pensée préfabriquée et ressassée depuis, disons, le romantisme révolutionnaire du XIXème siècle, et largement réactualisée au XXème siècle par d’autres supports de cette pensée « révolutionnaire».Mais passons rapidement là-dessus. Cette histoire des idées reste à écrire et décrire. Ce n’est pas mon propos principal ici.

(2) Je m’abstiendrai poliment d’un jeu de mots trop facile mais il s’agit bien de la confirmation, comme le formulait déjà en 1987 le titre d’un livre précurseur d’Alain Finkielkraut, d’une « Défaite de la pensée »…

(3) Tractatus logico-philosophicus (1918)

 

 

 

 

04 mars 2018

Un jeûne de 7 jours, ou l'histoire des trois petites figues...

D'abord pourquoi jeûner ?

Petit défi personnel. Envie de "voir". Expérience. Besoin d'un "détox". Sentiment intime que ça ne peut que faire du bien. Incsription du jeûne dans une démarche plus générale de recherche d'un "bien être" (lieu commun, je sais…). Et puis Mister P. a aussi ses raisons...mais il ne veut pas en parler ici...

 

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17:20 Publié dans Divers | Lien permanent | Commentaires (1)

02 janvier 2018

Islam ? Non, merci.

 Religions, régressions.

 

"Dieu est mort ; mais puisque sont ainsi faits les hommes, il y aura peut-être encore pendant des milliers d'années des cavernes où l'on montrera son ombre" Nietzsche

 

                   Je voudrais ici, le plus simplement que je peux, mais avec autant de rigueur que possible, expliquer pourquoi je considère que la progression de l’influence religieuse en général, et celle de l’Islam à notre époque en particulier, est un problème grave. Nous montrerons également qu’une culture soumise à une pensée religieuse n’est pas un progrès mais au contraire une régression, ce qui accentue sa gravité…

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18 décembre 2017

Islam ? Non, merci !

PLAN

Intro :

La religion est-elle un phénomène grave ?

Que penser de la progression de l'Islam ?

La religion est-elle un progrès ?

 Partie 1 : La gravité.

1) Indicateur de mesure.

a) L'impact

b) Gravité absolue et relative.

2) Deux exemples.

a) Le climat.

b)Le capitalisme.

3) Le cas des religions.

a) Un phénomène totalitaire

b) Religion et culture

4) L'exemple du christianisme.

a) Le Moyen-Age

b) Religion et civilisation.

5) Un autre indicateur.

a) La propagation.

b) Le virus religieux.

6) Un indicateur essentiel.

a) La réversibilité.

b) Le poids du sacré.

Partie 2 : Le cas de l'Islam.

1) Un cas exemplaire.

a) Religion totalitaire et parfaite.

b) Normalisation.

2) Usage et norme.

a) Un exemple.

b) L'entrisme religieux.

3) La tolérance.

a) Une valeur dévoyée

b) Les accomodements

4)L'idéal multiculturaliste.

a) Histoire de l'espèce

b) Réalité ou idéologie.

5) Le choc des civilisations.

a) Diversité et perméabilité

b) La tyrannie de la minorité.

6) Nature du problème.

a) Mesure du progrès.

b) Régression.

Conclusion :

Le néo Moyen-Age

Islam, non merci...

Valeurs et morale.

Le doute et la certitude.

Tous prophètes...

 

 

17 septembre 2016

Chroniques du néo Moyen-Âge... (suite)

Chroniques du néo Moyen-Âge... (suite)
 
Il suffit de rappeler que les hommes ont préféré écouter Moïse, Jésus, Mahomet, que (par exemple) Socrate, Giordano Bruno, Spinoza... pour désespérer de cette espèce crédule et cruelle et ne pas croire une seconde à un "progrès" de l'humanité (autre que "progrès technique").
 
Petit rappel historique ci-dessous. Toute ressemblance avec notre époque (Salman Rushdie, Charlie hebdo, vêtements dits "impudiques" pour la jeunesse, place accordée à la femme... etc...) n'est pas fortuite mais malheureusement "logique"... Avec l'influence plus ou moins visible ou insidieuse du religieux (en l'occurrence en particulier islamique) dans nos sociétés nous sommes déjà entrés dans le néo Moyen-Age... et pouvons déjà écrire l'histoire des martyrs de la libre pensée condamnés par l'obscurantisme fanatique. Rien ne change...
 
Le procès de Socrate a eu lieu en -399. Socrate, accusé de corruption de la jeunesse, de négation des dieux ancestraux et d'introduction de divinités nouvelles, est condamné à mort par le tribunal de l'Héliée, à Athènes. Plusieurs amis de Socrate offrent de le défendre, mais il refuse leurs offres.
 
Giordano Bruno, né en janvier 1548 à Nola en Italie et mort le 17 février 1600 à Rome, est un ancien frère dominicain et philosophe. Sur la base des travaux de Nicolas Copernic et Nicolas de Cues, il développe la théorie de l'héliocentrisme et montre, de manière philosophique, la pertinence d'un univers infini, qui n'a pas de centre, peuplé d'une quantité innombrable d'astres et de mondes identiques au nôtre. Accusé formellement d'athéisme (confondu avec son panthéisme) et d'hérésie par l'Inquisition, d'après ses écrits jugés blasphématoires (où il proclame en outre que Jésus-Christ n'est pas Dieu mais un simple « mage habile ») il est condamné à être brûlé vif au terme de huit années de procès ponctuées de nombreuses propositions de rétractation qu'il paraissait d'abord accepter puis qu'il rejetait.
 
Le 27 juillet 1656, Baruch Spinoza est frappé par un herem, terme que l'on peut traduire par excommunication, qui le maudit pour cause d'hérésie de façon particulièrement violente et, chose rare, définitive. Peu de temps auparavant, un homme aurait même tenté de le poignarder ; blessé, il aurait conservé le manteau troué par la lame, pour se rappeler que la passion religieuse mène à la folie.

 

01 septembre 2016

Néo Moyen-Âge

Bienvenue au néo Moyen-Âge... 

(extrait, étape de travail)

 1. Le virus religieux. Tous prophètes.

 Est-ce qu'on a le droit de dire que Moïse, Jésus et Mahomet, étaient des illuminés ? Des psychotiques ? Comme le furent aussi tant de dictateurs fous ou de gourous allumés ?

Est-ce qu’on a le droit de dire qu’une religion est une secte qui a réussi ?

Est-ce qu'on a le droit de regretter que l'humanité soit à ce point naïve et servile qu'elle fonde des civilisations entières sur trois mâles qui ont prétendu parler avec Dieu, recevoir ses ordres (transformés en « lois »), voire être son fils. Rien que ça ! 

Est-ce qu’on a le droit de dire que les religions sont non seulement "l’opium du peuple" mais l’élément le plus viral du grand corps malade de notre humanité ?

Est-ce qu'on a le droit de regretter (parfois) que ces trois là soient nés ?

Est-ce qu'on a le droit de dire que la Bible et le Coran sont des livres parmi tous les autres et qu’ils s'inscrivent parmi des millions d'autres livres écrits dans l'histoire de l’humanité. Ce qui ne veut pas dire que tous ces mots ou tous ces préceptes se valent mais que ceux-là ne sont qu’une proposition dans une bibliothèque infinie où chacun peut faire son choix et ses synthèses, si possible sans déranger les autres lecteurs.

Est-ce qu'on a le droit de dire que l'on préfère le culte des livres à la religion du Livre ?

Est-ce qu’on a le droit de dire que l’on est sidéré que des milliers d’années d'évolution de notre "espèce" n'aient pas éradiqué la manie de chercher un « Dieu » introuvable (par définition) et de lui faire dire n’importe quoi, et de se trucider les uns les autres parce qu’on ne pratique pas tout à fait les mêmes rituels issus de ces soi-disant « paroles divines ».

Est-ce qu’on a le droit de trouver dingue que des miliiers d’années d’évolution de l’homo sapiens n’aient pas convaincu l’homme de la stupidité de rites et de coutumes prétendument dictés par ce Dieu introuvable (donc indiscutable par définition). Stupidité d'autant plus grande que le même Dieu (pourtant unique par définition) semble avoir dicté des règles différentes selon les groupes humains...

Est-ce qu’on a le droit de regretter d'autres civilisations, peut-être un peu moins bêtes, qui s’inventaient des dieux multiples à leur image, c’est à dire avec plein de défauts, et qui ont inventé la philosophie, c’est à dire la capacité à penser par soi-même tout en se fondant sur des expériences vécues et des dialogues ouverts ? 

Est-ce qu'on a le droit de dire que l’on peut avoir une morale sans avoir de dieu ? Et même surtout parce que Dieu s’absente (par définition). Si Dieu n’est pas là, tout est permis, donc nous sommes totalement responsables de nos actes, et notre existence engage celle des autres.

Est-ce qu’on a le droit de croire (si on veut) en une puissance supérieure (qu’on appellerait Dieu ou Zébulon ou spaghetti volant ou grand horloger ou Zeus,  comme ça nous chante) mais sans aucun porte-parole, c’est à dire aucun prophète, quel qu’il soit, quoi qu’il dise. Ou (mieux encore) croire en un dieu simplement perçu "en direct", par une certaine relation au vivant et au non-vivant, au physique et au métaphysique, au sensible et à l’émotionnel, un dieu qui serait présence vague, intangible, perception singulière, intuition, état de grâce… Un « dieu » avec lequel on pourrait croire communiquer (« prier » si on veut le dire ainsi) si ça nous aide à se sentir mieux et à aimer les autres. On appellerait cela la spiritualité et on le vivrait sans JAMAIS faire chier les autres avec nos croyances-expériences ! 

Est-ce qu’on a le droit de dire que les religions, toutes les religions, en tout cas dans leur forme répandue, commune, triviale, ont un problème avec le corps, avec la sexualité, avec la femme ?

Est-ce qu’on a le droit de dire que le progrès de l’humanité peut se mesurer à la capacité des humains de générer de l’harmonie (en soi, entre humains, avec la nature) et que les religions n’ont jamais suscité que des communautarismes et des clivages ?

Est-ce qu’on a le droit de reconnaître que les religions étaient peut-être une étape nécessaire dans l’organisation sociale des tribus humaines mais qu’il est temps de se donner d’autres moyens de « vivre ensemble » (c’est à dire une politique). Nous avons toujours besoin de sacré, d’art, d’irrationnel, de rêve ? Nous avons besoin de donner du sens à la vie ? Ni Dieu ni Maître pour cela. Nous avons peur de la mort ? Nous avons les philosophies pour cela. C'est peu, mais c'est notre boite à outils humaine. Bricolons modestement, si possible sans déranger nos voisins. 

Est-ce qu’on a le droit de dire que nous sommes  tous prophètes ? Car nous pouvons (et devons) tous écrire l’avenir. Le nôtre, et celui de la communauté humaine... C’est peut-être en cela que réside le sens que nous cherchons avidement : signification et direction. Nous n’aurons jamais dit notre dernier mot.

 

“Le grand tournant de l'histoire sera le moment où l'homme prendra conscience que le seul Dieu de l'homme est l'homme lui-même.” Ludwig Feuerbach  L'essence du christianisme (1841)

 

Yves Gerbal, 1er septembre 2016.