02 janvier 2018
Islam ? Non, merci.
Religions, régressions.
"Dieu est mort ; mais puisque sont ainsi faits les hommes, il y aura peut-être encore pendant des milliers d'années des cavernes où l'on montrera son ombre" Nietzsche
Je voudrais ici, le plus simplement que je peux, mais avec autant de rigueur que possible, expliquer pourquoi je considère que la progression de l’influence religieuse en général, et celle de l’Islam à notre époque en particulier, est un problème grave. Nous montrerons également qu’une culture soumise à une pensée religieuse n’est pas un progrès mais au contraire une régression, ce qui accentue sa gravité…
La méthode se veut philosophique. Il s’agit d’essayer de se défaire de toute opinion préjugée, d’écarter des a priori et une subjectivité trop grande pour bâtir un raisonnement fondé sur l’analyse de concepts et sur leur exploitation à propos de ce domaine de la religion. Le principal concept convoqué ici est peu exploité en philosophie : la notion de « gravité ». Il s’agit d’une notion qui fait rarement l’objet d’une définition et d’une analyse approfondie alors que nous l’utilisons très souvent dans nos discours. « Qu’est-ce qui est grave ? » est une question déterminante pour établir une hiérarchie des problèmes et agir en conséquence. Est-ce seulement relatif ? Nous essaierons de montrer que la gravité peut se mesurer objectivement.
Ce concept de gravité sera confronté au fait religieux et en particulier au cas de la religion musulmane. Pourquoi celle-ci ? Parce que de toutes les religions (phénomènes de forte gravité) elle est celle qui est, aujourd’hui, à notre époque, la plus virulente, qui « pèse » le plus, peut apparaître comme la plus « problématique », et nous expliquerons en quoi consiste ce « poids », cette « virulence », et ce « problème ».
Ce constat de gravité absolue trouvera son prolongement dans une notion plus relative, celle du progrès et des valeurs, que nous poserons comme un critère pour évaluer les conséquences de ce phénomène religieux et s’interroger sur les relations possibles entre les diverses cultures humaines.
Bien entendu, ce raisonnement n’est pas sans faille. Il prêtera lui-même à critiques et objections. Rien de plus normal. C’est le propre de la démarche philosophique que de rester « dynamique ». Pas de vérité définitive, mais au moins un point de vue argumenté qui pourra ensuite servir de base à d’autres développements, d’autres discussions.
Je ressemble ici des réflexions que je « remue » depuis longtemps et qui se sont nourries d’une très grande quantité d’observations, de rencontres, de témoignages… L’analyse proposée, j’ai commencé à la faire il y a des décennies. Elle ne résulte pas, par exemple, des événements particulièrement tragiques, survenus ces dernières années, appelés « attentats », même si bien sûr ces événements prennent place dans cette réflexion globale.
L’objectif de ce travail est de faire prendre conscience d’un phénomène et de sa gravité objective. Cet « état des lieux » est une étape pour ensuite proposer des solutions, faire des choix. Cette prise de conscience est indispensable. Elle détermine la nature des actions et des prises de position qui pourraient suivre.
Montrer que la religion constitue à notre époque un problème grave n’est pas anodin. Ce n’est pas non plus une évidence. Beaucoup ont tendance soit à minimiser ce problème soit à ne le définir que comme un « fait » culturel parmi d’autres. Il n’est pas question ici d’ignorer bien sûr la réalité d’autres problèmes majeurs pour l’humanité. Cette réflexion les évoque d’ailleurs largement. A chacun, ensuite, d’évaluer la pertinence de la hiérarchie de ces « problèmes ».
Il n’est pas facile de faire une synthèse. Mais je crois avoir suffisamment laissé mes pensées s’agiter, se reposer, passer au filtre révélateur du temps et des événements, pour considérer que ce que j’écris n’est pas le simple résultat d’une « réaction » plus ou moins épidermique ou d’un simple agacement personnel. Rien de tout cela ne relève d’un « vif » qui empêcherait la distance et le discernement nécessaires.
Pas d’emportement mais de la méthode. A froid. Avec, je l’espère, la sagesse nécessaire du philosophe, son « logos » qui est à la fois parole, science, et sens de la mesure…
1ère partie : La gravité.
Avant de se poser la question d’un éventuel « problème », la question (essentielle) à se poser est celle, précisément, de la gravité d’un phénomène. Qu’est-ce qui est grave ? Comment mesurer la gravité (en-dehors, bien sûr, de la loi de Newton sur la gravitation universelle) ? Nous appliquerons nos indicateurs de mesure aux cas des religions puisqu’il s’agit de s’interroger sur leur gravité.
1) Un indicateur de mesure.
La gravité d’un phénomène(ce qui arrive, ce qui se produit, ce qui se manifeste, ce qui se constate, ce qui nous apparaît dans l’espace et dans le temps) peut se mesurer logiquement à son impact, à ses conséquences. « C’est grave » quand ce qui se produit a des « conséquences » graves. Qu’est-ce qu’une conséquence grave ? Une conséquence qui touche beaucoup de monde, un territoire très étendu. Voilà pourquoi on « évalue » un conflit (sa gravité) à son nombre de victimes, ou une catastrophe naturelle (ou écologique) à l’espace dévasté ou pollué. C’est simple. On compte, on mesure. Voilà pourquoi une marée noire, c’est grave, le passage d’un cyclone sur une terre habitée, c’est grave, une guerre, c’est grave, etc. Les exemples, hélas, ne manquent pas. En mesure absolue.
Et cela « s’aggrave » du fait que cette mesure est aussi « relative » : si je suis concerné par les conséquences d’un phénomène brutal, la mesure devient « affective ». Une seule perte d’un proche sera en fait, à ma mesure, beaucoup plus grave (quoi qu’on en dise, et même avec beaucoup de compassion) qu’une inondation au Bangladesh qui ne me concerne pas directement. Notons donc au passage, et c’est important pour la suite, que cette gravité « relative » dépend de mon implication dans le phénomène.
Quels sont donc aujourd’hui (dans notre monde actuel, à notre époque) les phénomènes que nous pouvons évaluer comme « graves » ? Faisons des propositions que nous soumettons à notre appareil de mesure.
2) Deux exemples.
En premier lieu, il semble évident de proposer comme exemple de gravité les atteintes à notre environnement et le dérèglement potentiel du climat.
Pourquoi ? (gardons nous, je le répète ici, de toute opinion ou postulat idéologique : essayons de rester froidement raisonneurs, restons dans le cadre d’une démonstration, pas d’un débat). Tout simplement parce que les conséquences sont planétaires et concernent donc tous les habitants (humains et animaux) de la Terre. Rien de relatif. Là-dessus, je crois, tout le monde peut être d’accord. Rien n’est plus grave puisque « dans l’absolu » c’est la survie même de l’espèce humaine qui est en jeu. Rien n’est plus grave puisque cela touche tout l’espace, et pour une durée que l’on peut imaginer très longue, la totalité du « temps » à venir.
Inutile d’en dire plus. Gravité absolue. Tout le monde en convient sûrement. J’abrège donc volontairement cette partie de la démonstration même s’il y aurait beaucoup à dire mais mon propos n’est pas écologique. Rappelons néanmoins que la modélisation du réchauffement climatique reste une hypothèse, certes confirmée par d’évidents bouleversements et évolutions de notre écosystème, mais que quelques cas particuliers de « refroidissement » repérés sur la planète peuvent encore permettre l’hypothèse d’un renversement de la tendance. Il ne s’agit pas, bien sûr, de compter sur cet « aléatoire » d’un éventuel effet papillon, mais de prendre la gravité du phénomène très au sérieux. Le propos n’est pas, ici, d’entrer dans les détails de solutions possibles, mais de rappeler cet exemple majeur de « gravité ».
En second lieu, beaucoup proposeraient probablement à notre étalonnage de la gravité, l’ultra-capitalisme et la financiarisation de l’économie mondiale. Est-ce grave ? Oui, car l’économie n’est pas une préoccupation locale ou particulière mais concerne la vie d’à peu près tous les habitants de la planète (depuis la mondialisation des échanges). Pour le dire autrement, l’argent est déterminant dans l’existence des individus du monde entier (et même les tribus ou petites communautés humaines auparavant « reculées » sont désormais concernées). Personne n’y échappe. Et la planète « naturelle » non plus, qui subit les conséquences d’une exploitation de ses « richesses » faisant fi des problèmes environnementaux. Ceci étant la cause de cela, et non l’inverse, on pourrait donc même considérer que cette forme de capitalisme est donc plus « grave » que les problèmes écologiques puisqu’il en est souvent le déclencheur. C’est une thèse soutenable.
Mais si la gravité des phénomènes environnementaux est quasiment « indiscutable » (avec par exemple aussi la perspective d’une pénurie d’eau potable et les conflits potentiels associés) la « gravité » de ce système économique fondé sur le profit et la liberté des échanges est peut-être moins absolue qu’il y paraît.
A moins d’être masochiste ou d’envier le sort des dinosaures, ou à moins d’être un écologiste radical qui souhaite l’extinction de l’espèce humaine, on ne peut pas imaginer de version positive de la dégradation de notre environnement avec tout ce que cela entraîne. En revanche, et même si cela choquera les plus farouches idéologues de « l’anticapitalisme », on peut aussi soutenir que le phénomène capitalistique (qui apparaît au XIXème siècle avec la révolution industrielle et la prise du pouvoir par la bourgeoisie) n’a pas « seulement » des conséquences négatives.
N’en déplaise aux gauchistes purs et durs, le « libéralisme » (version light du capitalisme « sauvage ») a permis à des millions d’individus d’accéder à des biens, des usages, des avoirs et des savoirs, jusque-là réservés à une minorité. Comprenons-nous bien : il ne s’agit pas de faire l’éloge sans retenue du passage d’une société rurale (où chacun jouissait dans de petites communautés soudées, dans une vision un peu fantasmée et nostalgique, d’une relative autonomie d’existence) à une société industrielle et capitaliste où chacun est devenu dépendant des propriétaires des moyens de production dans une grande communauté sans fraternité. L’analyse marxiste reste opératoire. On peut y renvoyer. Mais qui niera que ce libéralisme a permis aussi de « libérer » l’individu a minima des contraintes féodales, puis parfois des contraintes matérielles. L’ouvrier est aliéné au patron et à l’usine. Nous sommes dépendants d’un système qui nous enferme dans un cycle de production-consommation et de ses meilleurs vecteurs la publicité et le marketing. Tout cela est vrai. Et c’est grave, surtout quand le système s’enraye : chômage des uns, dégradations des formes du travail pour les autres, soumission aux multinationales, précarisation de l’existence, valorisation excessive du pouvoir de l’argent etc.… Plus, nous l’avons dit : pollution, dégradation de l’environnement. Bref, le constat est sombre. Mais ce libéralisme, y compris dans sa forme dure, a aussi« vulgarisé » un confort qui, au quotidien, peut permettre à l’individu de penser sa vie, donc de philosopher (et me permet, par exemple, d’écrire ce texte et de le diffuser) ce qui est plus difficile quand la seule préoccupation est celle de la survie quotidienne, ou quand on fait la queue dans des magasins soumis à la pénurie (lire par exemple les romans de Zinoviev sur l’ironique « avenir radieux » à l’époque du communisme soviétique).
Le libéralisme économique va donc de pair avec une liberté individuelle, certes elle-même dépendante de l’argent possédé, mais néanmoins réelle. Le libéralisme et la prospérité économique qu’il peut générer permettent à des millions d’individus de voyager, de se soigner, de s’instruire, d’avoir du temps de loisir, d’envisager un avenir, d’acquérir une (relative) autonomie d’existence.
Le libéralisme a pour conséquence les inégalités. C’est grave. C’est souvent scandaleux. Mais n’est-ce pas plus grave quand l’égalité est celle de la pauvreté et de la misère ? L’erreur est d’avoir fait croire que l’on pouvait associer liberté et égalité. La devise républicaine est un leurre. Il suffit de le savoir et de continuer à lutter pour amender ce système pour minorer autant que possible les conséquences de ce phénomène.
Parmi ces conséquences du capitalisme peut-on considérer la guerre permanente et la paix toujours fragile ? Les sociétés humaines n’ont pas attendu le capitalisme pour être perpétuellement en guerre. L’histoire des hommes est celle de leurs conflits, et les grands récits épiques ne sont souvent, hélas, que la mythification de tragédies guerrières et la sublimation de la férocité en héroïsme… Le capitalisme n’a pas inventé les guerres. Il ne les a pas empêchées non plus.
Cependant, même si les marchands d’armes alimentent en permanence leurs nombreux clients, la prospérité économique et la création de richesses associées à la fameuse (et discutable) « croissance » a tout de même eu pour conséquence généralement une paix durable. Les guerres (et les révolutions) naissent plus souvent d’un « manque » que d’un « trop », et si ce « trop » (culte de la croissance, religion de l’argent, abondance excessive) nous insupporte, nous gardons une certaine marge de manœuvre pour nous tenir en marge ou en retrait de ce phénomène, comme l’ont montré divers courants de pensée au XXème siècle (mouvements hippies, mai 68, décroissants, alternatifs etc.).
Le phénomène capitaliste englobe donc tous les secteurs de l’existence. C’est grave. Mais il ne peut empêcher, a minima, la liberté de pensée, et va de pair, la plupart du temps (la Chine étant le meilleur contre-exemple), avec une société démocratique certes imparfaite mais où chacun peut tout de même à peu près se construire un espace de liberté individuelle qui « adoucit » la gravité du phénomène.
J’interromps là encore cette analyse (forcément partielle, mais pas partiale) du « phénomène » capitaliste pour en conclure que si sa gravité est réelle, importante, elle reste néanmoins relative.
On pourrait probablement « peser » d’autres phénomènes. Le domaine des techniques est porteur de dangers nombreux et très graves. La dépendance informatique par exemple. Dans sa dernière BD, Enki Bilal imagine un « bug » général qui plongerait le monde dans le chaos… et imagine, au passage, dans sa fiction, un califat à Gibraltar et un « Mouvement Salafiste Agréé » en France qui s’allie pour l’occasion aux « Ceintures Mafieuses du Grand Paris ». Rassurons-nous : il situe son action en 2041… Dans son ramqruable livre "Homo deus" (2017), l'israëlien Harari évoque tous les dangers que font peser sur notre avenir l'intelligence artificielle, l'idéologie (religion ?) transhumaniste, et le stockage des informations (dataisme). Tout cela est grave en effet aussi si on en mesure les conséquences potentielles...
Mais revenons à notre objectif. Ces champs d’activités (écologique, politique, technique) ne sont ici convoqués non pour déterminer ce qui est "le plus" grave, mais pour illustrer le concept de
« gravité » que l'on définit pour l'appliquer aua cas des religions.
3) Le cas des religions.
Pourquoi « mesurer » la gravité de l’expansion et de l’influence des religions ? Cela peut paraître incongru après avoir évoqué les conséquences des problèmes écologiques, du capitalisme sauvage, ou de l'évolution des technologies. Aucun rapport ? Hors sujet ? Dérive ? Aucune comparaison possible ? Je pense, au contraire, que ce « phénomène » est très grave. Et même plus grave que les autres. Je vais expliquer pourquoi.
Le « fait religieux » est-il grave ? Admettons d’abord, tout le monde sera d’accord là aussi, que le phénomène est en tout cas au moins « important ». Inutile de donner ici des chiffres précis et de distinguer diverses religions. Des milliards d’individus sur toute la planète sont concernés, touchés, par ce « phénomène ». De quelle manière ? A divers degrés. Tous les humains ne sont pas pratiquants mais peu sont vraiment absolument « en-dehors » de tout environnement religieux. Les « croyances » sont elles-aussi très variées dans leur expression et leurs conséquences sur la vie quotidienne. Je précise que je parle bien ici de « religion » et pas de spiritualité. Les deux sont souvent liés, mais une vie spirituelle peut se concevoir et se pratiquer en-dehors d’un cadre religieux. C’est le cas par exemple, de certaines pratiques occidentales qui s’emparent à leur façon de spiritualités orientales…
Reprécisons aussi, pour être bien clair, que nous désignons par « religion » la mise en valeur (la connaissance et reconnaissance) d’un corpus de textes de lois et de préceptes (le « Livre » ou « les enseignements »), généralement donnés par une instance divine par l’intermédiaire d’un « prophète » humain, et qui concernent tous les moments de la vie. L’adhésion à ces « commandements » (venus d’en haut) va de pair avec l’inscription identitaire et culturelle dans une communauté de membres qui partagent la même croyance et adoptent les mêmes rites. On voit bien que cette définition renvoie plus particulièrement aux religions monothéistes et à leurs disciples (chrétiens, musulmans, juifs). Ce sont elles principalement qui sont étudiées (« visées ») en effet. Pourquoi ? Parce que sont celles que je connais le mieux, celles dont j’ai été toujours environné, et celles qui, à mes yeux, constituent un danger encore plus grand que les religions polythéistes. Il faudrait prendre le temps de comparer par exemple le polythéisme gréco-romain (et sa mythologie foisonnante, sa diversité narrative) et les trois monothéismes (et leur Livre unique, à interprétations multiples) pour en mesurer les effets et leur gravité.
Dans son sens étymologique, la religion est un double « lien » : avec un être transcendant (lien vertical), avec les autres membres de la communauté de croyants (lien horizontal). Théoriquement, ou alors c’est une erreur de ma part, ce « lien » religieux a pour vocation de s’étendre à tous les humains, toute l’humanité. Le message doit être reçu par tous et partout. Pour le meilleur… ou pour le pire. Il ne faudra pas oublier cette « logique » religieuse, la logique de « conversion », quand nous aborderons le cas de la religion islamique. Car cette « logique » s’applique néanmoins de manière très diverse selon les religions monothéistes et selon les époques.
Premier élément de gravité : le fait religieux est donc, par principe, « totalitaire », puisqu’il concerne (veut s’appliquer à ) tous les moments de la vie, toutes les activités humaines. Si Dieu existe, rien n’est plus important : il est donc « logique » que tout s’y réfère, que tout soit « concerné ». Si Dieu existe il est « logique » que tout le monde le connaisse. Totalité des humains, totalité de la vie humaine. D’autant plus quand Dieu est mono, unique, parfait (donc non modifiable). D’autant plus quand tout est écrit dans un « Livre » unique.
Tous les humains ne se sentent pas concernés de la même manière par l’influence religieuse. C’est vrai. Mais, répétons-le, peu y échappent totalement. Même si on voulait s’en tenir à l’écart, d’ailleurs, le pourrait-on ? La « gravité » du fait religieux se confirme là. Non pas que les religions aient d’emblée des conséquences tragiques puisqu’elles proposent des guides de vie (et des guides d’après la vie), mais parce qu’elles concernent (au moins potentiellement) tous les domaines de cette vie, parce qu’elles sont ainsi à la fondation de la plupart des « cultures » et même, au-delà, des « civilisations »… Nous y reviendrons plus longuement mais rappelons dès maintenant le lien entre religion et culture parce qu’il est selon moi le « marqueur » essentiel (et spécifique) de la gravité du phénomène religieux.
Qu’est-ce que la culture dans sa signification sociologique ? Un ensemble de normes, de valeurs, de modes de vie, partagés par une communauté et qui définissent (voire identifient) ses membres. Qu’est-ce que la culture dans sa signification philosophique ? Ce qui se distingue d’un supposé état de « nature », toutes les « transformations » que l’homme a fait subir à cet ancêtre prétendument « naturel » comme l’agriculteur qui cultive le sol.
Quels sont les éléments constitutifs d’une culture humaine ? Pour le savoir il suffit de parcourir le programme de philosophie des classes terminales. Sous l’intitulé « culture » nous trouvons : le langage, l’art, le travail, la technique, l’Histoire et… la religion. On pourrait y ajouter deux autres notions du programme : la politique (la relation à l’Etat, le droit, la justice), la société et ses échanges (l’économie, la vie sociale), mais l’individu n’entretient pas avec ces deux domaines de l’existence commune les mêmes liens « identitaires ». Il a bien sûr besoin d’appartenir à une société dont dépend en grande partie sa survie, mais la culture le fonde à la fois comme membre d’une communauté et comme individu riche de cet héritage (puisque la culture, certes toujours potentiellement évolutive, reste essentiellement affaire de transmission).
Appartenir à une culture c’est donc parler une certaine langue, connaître des traditions et créer des formes symboliques (art), avoir un certain mode de vie (travail, techniques), un passé collectif (Histoire), un certain rapport avec la pensée d’une transcendance et avec la mort (religion).
Pour mesurer la gravité, au moins potentielle, du phénomène religieux, il faut mesurer la place que tient la religion dans la constitution d’une culture. Car nous comprenons que ce qui touche la culture est nécessairement grave puisque cette culture fonde l’individu et fonde les diverses communautés humaines.
Quel est l’impact de chacun des éléments constitutifs d’une culture ? Mesurons la place de la religion dans une culture humaine. A y regarder de plus près, on s’aperçoit très vite que la religion est le domaine qui peut englober tous les autres. Son « impact » (son influence) est donc, au sens propre, primordial (de première importance) et essentiel (touche « l’essence » de l’individu).
Pour le prouver, prenons à nouveau un exemple. Reparcourons rapidement 1500 ans de christianisme… Nous avons là un exemple que nous connaissons bien, inscrit dans l’Histoire, et vis-à-vis duquel on ne pourra pas nous suspecter de préjugés.
4) L’exemple du christianisme.
Rappel des faits. D’abord prêchée par un seul homme (se faisant modestement appeler « fils de Dieu ») et quelques fidèles disciples qui ont écrit sa légende et ses paroles (Evangiles), cette doctrine religieuse a très rapidement pénétré tous les secteurs de la vie commune et individuelle.
Le christianisme a très vite pactisé avec le pouvoir politique (ou l’inverse, mais les conséquences sont les mêmes) : après la conversion de l’empereur romain Constantin (an 313) qui abandonne sa mythologie plurielle pour adorer un seul Dieu tout puissant par l’intermédiaire de son fils « fait homme », puis la conversion du franc Clovis (an 506), les rois de France (et d’Europe) fonderont leur pouvoir sur un droit « divin ».
Petite digression. Le Président des Etats-Unis, qui n’est pas un roi, prête encore aujourd’hui serment sur la Bible et les dollars rappellent que « In God we trust ». Les soldats nazis portaient sur leur boucle de ceinture « Gott mitt uns » « Dieu avec nous ».Tout les pouvoirs temporels veulent mettre Dieu (le prétendu pouvoir absolu et éternel) de leur côté...
La religion chrétienne (et ses valeurs, et ses commandements) est donc très rapidement au cœur du pouvoir politique et au centre de la société pendant tout le Moyen-Age, et, d’une manière peut-être moins influente, jusqu’au XXème siècle (et la fameuse loi de 1905 sur la séparation entre l’Eglise et l’Etat, qui ne sépare pourtant pas tout).
De fait, rien n’échappe à la religion quand elle est installée, implantée dans une société. Elle en devient le pivot, la fondation. Proposant des réponses simples à des questions essentielles et existentielles, la religion détermine très rapidement un mode de vie dont elle se propose de régler tous les moments, de la naissance à la mort, en passant par le mariage et la construction familiale…
Pour montrer l’impact d’un phénomène religieux il suffit donc de regarder, très objectivement, cette période que les historiens ont appelée Moyen-Age (du 5ème au 15ème siècle). Prenons, point par point, domaine par domaine, tous les éléments de la vie sociale et voyons la place qu’y a tenu la religion chrétienne. Pour des exemples précis dans tous ces domaines, on peut se référer au très documenté Décadence de Michel Onfray (2017).
La politique? Pouvoir de droit divin, complicité totale entre pouvoir politique et pouvoir religieux.
La justice ? Rendue au nom de Dieu par des tribunaux religieux (l’Inquisition). La loi de Dieu prime sur les lois des hommes.
La philosophie ? Remplacée par la théologie (quels philosophes au Moyen-Age ? Dans les livres de philo de Terminales : Saint-Augustin, Saint-Thomas d’Aquin, hommes d’Eglise, et le seul Averroès, musulman « éclairé »). Remarques : en 529, l'empereur chrétien Justinien fait interdire l'enseignement de la philosophie (païenne) à Athènes. En 1189 le sultan Abû Yûsuf Yaqûb Al-Mansûr fait interdire la philosophie, les études et les livres au Maroc et en Espagne (Averroès et son œuvre sont visés).
L’art ? Au service du sacré. Sujets religieux exclusivement. Pudeur imposée. Il faudra longtemps avant que les Vierges deviennent des femmes (Florence, quattrocento), que les fonds dorés des icones deviennent des paysages, que l’on puisse représenter la vraie vie des vrais gens (peintres flamands XVème siècle)…
L’architecture ? Eglises et cathédrales essaiment dans toutes les cités et en deviennent le centre névralgique (idéologique, commercial, social). Monuments durables (aujourd'hui encore) et intouchables.
Les symboles, la « communication » ? Des croix (logo parfait : simplicité, identité, reproductible facilement) partout, à tous les carrefours, dans les campagnes et les villes, sur tous les supports. Publicité (propagande) imparable et "marketing" hyper efficace. L’espace est religieux.
La journée ? Rythmée par l’appel des cloches, le calendrier (dimanche : jour du Seigneur) et les fêtes religieuses. Le temps est religieux.
L’armée ? Au service du pouvoir donc de Dieu, partant en guerres saintes pendant des siècles. Relire aujourd’hui « La chanson de Roland » (XIème siècle) montre la proximité totale avec les termes des « guerres saintes » invoquées à notre époque : « Si vous mourez, vous serez de saints martyrs/ Vous aurez des sièges au plus haut paradis » (vers 1133-1134).
La vie quotidienne (usages) et la morale (mœurs) individuelle ? Gouvernées par les commandements religieux et la notion de « péché ».
Les traditions ? Plus de traditions païenne (célébrations des saisons par exemple) mais des fêtes et des rites religieux.
Le langage ? On pourrait penser qu’il échappe à cette influence mais la religion chrétienne a sa langue « officielle », le latin, qui n'est pas parlé par le peuple et devient aussi la seule langue administrative et juridique (jusqu’en 1436 et le traité de Villers Cotteret qui permet au « français », une langue d’oï, de devenir aussi langue d’Etat). Et puis la religion a son langage codé (en plus du codage latin) : la prière, la litanie.
Les sciences ? Suspectes car rivales du créateur divin. Les savants sont poursuivis pour hérésie.
L’éducation ? Confiée à des religieux jusqu’au 19ème siècle et l’école enfin « laïque » de Jules Ferry.
Les livres ? Aux mains des moines copistes. Lire ou voir (roman et film) le magnifique « Le Nom de la Rose » de Umberto Eco et Jean-Jacques Annaud.
La littérature ? Romans de chevalerie, en quête d’un Graal divin, ou récits d’autres héros chrétiens et de leurs exploits (chanson de « geste ») en guerres saintes (Roland, voir plus haut).
Le premier livre imprimé ? La Bible. Livre unique. Religion du Livre pour laquelle les autres livres sont suspects, censurés, et parfois mis aux « Enfers » des bibliothèques (l’œuvre de Gide par exemple est encore aujourd’hui mise « à l’index » par le Vatican).
Les autres « cultures » et les peuples mécréants (qui ont d’autres croyances) ? Convertis de force, voire génocidés si nécessaire. Exemple des Indiens d’Amérique du Sud et leurs « missionnaires »…
Le personnage le plus important de l’Europe chrétienne ? Le chef religieux, le Pape (qui est à la tête d’un Etat, le Vatican, mais a, de fait, autorité sur tous les souverains monarchiques).
Les femmes ? Reléguées au second rang. Toujours suspectes, souvent sorcières. Soit soumises, soit « putes » (impures), soit « sorcières ». Patriarcat religieux ultra autoritaire. Séparation des hommes et des femmes dans la plupart des lieux publics et bien sûr dans les édifices religieux.
Les habits ? Foulard sur les têtes des femmes et pudeur décrétée obligatoire (« Cachez ce sein que je ne saurais voir » dit Tartuffe, le (faux) dévot de Molière).
L’économie : une Eglise (structure qui encadre la pratique religieuse) qui joue un rôle essentiel dans les rouages financiers et qui récolte des richesses prodigieuses notamment grâce à la formidable manne des "pèlerinages" ou des "indulgences ", et hérite de patrimoines faramineux,
L’humour ? On ne plaisante ni avec Dieu ni avec ses Saints. Le blasphème est passible de condamnation à mort (toute ressembalnce avec notre époque n'est pas une coïncidence...).
Je suis toujours étonné qu’on ne prenne pas vraiment conscience de cette chape de plomb religieux que fut le Moyen-Age européen. Rien de ce qui fait une culture, dans tous ses éléments, n’a été dans ces siècles de christianisme européen, épargné par l’influence de cette religion. Ce seul « exemple », parfaitement décrit et indiscutable, devrait suffire à nous alerter et nous obliger à tenir pour potentiellement très « grave » l’inscription d’une religion dans une culture.
Après 1300 ans de pensée unique, c’est en redécouvrant les textes de l’Antiquité, grâce à certaines circonstances historiques (timidement au 13ème siècle avec la relecture d’Aristote par Averroès, encore lui, avant qu’il soit exilé par « les docteurs de la loi », puis plus franchement aux 15ème, 16ème siècle) que l’Europe commence à « renaître » et à entamer un très long et très lent phénomène de recul du pouvoir religieux. Insistons : long et lent. Giordano Bruno, théologien et philosophe, a été brûlé vif en 1600 pour athéisme et hérésie (et le Vatican refuse toujours de le réhabiliter). Galilée est condamné en 1633 pour sa théorie de l’héliocentrisme. Ce ne sont que deux exemples célèbres parmi les martyrs de la pensée soumis à la dictature religieuse. Lent et long : même la Révolution française, malgré des méthodes radicales, ne parviendra pas à éradiquer l’influence religieuse, pas plus d’ailleurs que 80 ans de communisme dans les pays orthodoxes…
Lent et long : en a-t-on d’ailleurs fini ? Même si les Eglises chrétiennes semblent se vider, d’autres se remplissent (les Evangélistes par exemple). Et puis le passé est toujours là. Nous vivons au milieu de paysages ponctués d’édifices religieux, de croix, de musées où nous retrouvons des peintures à sujets religieux et bibliques. Nos jours de fêtes ont toujours une origine religieuse, et nos principales traditions aussi. Autrement dit le christianisme est notre passé, nos racines, notre grand récit, c’est à dire notre Histoire commune, élément essentiel de ce qui fait une culture. Et même les athées n’y peuvent rien. Ils vivent eux-aussi, malgré eux, dans un environnement encore empreint de « culture religieuse ».
Répétons-le, car l’argument est capital : une religion est totalitaire. Rien n’est plus totalitaire. Elle veut prendre en compte la « totalité » des activités de l’existence. Le christianisme le fut avec un succès que son fondateur lui-même, peut-être, n’aurait jamais imaginé, qu'il n'aurait peut-être même pas voulu ainsi… Une religion, ce n’est pas une mode, qui passe, ou même une idéologie politique incarnée dans un leader charismatique, qui trépasse. On change facilement d'opinion, pas de religion.
Certains objecteront que l’on confond société et culture et que la religion n’est qu’un élément « parmi d’autres » qui fonde une communauté. Je veux montrer ici que selon moi la religion n’est justement pas un élément constitutif « comme les autres » dans une culture.
L’exemple du christianisme n’est pas unique, évidemment. Nous pourrions faire le même constat avec d’autres religions qui ont eu, comme dans l’Occident chrétien, un tel « impact » qu’elles ont fondé là-aussi, plus que des cultures, des « civilisations » (c’est à dire une culture étendue dans l’espace et le temps) : Bouddhisme et Hindouisme en Asie, bloc orthodoxe en Europe de l’est, et surtout, nous y arrivons, Islam un peu partout, parti à la conquête du monde à partir du foyer historique du Moyen-Orient (ce qui est la logique d’une religion révélée : puisque Dieu est parfait, puisqu’il est la Vérité, tout le monde doit le connaître et l’admettre et se soumettre, de gré ou de force). Si Dieu existe, en effet, rien n’est plus important, rien ne peut se mesurer à lui, rien ne peut s’opposer à lui.
Et cela d'autant plus que les religions s'emparent de la notion de "sacré" de manière exclusive. Toutes les civilisations se sont construites sur un certain sens du « sacré », et les religions ont donc un rôle majeur dans la constitution de ces « blocs » culturels. « Qu’est ce qui est sacré ? » est la question clé pour définir une civilisation, pour définir ses « valeurs ». Et on ne touche pas à la "valeur" du sacré. Nous en reparlerons plus loin.
L’homme est un être de culture et qu’il le veuille ou non il est inscrit dans une civilisation. Si la religion constitue le fondement de cette culture, elle va donc constituer l’essentiel de la vie de l’individu et organiser l’essentiel de la vie collective à l’intérieur d’une communauté basée principalement sur cette identité religieuse. A une très grande échelle. Et pour très longtemps. L’exemple de la culture judéo-chrétienne, européenne, que nous avons pris parce que nous le connaissons bien, parce qu’il est, précisément, notre « culture », devrait nous faire prendre conscience de l’impact du phénomène religieux et donc de sa « gravité ».
Pour l’instant, concluons provisoirement. Pourquoi le phénomène religieux est-il grave ? Parce qu’il concerne tous les éléments d’une culture et parce que la culture est ce qui nous définit, nous identifie, collectivement et individuellement. Parce qu’il détermine ce qui est « sacré » donc intouchable. Parce qu’il est l’axe central de toute civilisation.
5) Un autre indicateur.
Nous avons analysé la gravité d’un phénomène en fonction de son impact, de l’étendue (espace et temps, place dans la culture) de ses conséquences. Il y a un autre indicateur de « gravité », c’est celui de la capacité de ce phénomène à se propager, à se diffuser. Si un phénomène touche un domaine étendu mais qu’il ne se propage pas, il pourra être, en quelque sorte, « cerné » et restera toujours, au sens propre « limité » (que ces limites soient des frontières, des types de groupes humains, ou autres). Si on pense que le phénomène observé n’évoluera plus, restera en quelque sorte « figé », ou ne pourra pas s’adapter à un autre territoire (c’est le cas par exemple des espèces végétales invasives), sa gravité sera moins importante. Il s’arrêtera de lui-même. Ou bien l’on pourra mettre en œuvre les conditions de sa non-propagation. Si on défriche une colline, le feu ne passera pas par là.
Ce critère est très important : il détermine l’évolution possible d’un phénomène en dehors de son impact mesuré à l’instant t. La gravité d’une épidémie dépend des vecteurs de contamination et de la rapidité de sa diffusion. Voilà pourquoi on redouta tellement la peste et le choléra. Voilà pourquoi l’OMS veille tellement sur les risques de « pandémie », et pourquoi le SIDA, comme toutes les maladies sexuellement transmissibles, est une maladie grave, et pourquoi nous redoutons aujourd’hui des virus qui peuvent devenir incontrôlables (Ebola par exemple), autrement dit à portée illimitée. Un accident nucléaire est plus « grave » par ses conséquences à long terme et les réactions en chaîne possibles que par son impact immédiat.
Les deux premiers phénomènes analysés plus haut et donnés comme exemples sont mesurables selon ce paramètre. Que dire de la « propagation » de la pollution ? Pensons aux perturbateurs endocriniens, aux substances cancérogènes, aux pesticides… Oui, c’est grave. Et le capitalisme ? Pensons aux puissants leviers publicitaires et médiatiques, à la « contamination » mondiale d’un consumérisme qui uniformise (les mêmes marques et produits partout) et transforme les modes de vie. Pensons aux nouveaux outils informatiques qui permettent une accélération des mouvements boursiers (à la nanoseconde) et trouvent ainsi de nouveaux « vecteurs » pour une financiarisation de l’économie. Oui, c’est grave.
Et les religions ? Il n’est pas difficile de prouver leur capacité à se « répandre », à « contaminer » un nombre illimité d’êtres humains. Et ceci d’autant plus qu’aujourd’hui les nouvelles technologies leur offrent un nouveau vecteur de contamination très efficace : internet et les medias. Plus besoin, pour convertir, de prendre un bateau et d’aller au bout du monde après un voyage périlleux. Plus besoin d’être un « missionnaire ». Une connexion internet suffit. Potentiel immense. On savait que la mondialisation des échanges et des transports pouvait être un vecteur de transmission des maladies (dans les avions voyagent les moustiques tigres ou le mouches tsé-tsé). Cette interconnexion universelle a aussi pour conséquence la propagation rapide d’une pensée, d’une idée, sans limites puisque les frontières géographiques ou politiques ne peuvent y faire barrage. Comment mettre une idée en quarantaine ? Ajoutons l’effet tam-tam des medias modernes qui amplifient l’impact. Le phénomène se diffuse d’autant plus facilement que chaque expression de ce phénomène est relayée par ces médias qui en sont alors des « porteurs ». Les terroristes, extrémistes d’une religion, jouent pleinement avec ces nouveaux moyens de diffusion et savent que la moindre de leur action pourra être véritablement « retentissante » par l’effet médiatique, frapper ses ennemis de « stupeur », et laisser ainsi comprendre (ou faire craindre) que tout et tout le monde peut être touché.
Par sa capacité à se diffuser rapidement et en dépit de toutes les barrières possibles et de toutes les « protections » mises en place, nous devons bien reconnaître que la pensée religieuse a une capacité « virale » bien supérieure aux autres influences intellectuelles et culturelles. Elle n’a, pour se diffuser, même pas besoin de la force, contrairement aux idéologies politiques, et elle se répand d’autant plus facilement que son discours est simpliste et peut donc potentiellement toucher tous les esprits…
Une religion c’est une épidémie de la pensée pour laquelle, de toute évidence, nous n’avons pas encore trouvé de vaccin… Et cela est d’autant plus vrai quand cette aptitude à se « répandre » est présentée dans le corpus de textes fondateurs comme un objectif et un devoir. Oui, c’est très grave…
6) L’indicateur essentiel.
Mais il y encore plus grave, si j’ose dire… Nous ne mesurons peut-être pas encore correctement les divers phénomènes. Nous avons jusque-là mesuré leur gravité en fonction de deux paramètres : d’abord l’étendue des conséquences, puis leur capacité de propagation. Nous avons oublié un 3ème instrument de mesure, un indicateur essentiel : la réversibilité.
Pourquoi la mort est-elle le « phénomène » qui inquiète et effraie le plus l’être humain ? Parce qu’il est fondamentalement (jusqu’à aujourd’hui en tout cas) irréversible. Un malade s’inquiète mais peut toujours espérer une guérison et se soigner. Retrouver un état de santé antérieur ou au moins en partie. La mort est sans retour. C’est à ce point « grave » pour l’homme que les religions, justement, ont fondé là-dessus leurs mythologies pour continuer à imaginer une suite, une sorte de réversibilité (voire même de gain : la vie « éternelle », les divers paradis). Cette irrévocable et définitive irréversibilité fait de la mort, pour l’homme, le phénomène le plus « grave » (sans même considérer l’aspect affectif et les souffrances associées). Reprenons alors nos exemples ci-dessus.
Les phénomènes de pollution et le changement climatique sont-ils irréversibles ? Les pays essaient de s’organiser pour renverser le cours des choses ou minimiser l’impact. Il est peut-être trop tard, mais on peut agir. Les comportements peuvent changer. Ils relèvent d’un souci pragmatique de conservation, de prolongement de notre existence collective. S’il s’avère, comme on l’entend dans la bouche de certains spécialistes, que le phénomène est irréversible, alors oui, c’est encore plus grave que ce que nous pensions. A moins de considérer que l’homme a des capacités d’adaptation. A moins de fuir sur une autre planète. A moins de faire confiance à ce qui est peut-être une nouvelle « religion » moderne et technologique : le transhumanisme. A moins d’accepter de laisser la place à des robots à intelligence artificielle. Bref, oui, c’est grave. Mais notre mode de vie occidental est justement en train d’évoluer vers des comportements un peu plus éco-responsables qui deviennent de nouveaux éléments de notre culture. Au moins, on tend, on aspire à, on travaille à, une réversibilité ou, au moins, des alternatives.
La partie est mal engagée, mais pas perdue. L’homme a toujours fait preuve d’incroyables capacités d’adaptation, d’innovation. Il inventera peut être demain les antidotes pour se constituer un environnement viable et durable. Il colonisera peut-être d’autres planètes… Et puis certains lieux de la planète semblent contredire la modélisation du réchauffement (voir Sciences et vie, octobre 2017)… On peut imaginer un « effet papillon » qui renverserait la perspective climatique…
Quid du capitalisme ? Est-il réversible ? Remarquons déjà qu’il n’est finalement qu’un phénomène très récent. Cela plaide en sa transformation possible. Le capitalisme n’est peut-être qu’un état très transitoire de notre Histoire. Une religion nouvelle : celle de l’argent. Avec ses prêtres, ses rites, ses grandes messes, ses cathédrales (les centres commerciaux), ses commandements, son intrusion dans tous les éléments de notre culture… Si c’est une religion vraiment, et universelle, alors c’est grave. Nous savons pourquoi. Mais nous savons aussi, nous l’avons déjà dit, que le capitalisme doit, par essence, laisser un espace de liberté à ses disciples, faute de quoi la liberté économique est impossible et le système s’écroule. Voilà pourquoi, même si la lutte continue, je ne rêve pas d’une « lutte finale », car je crois que le capitalisme est un phénomène certes très grave, aux conséquences capitales sur l‘ordre du monde et la vie de milliards d’individus, mais on peut penser qu’il évoluera inéluctablement. Et puis n’oublions pas que ce système économique si déterminant pour nous reste (au moins en partie) dépendant du pouvoir politique et que ce pouvoir politique n’est pas irréversible au moins dans nos démocraties occidentales (même si certains pensent que cette démocratie est elle aussi un leurre). A nous alors d’imaginer un « autre » système, d’emporter l’adhésion d’une majorité, et de le concrétiser. Y a du boulot… mais en soi, c’est envisageable.
Globalement, et historiquement, les phénomènes politiques et les modèles économiques sont assez facilement réversibles. Qui aurait imaginé la chute du mur de Berlin et l’effondrement d’un système (le communisme) pourtant implanté dans tant de pays et qui a duré près d’un siècle ? La ségrégation raciale instituée aux USA ou en Afrique du Sud a fini elle aussi par s’écrouler (au moins officiellement), comme se sont écroulés tant de tyrans que l’on croyait indéboulonnables. On a su, aussi, se débarrasser du nazisme, et ensuite se réconcilier avec l’Allemagne. Gravité des faits. Tragédie des guerres mondiales. Mais réversibilité. La guerre a pu défaire ce que la guerre avait fait.
Et une religion ? Drôle d’épine dans le pied… Une vie ne suffit pas à l’enlever. Et même mille vies. Et même 2000 ans. Comment se défaire de traditions implantées, d’usages séculiers, de bâtiments si anciens ? Nous avons vu à quel point une religion n’est pas un simple élément parmi d’autres d’une culture humaine mais son élément essentiel (d’où leur succès : sans religion, l’homme se sent démuni).
Une religion, ce n'est pas "une mode". Par principe la mode est réversible ("La mode c'est ce qui se démode" disait Coco Chanel). La religion ne se démode jamais. Je refuse l'objection selon laquelle certains jeunes porteraient aujourd'hui ostensiblement des signes religieux comme d'autres des accessoires de mode. Je réfute l'objection qui fait l'analogie entre un "asservissement" aux codes consuméristes (talons ou maquillage pour les femmes par exemple) et le port d'un vêtement à connotation religieuse. Dire cela est dangereux et irresponsable car c'est nier la puissante potentielle de l'impact religieux sur la vie individuelle et sociale. Non, porter (par exemple) le voile ou mettre un piercing, ce n'est pas pareil : les conséquences ne sont pas les mêmes. Cela ne relève pas du tout du même engagement, de la même signification. Non, porter le voile ou une plume dans le cul, ce n'est pas pareil.
Nous l’avons dit : chaque religion se nourrit de sacré. Le sacré est intouchable. Une fois que quelque chose est décrété sacré, qui osera le profaner ? Le sacré est irréversible. Les Russes ont touché aux statues de Staline, mais pas aux icônes. Les Irakiens ont abattu les statues de Saddam Hussein, ils ne toucheront jamais aux mosquées. Nos cathédrales sont là depuis des siècles. Pour combien de temps verrons-nous les minarets dans nos paysages ? Il est très facile de changer un paysage, d’abattre toute sorte de bâtiments. Il est impensable de toucher à un monument religieux. On ne revient pas en arrière après l’implantation d’une religion. Même vides, les églises restent debout. Et on visite leurs ruines…
Je résume. Le phénomène religieux est donc particulièrement « grave » parce qu‘en plus de son impact culturel et universel, en plus de sa formidable capacité virale de propagation, il est irréversible. Autrement dit, quand une religion s’implante, c’est pour longtemps, voire toujours. On ne s’en défait pas. On ne s’en sort plus. C’est une habitude prise par une communauté étendue. Une routine collective. Un ancrage civilisationnel. Bien plus qu’un simple « opium des peuples » (Marx), c’est un virus très virulent. On ne démolit pas une croyance, fondée sur de l’irrationnel. Dieu est grand, mais muet. Ses prophètes se chargent de le faire parler. Même les philosophes ne suffisent pas à faire taire les prédicateurs. Nietzsche a eu beau affirmer à l’orée du XXème siècle que « Dieu est mort », les religions continuent de peser de tout leur poids sur les humains qui, c’est vrai, ne peuvent pas vivre en apesanteur, ni physique, ni mentale, ni morale…
2ème partie : Le cas de l’Islam.
Interrogeons maintenant le cas de l’Islam comme illustration de cette « gravité » du fait religieux. Nous verrons que d’autres indicateurs de mesure montrent comment l’influence de cette religion pèse sur nos sociétés modernes. Est-ce pour autant un problème ?
1) Un cas exemplaire.
Si l’on applique les mesures de la gravité au cas de l’islam, il se révèle exemplaire. Un modèle de gravité. En effet, personne ne doute de son impact, avéré depuis longtemps et qui s’accélère ces dernières décennies. Je ne pense pas ici particulièrement aux attentats terroristes. Non que je minimise leur « gravité » (impact terrible et très large, amplifié par les médias, les terroristes l’ont très bien compris et ciblent leurs actions à cet effet). Non que ce soit un épiphénomène. Mais je veux parler d’une influence religieuse qui se joue un peu partout, surfant sur une culture déjà bien ancrée dans les populations qui ont plus ou moins des racines dans les terres traditionnelles de l’Islam, jouant habilement avec les problèmes identitaires de ceux qui, précisément, sont en manque de repères (et souvent de « pères ») et à qui on propose des solutions simples et rattachées à une forte identification communautaire.
Je ne veux pas, ici, m’attarder sur les preuves de cette progression de l’influence religieuse dans notre pays (comme dans bien d’autres). Je pourrais convoquer de très nombreux témoignages de ceux qui sont confrontés quotidiennement (professeurs, éducateurs, médiateurs, travailleurs sociaux etc..) à cette réalité qui n’est pas uniquement liée, comme on le dit volontiers par aveuglement volontaire ou idéologique, à des problèmes sociaux ou géopolitiques. Non, le problème est culturel, nous l’avons dit et il faut le répéter !
L’Islam est une religion totalitaire, comme toutes le sont nous l’avons déjà dit, et historiquement peut être encore plus que d’autres (parce que plus « jeune » ?). L’Islam n’est pas une simple religion « de plus ». Plus encore que dans le cas des autres religions, l’Islam fonde une communauté et une civilisation. Comment se fait-il que nous ayons du mal à penser un « arabe » (terme évidemment générique et incomplet) non musulman ou athée ? Comment se fait-il qu’un jeune garçon né en France et vivant dans une République laïque se définisse d’abord comme musulman avant toute autre caractéristique quand on l’invite à se poser la question philosophique par excellence : qui suis-je ? (débat philo cité Campagne Lévêque animé par Marc Rosmini, juin 2017).
C’est grave ? Oui, c’est grave. Pour les raisons que j’ai dites. Parce que l’ancrage religieux est irréversible, et que nous sommes donc à la croisée des chemins. Que ce serait il passé si le romain Constantin n’avait pas cédé à la pression et au sentiment de culpabilité, suite aux massacres des premiers chrétiens ? Que ce serait il passé s’il ne s’était pas converti ? La face du monde en aurait été changée puisque l’on a vu quelles conséquences l’emprise chrétienne a eu sur la civilisation romaine et son empire pourtant « mondial ». Petites causes, énormes effets.
Il est donc possible d’imaginer le même scénario : un « empire » occidental contaminé par une religion prospère (les richesses des pays du Golfe ont été déjà largement investies dans les pays non musulmans comme la France) et extrêmement virale. Une religion qui prendrait ainsi une place essentielle dans notre vie puisque, on l’a vu, sa vocation est de régler tous les domaines de l’existence. Et cela d’autant plus que la religion dominante jusque-là (le christianisme) est peu à peu abandonnée.
Il se trouve que cette religion « nouvelle », c’est l’Islam. Je n’y peux rien. Je ne vis pas au Moyen-Age. Et si je vivais à Rome au 4ème siècle je serais probablement traité de « christianophobe » parce que je me battrais contre l’influence nocive de quelques activistes (très peu nombreux !) dont la petite secte est en train de changer la face du monde uniquement en s’appropriant la majorité dans l’influence religieuse, dans l’espace public, en s’associant au pouvoir politique et en imposant ses valeurs, ses usages, ses normes, en transformant ainsi pour des millénaires la culture d’un énorme espace civilisationnel.
Cette religion est prisonnière de ses excès mais prisonnière aussi de sa nature de facteur identitaire, facteur communautaire, et principal marqueur culturel. Au fond l’islam est une religion qui a le tort d’être trop bien une religion. L’islam est une religion qui a le tort d’être trop « parfaite », de trop bien « fonctionner ». Voilà pourquoi c’est grave : de toutes les religions celle-ci est la plus « religieuse », donc potentiellement la plus « grave », celle qui risque de peser le plus sur l’humanité parce qu'elle est aussi, dès son origine, une idélogie conquérante...
Le mot "conquête" peut paraître choquant ou excessif. Il ne s'agit pas ici des formes seulement violentes , celles par exemple des terroristes ouvertement en guerre contre l'Occident et les "mécréants". Une conquête peut prendre aussi d'autres formes. Prenons dès maintenant l'exemple du voile et autres déclinaisons de la panoplie religieuse que portent parfois les femmes musulmanes. Je ne voudrais pas engager ici le débat sur la justification du voile, la part de consentement de la femme qui le porte. Notons seulement qu’il y aurait, vraiment, beaucoup à dire, surtout en écoutant toutes celles qui le portent dans des pays à majorité musulmane. J’ai beaucoup voyagé, et ce que j’entends à l’étranger est étonnamment plus sévère que ce que j’entends dans notre société française, surtout dans certains milieux intellectuels. Laissons donc pour l'instant la question du « sens » du voile et de sa « libre adhésion » et intéressons-nous à celui de sa simple généralisation. Et posons la question de manière plus globale : que se passe-t-il quand un phénomène se « généralise » ? Quand de marginal il devient principal ? Quand d'original il devient "normal" ?
La question de la « généralisation » nous renvoie au sens premier de « progrès », celui de « progression », c’est à dire une simple « avancée », sans jugement. Cette analyse (et mesure) de la progression et de la normalisation de certains comportements dans une société ramènent encore, nous allons le voir, à la question de la gravité.
2) Usage et norme.
Nous avons vu qu’un indicateur important de la gravité d’un phénomène est la capacité à se propager. Nous n’avons peut-être pas assez analysé comment un comportement se généralise dans une société. Comment un phénomène « progresse-t-il » dans une culture ? On oublie très souvent une vérité très importante : l’usage fait la norme. Dans tous les domaines. L’exemple le plus simple pour le prouver est celui de la langue.
Une erreur répétée devient presque toujours la norme. Une déformation fréquente devient une régularité. Ce fut le cas avec le latin des romains transformé par les colonisés gaulois qui en firent un « bas-latin » (ou latin vulgaire c’est à dire parlé par tous) qui devint l’ancien français. De même ce sont les déformations phonétiques successives des locuteurs de cette langue (qui n’est jamais fixée définitivement) qui ont au fil des siècles abouti à notre prononciation actuelle. Elle-même susceptible d’évoluer en fonction des usages et des déformations les plus fréquentes.
Aucune autorité ne peut lutter contre l’usage quand il devient répandu. Elle peut seulement retarder, résister, minorer, mais rien n’y fait finalement. Ainsi aujourd’hui beaucoup de gens croient que la forme juste de l’adverbe « voire » est « voir », que l’on doit dire « un espèce » et non « une espèce », ou écrire le subjonctif « que je vois » au lieu de « voie » … De même il semble naturel et donc « normal » d’utiliser désormais la 2eme personne du singulier (« quand tu vas mal ») au lieu de « nous » ou « on » (« quand on va mal »), forme qui s’est imposée jusque dans un registre courant alors qu’elle n’était d’abord que très familière…
On ne peut pas lutter, et les professeurs de français ne peuvent endiguer l’influence de l’usage de ces formes fautives qui deviennent la nouvelle norme (assez rapidement attestée d’ailleurs par les manuels eux-mêmes, de même que les dictionnaires sont bien obligés d’enregistrer les néologismes « en usage » dont les nombreux anglicismes par exemple). Pourtant la langue est notre outil le plus précieux, un élément capital de notre culture. On pourrait penser qu’elle n’est pas à ce point « influençable », qu’elle est forte, qu’elle a pour elle sa très longue histoire et ses « défenseurs ». Mais au bout du compte c’est toujours l’usage qui gagne, même fautif, même étranger… Les mots de l’informatique sont tous anglais alors qu’une commission (normative) avait proposé des équivalents français. Les locuteurs ont choisi « marketing » au lieu de « marquétique ». On dit rarement « courriel » auquel on préfère « mail ». Impossible ensuite de revenir en arrière. Quand un terme est passé dans l’usage, en utiliser un autre isole et distingue le locuteur qui inévitablement va… se soumettre à cette nouvelle norme…
Pourquoi ce long exemple de la langue ? Parce qu’il en est de même pour les mœurs. Le mariage des homosexuels est devenu possible après que l’homosexualité est devenue de plus en plus « visible », de plus en plus « courante », de plus en plus « en usage »… Tant mieux ! direz-vous. C’est un progrès (ou du moins on peut le considérer comme tel) ! Il ne s’agit pas de juger, mais de rappeler comment la norme s’adapte à l’usage qui lui dicte, à un moment ou à un autre, sa loi. Loi fondée tout simplement sur un effet de nombre, sur une progression visible et une présence et visibilité dans l’espace public, dans la société. Tout est question de proportion. Ce genre de transformation s’effectue sans violence, et presque toujours « en douceur ». Il suffit d’occuper le terrain… Comme le font les dealers dans certaines cités. Il suffit de remplacer systématiquement un mot par un autre. Au bout d’un moment, l’effet s’accentue, l’usage s’amplifie, et la norme plie…
En termes de relation usage-norme, le cas de l’entrisme islamiste dans les sociétés laïques est là encore exemplaire. Reprenons l’exemple, toujours controversé, du voile islamique.
Pourquoi la question du vêtement religieux dans l’espace public est-elle très importante ? Parce que son usage, en se répandant, en se « démocratisant » (si j’ose dire), en se vulgarisant (au sens propre : en se popularisant), peut déboucher sur un renversement des normes c’est à dire de l’usage considéré comme « normal » par une communauté. S’il devient absolument « normal » qu’une femme soit voilée, alors que devient la femme « non-voilée » ? On a déjà la réponse, quotidienne, dans la plupart de nos grandes villes : au mieux une « impudique », au pire une « pute »… à laquelle on signifie qu’elle n’est pas habillée « normalement », qu’elle doit se couvrir le corps parce que c’est l’usage, et parce que (voir plus haut) l’usage est d’abord dicté par l’autorité religieuse qui a « envahi » le champ culturel d’une communauté d’individus. C’est ainsi que subrepticement, insidieusement, ceux qui affichent ostensiblement des habits religieux imposent peu à peu une nouvelle norme à l’usage d’abord de leur communauté religieuse puis inévitablement à la communauté toute entière comme l’a fait par exemple le christianisme puritain dictant les mœurs et les comportements « acceptables » pendant des siècles…
On objectera qu’il y d’autres influences et d’autres « normes » plus influentes. La mode par exemple dans nos sociétés consuméristes. C’est vrai. Mais la force du religieux est telle qu’il va même investir aussi ce domaine d’influence et en faire un vecteur de plus pour étendre son emprise. C’est le cas aujourd’hui avec la « normalisation » du voile par de grands couturiers qui en font un accessoire comme les autres de la panoplie féminine. Les exemples de ce type de "cilentélisme" opportuniste ne manquent pas, dans le marketing comme en politique. Le tour est joué. Irréversiblement.
Cette relation norme/usage est fondamentale pour comprendre comment ce que l’on croit marginal parvient à devenir principal. Sans avoir nécessairement à faire une révolution ni un coup de force. Phénomène lent, certes, mais implacable. Effet de nombre. Effet de répétition. Effet d’accoutumance. Le paysage change, insensiblement, et se transforme sans que l’on puisse ensuite retrouver l’originel.
Demain la viande « hallal » peut devenir la norme, y compris pour des raisons économiques. D’une certaine manière, ça peut arranger tout le monde… Pour l’analyse de cette manière « douce » avec laquelle les valeurs en usage dans une société peuvent changer, y compris dans ce qu’elles ont d’essentiel (mœurs c’est à dire morale) je renvoie au roman de Houellebecq « Soumission », fiction étonnamment crédible au regard des événements de ces dernières années…
Je renvoie aussi, beaucoup plus simplement, au spectacle de la rue et à la multiplication (seuls les sociologues parviendront, comiquement, à nous dire le contraire) des affichages vestimentaires religieux islamiques. On ne s’étonne plus, y compris du voile intégral. On trouve ça « normal », puisque désormais suffisamment fréquent, courant. De toute évidence beaucoup de ces « affichages » sont de véritables propagandes ambulantes qui savent où se montrer, où se poser, où se mettre en évidence, pour faire passer le message de cette nouvelle « normalité ». La rue que nous considérons naïvement, en tant que démocrates républicains, comme un espace "neutre", "public", en-dehors des champs d'influence idéologiques, alors que depuis longtemps les intégristes islamistes (comme avant eux tous les extrêmistes ou les délinquants) sont de fins connaisseurs des enjeux de territoire dont ils connaissent l'importance pour mettre en avant de nouveaux usages dans une perspective de propagande et de domination. La rue mais aussi bien sûr, les quartiers, et plus encore des lieux qui sont précisément repérsentatifs de la République comme l'école. Ainsi aurait-il fallu prendre très au sérieux, tant qu'il était encore temps, le cri d'alarme de certains professeurs dans "Les territoires perdus de la République". C'était en... 2002.
Dans cette perspective de nouveaux usages et d'enjeux de territoire je n’insisterai pas sur une approche démographique qui pourrait prêter à confusion ou être mal interprétée, même si le sujet commence à n’être plus tabou et fait désormais l’objet de sérieuses études. Le nombre a toujours raison. Quelle est la liberté de ne pas mettre le voile dans un endroit où les femmes voilées sont majoritaires ? Il serait intéressant de poser la question aux iraniennes, saoudiennes, pakistanaises, afghanes etc...
On objectera, aussi, à propos du "cas" exemplaire du voile (y compris intégral), que c'est l'expression d'une liberté. Certaines féministes occidentales adoptent d'ailleurs ce point de vue (défendront-elles aussi l'excision au nom de la liberté culturelle et de la relativité des valeurs ?). Appliquons alors simplement la démarche de "l'impératif catégorique" de Kant : imaginons que ce que nous choisissons (morale, moeurs, attitudes) devienne la règle générale. Si tout le monde ment, qu'advient-il ? interroge Kant. Voilà pourquoi, par exemple, il ne faut pas mentir. Donc soyons simples, en-dehors de toute autre considération : cette femme est libre, toutes les femmes peuvent donc se libérer en portant le voile intégral, imaginons donc une société toù toutes les femmes (ou une grande majorité) vivraient ainsi... Pas de problème : elles sont libres ! Mais voulons nous de cette société ? Une femme en burqua intervenait récemment sur un plateau télé (entrisme démocratique médiatique) et argumentait face à la représentante de "Ni putes ni soumises" : "Y a des femmes qui sont pas musulmanes, quand je leur dis bonjour elles me disent bonjour avec un sourire super agréable ". C'est vrai qu'un "sourire super agréable" ça facilite le contact et les liens sociaux et ça met du soleil dans la vie quotidienne. Elle ne se rendait même pas compte (stupidement ?) qu'elle venait d'énoncer un argument majeur contre le voile…
S’il fallait une preuve supplémentaire, et sans en rester à l’exemple du vêtement que certains jugeront « anecdotique » (c’est leur droit), je pourrais évoquer une autre évolution pernicieuse qui prouve combien l’entrisme islamique a parfaitement réussi à nous imposer déjà des changements de mentalité. Sachant que j’écrivais ce texte sur l’Islam, plusieurs amis bien intentionnés m’ont gentiment averti : « Tu n’as pas peur ? ». L’un d’entre eux m’a carrément félicité pour mon courage. Il serait donc désormais « normal » de redouter de parler de l’Islam. Le « tabou » est à l’œuvre… comme furent auparavant d’autres sujets tabous dans notre société chrétienne, ou d’autres sujets tacitement interdits dans les sociétés totalitaires (communistes par exemple). Là aussi, le tour est (bien) joué. On sait par ailleurs ce qu’il en est désormais de la possibilité de caricaturer, de se moquer. On voit bien l’usage fait du délit de « blasphème » et de son inscription dans une nouvelle normalité : il est « normal » de ne pas caricaturer Mahomet, il est « normal » de ne pas critiquer la religion. En revanche il est normal de caricaturer le Christ, le pape, Moïse... Il est presque "normal" que des écrivains doivent vivre depuis des décennies sous la menace d'une "fatwa" (Salman Rushdie et ses "Versets sataniques", c'est depuis... 1989 !). Dans de nombreux pays musulmans (Mauritanie par exemple) l'athéisme est un délit passible de peine de mort. Normal... Au fait, dans ces pays, que sont devenus les juifs et les chrétiens ?
Peu à peu, à la fois par la violence brutale et barbare (terrorisme visible, spectaculaire, médiatique) et par d’insidieuses injonctions normatives (harcèlement discret, répétitif, ordinaire, propagande), une religion s’immisce dans les esprits, pose des actes, impose ses usages qu’elle cherche (et parvient) à légitimer. De manière, là encore, irréversible. Cet « entrisme » est d’une redoutable efficacité, et finalement, d’une très grand simplicité dans nos sociétés « ouvertes » et démocratiques. Entrisme qui joue parfaitement avec l'effet de "banalisation", état intermédiaire avant la" normalisation" puis la "légitimation"...
Mais comment cette inscription du fait religieux dans le champ public parvient-elle justement à revendiquer cette légitimité dans la démocratie et la République ? Comment ces usages forcent-ils les barrières de notre laïcité inscrite dans la constitution ? Etonnamment, nous allons nous en rendre compte, c’est une valeur de « progrès » qui a permis la « progression » d’idées rétrogrades…
3) La tolérance.
C’est là, en effet, qu’intervient l’incroyable détournement du concept de tolérance. C’est un élément capital dans la compréhension de l’expansion d’une influence religieuse, en l’occurrence celle de l’Islam dans une société traditionnellement d’une autre culture religieuse et qui a fait de la laïcité une valeur essentielle de la République… La tolérance dévoyée renforce, paradoxalement, l’influence religieuse et contribue donc elle-aussi à la « gravité » du phénomène.
On peut être interloqué par la naïveté de notre démocratie face au prosélytisme religieux, et principalement aujourd’hui islamiste. Je n’ai jamais compris en effet la forme de tolérance dont on nous a rebattu les oreilles pendant des décennies, en tout cas telle qu’elle s’est exercée en France depuis (disons) 40 ans. Le mot a souvent fait office de cache-misère idéologique, dissimulant une incapacité à penser la relation à l'altérité et le fameux « vivre-ensemble » autrement que comme une philosophie passive fondée sur une lecture anachronique d’un humanisme mal digéré. J’ai personnellement alerté, à ma modeste place, à ma façon, et depuis longtemps (2003 exactement, et les premiers débats à propos de la loi sur le voile) sur ce danger de prosélytisme religieux, au risque de paraître... intolérant. Continuant ce combat aujourd'hui, on me traitera désormais "d'islamophobe"...
Retour en arrière. Que penser par exemple du fameux slogan "Touche pas à mon pote" qui a fait office d'étendard pour toute une génération ? Absurdité dans les termes, quelle que soit sa générosité en soi. Si mon pote est un tueur, je fais quoi ? On voit bien, tous les jours, l’usage qu’on peut faire de cette « fraternité » (de l’omerta basique à la justification de tout) détournée de tout jugement de valeur. Le fait qu'il soit, au choix, mon pote, mon copain, mon frère, mon camarade, mon concitoyen, mon coreligionnaire... ne devrait, démocratiquement, rien changer à l'affaire. C’est « Touche pas » qu’il faut dire, au sens «Ne fais pas violence », « Ne fais pas à autrui ce que tu ne supporterais pas pour toi-même ». Que autrui soit "mon pote" n'a, dans une République, pas plus de valeur que n’être pas « mon pote ». Si mon frère lui-même est dangereux pour la société, hors la loi, son statut de "frère" ne doit rien y changer. La justice doit passer.Le droit prime tout.
La démocratie ne doit pas se fonder sur cette valorisation du « pote », qu’il soit familial, amical, politique, religieux, clanique, social, et elle doit placer chacun devant les mêmes responsabilités, les mêmes devoirs. Egalité de tous devant la loi. « Touche pas à mon pote » c’était finalement une autre version du slogan le plus absurde de mai 68 : il est interdit d’interdire. Je préfère quant à moi un autre slogan de mai 68 qui n'est pas, c’est vrai, très "tolérant" : pas de liberté pour les ennemis de la liberté. C'est à l’origine un aphorisme de St Just, le révolutionnaire, ressorti des oubliettes par les romantiques étudiants sur les barricades du quartier latin...
Repenser la tolérance pour ce qu’elle est vraiment (et non un outil idéologique) nous oblige à constater qu’elle peut-être parfois un ennemi de la liberté, et peut-être même, du progrès... Comment être libre si j’accepte (je supporte) que l’on puisse faire n’importe quel usage (jusqu’à l’intolérable) de cette liberté dont je fais le fondement d’un régime politique ?
Karl Popper a très bien défini ce "paradoxe de la tolérance" dans "La société ouverte et ses ennemis" (1945) : « Si nous étendons la tolérance illimitée même à ceux qui sont intolérants, si nous ne sommes pas disposés à défendre une société tolérante contre l'impact de l'intolérant, alors le tolérant sera détruit, et la tolérance avec lui. Je ne veux pas dire par là qu’il faille toujours empêcher l’expression de théories intolérantes. Tant qu’il est possible de les contrer par des arguments logiques et de les contenir avec l’aide de l’opinion publique, on aurait tort de les interdire. Mais il faut toujours revendiquer le droit de le faire, même par la force si cela devient nécessaire, car il se peut fort bien que les tenants de ces théories se refusent à toute discussion logique et [...] ne répondent aux arguments que par la violence. Nous devrions donc revendiquer, au nom de la tolérance, le droit de ne pas tolérer les intolérants. Il faudrait alors considérer que tout mouvement prêchant l'intolérance se place hors la loi et que l’incitation à l’intolérance est criminelle au même titre que l’incitation au meurtre [...]. »
Si tolérer c’est accepter l’inacceptable, alors quelle est la valeur de cette tolérance ? Tolérer c'est supporter (étymologie latine), c'est subir sans déformation (en physique). Il faudrait donc tolérer une « version » de religion elle-même intolérante ? On fait la chasse aux sectes et on a tranquillement laissé se développer une secte très efficace dont le cheval de Troie a été cette "tolérance" démocratique grâce à laquelle cette déformation religieuse hier nommée « intégrisme », aujourd’hui appelée « radicalisation », a tranquillement (sans efforts, sans résistance, grâce à la tolérance) pénétré la cité pour en saper les valeurs, pour s'attaquer, non seulement à une société (son fonctionnement), non seulement à une République (laïque) mais, comme nous l’avons vu, aux fondements même d’une culture. Si une autre culture, une autre construction identitaire, se révèle incompatible avec les valeurs communes de la démocratie, dois-je la tolérer, c’est à dire admettre les « déformations » qu’elle va faire subir à cette culture ? Je ne peux pas juger une autre culture ? Je peux dénoncer la corrida mais pas l'excision ? Dois-je au nom de ce relativisme culturel admettre n'importe quelle pratique culturelle et noatamment religieuse puisque du domaine du "sacré" ?
En fait c’est déjà très souvent le cas. Parce qu’ils pensent davantage le problème comme sociétal ou social plutôt que culturel, parce qu’ils sont persuadés que cette société est capable d’intégrer des pratiques multiples (ce qui est vrai), parce qu’ils oublient que les pratiques religieuses ont beaucoup plus de poids (gravité) et de conséquences (voir tout ce qui a été dit plus haut) que d’autres pratiques coutumières, et parce que parfois cela les arrange (accord avec leur idéologie, efficacité politique sur le mode électoraliste), pour toutes ces raisons donc, nos élites et décideurs consentent ce que l’on appelle maintenant couramment des « accommodements ». A l’école, dans les lieux publics, dans tous les rouages du vivre ensemble, on tolère peu à peu ce qui d’abord semble anecdotique, une particularité liée à un rite religieux, et par ce que Fatiha Boudjahlat appelle « l’effet cliquet », que l’on pourrait aussi appeler « effet verrou » : cet arrangement en entraîne d’autres ou en légitime d’autres. Il fait, comme on dit en droit mais sur le mode sociétal voire moral, « jurisprudence ». N’oublions pas cette vérité essentielle : la coutume (usage revendiqué au nom d’une tradition) est le mécanisme par lequel la religion intervient dans le droit. Et cela, les plus radicaux des religieux le savent bien et ils en font un usage systématique.
Cette pseudo-tolérance n’est qu’une mauvaise lecture de Voltaire, brandie en étendard humaniste alors qu’elle est en réalité détournée et déformée. On m’objectera que cela relève du simple respect des croyances, et que chaque religion doit être traitée de la même manière. Soit. Feignons d’ignorer les conséquences à long terme d’un communautarisme qui s’inscrit durablement dans l’espace public, dans la République. Feignons d’ignorer ce que toutes ces concessions « cultuelles » auront sur nos pratiques « culturelles ». Et laissons alors entrer dans la cité une idéologie puissante par l’usage d’une tolérance passive et d’une laïcité molle. Là encore, le tour est jouée. Le petit arrangement entre amis-citoyens dans la société décrétée « multiculturelle » devient règle installée puis loi instaurée. Car cette tolérance meurtrière va de pair avec une autre idée noble sur laquelle il faudrait s’interroger aussi face à l’influence religieuse : le multiculturalisme.
La société est capable d’absorber des pratiques nouvelles (c’est vrai), et elle semble devoir tolérer les communautarismes (c’est un fait). Mais on ajoute : les cultures elles-mêmes peuvent se fondre dans un « humanisme » qui est aussi un « universalisme »… C’est grand. C’est beau. C’est idéal. Mais est-ce vrai ? N’est-ce pas, là-aussi, une sorte de « religion politique » qui, loin d’apaiser les tensions, empêche de voir clair et de poser autrement les problèmes ?
4) L’idéal multiculturaliste.
Que « l’homme soit un loup pour l’homme », que son état naturel soit « la guerre de tous contre tous » selon les formules célèbres de Hobbes dans son Léviathan, on peut en discuter là aussi. Mais il est difficile de nier que l’histoire des hommes est l’histoire de leurs affrontements. Les grandes dates « historiques » ne sont, bien souvent, que celles de leurs plus grands conflits, hélas. Devant la belle universalité humaine et son patrimoine génétique commun (y compris avec nos cousins les primates, à 99%), on pourrait concevoir une capacité « naturelle » à vivre en paix. Mais cette « paix », justement, elle est tout sauf « naturelle ». Dans « Malaise dans la culture », Freud termine par ces mots, en 1931 : « La question décisive pour le destin de l’espèce humaine me semble être de savoir si et dans quelle mesure son développement culturel réussira à se rendre maître de la perturbation apportée à la vie en commun par l’humaine pulsion d’agression et d’auto-anéantissement ». Décider d'œuvrer pour la paix serait donc culturel. L’homme lutte pour sa survie. A tout prix. Et quand il l’a assurée, il (le mâle surtout ?) n’en a pas fini pour autant avec son instinct de domination et de conquête.
Il y aurait bien sûr ici beaucoup à dire et de passionnantes plongées à faire dans la biologie (Yves Coppens par exemple), l’ethnologie (voir les travaux de Pascal Picq), les neurosciences (Henri Laborit et son passionnant "Eloge de la fuite" adapté au cinéma par Alain Resnais dans "Mon oncle d'Amérique"), l'histoire (lire l'extraordinaire synthèse "Homo Sapiens" de Hariri). Sous l’éclairage de toutes ces disciplines, l’histoire de l’espèce humaine, son évolution, est riche d’enseignements mais n’en a pas fini de livrer tous ses secrets.
Par exemple : après « l’effet fondateur » de la migration des premiers homo sapiens vers le continent européen, que sait-on de la rencontre entre ces groupes ethniques venus de la matrice africaine et les hommes de « Neandertal » qui peuplaient alors l’Europe occidentale actuelle et le Moyen-Orient ? Pourquoi cette branche de l’évolution (Néandertaliens) a-t-elle disparue alors que l’on retrouve leurs traces génétiques chez les hommes modernes ?
L’hypothèse d’un premier grand choc « culturel » entre deux branches d’une même espèce n’est pas exclue par les spécialistes dont certains évoquent même un premier « génocide ». Loin de l'image idéale d'un Homo sapiens "naturellement bon" et pacifiste, J-J Hublin (« Quand d'autres hommes peuplaient la terre ») n'exclut pas que des combats Sapiens-Neandertal aient eu lieu pour la conquête de territoires. Dans « Préhistoire de la violence et de la guerre » Marylène Patou-Mathis explore les raisons qui ont transformé les chasseurs-cueilleurs en sociétés guerrières (sédentarisation et changement d'économie, avènement du patriarcat, apparition des castes). Elle pointe aussi le rôle des croyances (religions) et met en évidence l'existence d'une violence antérieure à l'apparition de la guerre.
Pourquoi ce détour par l’histoire de notre espèce ? Pour rappeler, encore une fois, la fonction de la « culture » dans l’évolution d’un humain grâce à cela plus « raisonneur » et peut-être plus « raisonnant » et même « raisonnable »… mais aussi pour en montrer les limites !
Oui, la culture est ce qui a transformé l’homme (« naturel ») et a permis une évolution que l’on ne trouve pas, par exemple, dans les espèces animales (en tout cas pas aussi rapide). Mais non, la culture n’a pas suffi à faire vivre les hommes ensemble. A partir d’une base commune, les groupes humains une fois disséminés sur la planète ont développé des rites, des cultes, des croyances, des mythes, des modes de vie, en fonction de leur environnement et de leurs besoins pour s’y adapter. Ils ont affiné leur mode de communication, le langage. Ils ont inventé des outils. Ils ont inventé l’art. Ils ont inventé les religions. Ils ont développé des stratégies de conservation de l’espèce et du groupe par une sélection sexuelle (petite guerre entre rivaux...). Tout cela, c’est la culture. Ou plutôt ce sont « les » cultures. Cette diversité culturelle est une richesse, comme les variations génétiques dont les croisements qui permettent les mutations, comme la biodiversité qui garantit la continuité de la vie. Oui, certes, sauf… que la culture ne suffit pas à tempérer la violence humaine. Le texte de Freud date de 1931, on sait ce qu’il advint quelques années plus tard… Les nazis étaient souvent très « cultivés ». Et sauf que la rencontre entre deux cultures est là encore rarement pacifique. Hélas (encore)…
Qu’est-il advenu des cultures indiennes d’Amérique (du nord et du sud), des cultures aborigènes d’Australie, des traditions animistes d'Afrique ? Envahies, converties, génocidées, par les gentils européens, leurs soldats et leurs missionnaires. Le choc des cultures est souvent brutal. Et quand deux religions cohabitent, c'est rarement pour le meilleur (Irlande, Liban...). Au mieux, on reconstitue des quartiers entiers dans des grandes villes : chinois, indien, arabe, etc... Ce communautarisme n'empêche pas forcément l'intégration d'une culture dans une autre, sauf quand il cherche à instaurer avec la culture "dominante" du lieu un rapport de force et une stratégie d'adhésion à d'autres valeurs, d'autres modes de vie. C'est le cas quand on entend certains comportements justifiés par la volonté de faire, par exemple, "comme au bled"...
Je ne prétends pas ici en finir avec cette question essentielle de la promiscuité culturelle. Le sujet mériterait bien sûr à lui seul de très longs développements. Mais malgré notre légitime attirance vers cette belle utopie généreuse on peut se demander si le « multiculturalisme » ne serait pas, comme le dit Mathieu Bock-Cot, célèbre sociologue canadien, une « religion politique » plutôt qu’une réalité. Un autre paradis espéré…
Les relations inter-culturelles sont à ce point "tendues" que désormais, par exemple, certains activistes dénoncent même ce qu'ils appellent "l'appropriation culturelle" quand certains codes ou signes propres à une culture sont empruntés pour des raisons d'image ou de commerce. Par exemple quand une chanteuse connue arbore une coiffe indienne. Touche pas à ma culture ! La réaction est compréhensible et montre le point sensible que réprésente toujours la culture en tant qu'expression identitaire d'une communauté.
Ne peut-on donc vraiment pas imaginer une sorte de "melting-pot" culturel ? L'exemple américain est finalement, quoi qu'on en dise, assez probant. Mais les afro-américains sont présents depuis l'origine de la nation, à la différence des émigrés africains en Europe. Certes des vagues de migrants se sont effet "fondues" dans un modèle intégrateur, une culture commune, une prospérité économique intégratrice. Mais regardons-y tout de même de plus près : les problèmes subsistent quant à la place de la population noire dans la société américaine, et les "latinos" constituent désormais un défi de taille à ce modèle d'intégration...
On pourrait évoquer la réussite d'un "mutlticulturalisme" qui a réussi à rassembler, par exemple, au fil des vagues migratoires successives, des espagnols, italiens, arméniens, dans une même société française. Le pont commun entre ces diverses cultures : la religion. La religion, point d'achoppement. La religion, facteur d'opposition. Si j'enlève la religion, alors, en effet, on peut s'adapter les uns aux autres. La religion, facteur de clivage fondamental et de désintégration...
L’écrivain algérien Kamel Daoud dans le journal italien La Repubblica du 10 janvier 2016 explique : « En Occident, le réfugié ou l’immigré sauvera son corps mais ne va pas négocier sa culture avec autant de facilité. Sa culture est ce qui lui reste face au déracinement et au choc des nouvelles terres. Il faut offrir l’asile au corps mais aussi convaincre l’âme de changer. L’Autre vient de ce vaste univers douloureux et affreux que sont la misère sexuelle dans le monde arabo-musulman, le rapport malade à la femme, au corps et au désir. L’accueillir n’est pas le guérir. » Kamel Daoud en conclut : " ne fermons pas les portes aux migrants, car nous irions vers un crime contre l’humanité, mais ne fermons pas les yeux, car nous avons des valeurs à imposer, à défendre et à faire comprendre ».
Un spectre hante l'Europe, disait Marx : le Califat aboli en 1924 par Attatürk - unité politique et religieuse de l'Islam - continue de tourmenter « l'homme malade de l'Europe ». Dans un livre intitulé "L'Europe et le spectre du califat" l'égyptienne Bat Ye'or expose l'action politique en Occident de l'OCI, Organisation de la Conférence Islamique, la plus grosse organisation internationale après l'ONU, forte de 56 États gouvernant 1, 3 milliards de personnes et qui se comporte de fait comme un Califat moderne associatif d'une redoutable efficacité. L'OCI a réussi à établir par delà les frontières et à l'aide de réseaux européens une véritable gouvernance sur les minorités immigrées en Europe. Son action directe sur les politiques communautaires a contourné les procédures démocratiques. En imposant de garder leur lien avec leur religion, leur culture, leur langue et leurs États d'origine elle provoque l'échec des modèles occidentaux d'intégration et conduit l'Europe à un « multiculturalisme » aventureux.
Alors, plutôt que de fantasmer sur une impossible cohabitation, nous pourrions essayer de gérer au mieux notre cosmopolitisme mondialisé en osant opposer des valeurs claires et intangibles à ceux qui veulent imposer leur vision religieuse du monde et de la vie, au risque de ne pouvoir échapper à un choc de civilisations… qui, de fait, a déjà lieu sous des formes plus ou moins larvées.
Rien n’est figé, bien sûr. Les cultures sont mouvantes, peuvent s’étendre ou se rétrécir dans l’espace et dans leur influence. C’est une bonne nouvelle. Ou une mauvaise…
5) Le choc des civilisations.
Nous disons, depuis le début, « cultures ». Nous avons aussi écrit « civilisations » que nous définissons comme de grands ensembles humains qui partagent depuis très longtemps des modes de vie, des valeurs communes et des croyances.
Beaucoup de nos « humanistes occidentaux » réfutent le terme même de civilisation. Ils s’évitent ainsi de devoir imaginer un « choc des civilisations », dont parle Samuel Huntington dans son célèbre livre éponyme (1999), souvent prémonitoire, en se fondant sur un énorme travail d’analyse historique et géopolitique. Il n’y aurait donc pas, selon eux, de « civilisations ».
Ce sont les mêmes qui parlent en revanche comme une évidence de « multiculturalisme » pour justifier la tolérance et les arrangements (accommodements) dont nous parlions plus haut. Mais qu’en est-il vraiment de cette rencontre entre cultures ?
Pour Régis Debray le dialogue des civilisations est « un mythe contemporain » (conférence Fondation des Trois Cultures, Séville, juin 2007) : « L’écologie culturelle ne se porte pas mieux que l’autre, en dépit de nos belles résolutions ». Il fait des vœux pour des échanges possibles rappelant que le pire, pour une culture, c’est de « rester seule ». Il cite Lévi-Strauss : « La civilisation implique la coexistence de cultures offrant le maximum de diversité, et consiste même en cette coexistence ».
Bien sûr. Il faut au grand organisme humain une « cultidiversité » comme il faut à la planète une biodiversité. Les cultures ne sont pas condamnées à se faire la guerre : elles peuvent s’influencer, se métisser, s’enrichir les unes des autres…
Et c’est ce qui se passe. Mais ces métissages restent finalement assez superficiels, quasi « touristiques », exotiques, anecdotiques. On mange certes aujourd’hui des plats du monde entier. On peut s’habiller à l’africaine ou se meubler à la suédoise. On peut faire du yoga indien ou du tai-chi chinois ou du tango argentin. On écoute de la musique du monde entier. On peut lire des auteurs japonais et voir les peintures des aborigènes d’Australie… C’est passionnant ! On peut tout échanger, et le commerce et l'art ont toujours rapproché les peuples. On peut ramener du rhum des Antilles, du sable du Sahara, des tissus andins. On peut visiter l’Alhambra à Grenade et le Parthénon à Athènes. On peut s’enthousiasmer pour toutes ces histoires et la diversité de ces peuples et de leurs productions culturelles. On peut aimer les philosophies orientales, parcourir les ruines des temples anciens, méditer sur les richesses des humains et s’enrichir vraiment de cette diversité. C’est bien. C’est beau.
Mais manger un couscous à Marseille, un ceviche à New-York ou des sushis à Rome (vive le grand village !) ce n’est pas la même chose que des filles qui, de plus en plus nombreuses, portent le voile (plus ou moins intégral). Demain je suis à peu près sûr que personne ne m’obligera à manger tout le temps du couscous (vive la diversité !). Demain, en revanche, je ne suis pas sûre que ces filles devenues femmes pourront se « dévoiler »… La diversité n’a plus le même sens et les mêmes conséquences selon qu’elle touche une tradition usuelle, une coutume locale, un « folklore », ou une tradition cultuelle, religieuse, susceptible de s'étendre partout. Le problème vient que l’on mélange toutes ses diversités dans une même soupe idéologique qui, finalement, a un goût bien amer…
Car ce « village planétaire », pour reprendre la célèbre expression de Mac Luhan (1967) est à la fois une réalité et une utopie. Il se révèle vite un nid de conflits potentiels. Comme tous les villages, finalement… Quand on touche à l’essentiel d’une culture, ça se gâte. Et quel est cet « essentiel » ? Quel est cet élément identitaire clé ? Nous n’avons cessé de le (dé)montrer: c’est la religion. Là, on ne rigole plus. On ne plaisante pas avec ça. On tue même de simples caricaturistes … comme au Moyen-Age on brûlait les hérétiques. Seule la force prévaut. Une forme de persuasion guerrière dont l’histoire est le long et terrible récit. Les missionnaires chrétiens n’ont pas converti en douceur, et leur progression sur la planète s’est toujours accompagnée d’une force militaire. Le glaive (puis le fusil) et le goupillon… L’Histoire est pleine de ces chocs, et du fracas des armes au service d’une volonté de domination. Indiens d’Amérique (du nord et du sud), indigènes d’Australie et du Pacifique, africains : à tous ceux là on a imposé une culture (langue, religion)… par la force. Et ça a marché.
Les mêmes qui refusent la notion de civilisation pour le monde contemporain la tolèrent pour l’Antiquité. Toutes ont suivi un même cycle : expansion, domination, décadence. On sait ce qu’il advint la civilisation romaine, nous l’avons raconté plus haut. Il ne s’agit pas de dire que notre civilisation est figée et parfaite. Elle évolue de toute manière, comme évolue tout organisme. Mais c’est le même Lévi-Strauss qui dit aussi : " Les cultures pour survivre doivent conserver une certaine imperméabilité les unes aux autres". La question est alors : quel est le bon degré de « perméabilité » ? Ou faut-il penser que cette « imperméabilité » va de soi ? Quelle perméabilité doit-on laisser à des valeurs que nous ne partageons pas ? La démocratie et la société sont confrontées en permanence à cela. Elles y répondent par le droit, par une sorte de morale plus ou moins partagée qui régit les mœurs. Mais que faire quand une religion prétend régir à la fois le droit et la morale au nom de ses « valeurs » ? Que faire quand ces « valeurs » s’opposent à celles de la société dans laquelle elles veulent s’imposer ? Comment les « tolérer » ?
Lévi-Strauss est un cas particulièrement intéressant. Considéré comme un des plus grands ethnologues et des plus brillants intellectuels du XXème siècle, son livre « Tristes tropiques » est régulièrement cité comme un ouvrage incontournable dans la bibliothèque d’un honnête homme du XXème siècle. On le présente comme la « Bible » de la tolérance culturelle, comme un hymne à la diversité et à la reconnaissance des différences. Mais ce qui est très étrange c’est que les mêmes admirateurs du grand intellectuel et philosophe gardent le silence sur ce qu’il a écrit à propos du « monde musulman ». Il faudrait ici tout citer. Ce serait trop long. Je renvoie au texte intégral.
Quelques extraits : « Déjà, l’Islam me déconcertait par une attitude envers l’histoire contradictoire à la nôtre et contradictoire en elle-même : le souci de fonder une tradition s’accompagnait d’un appétit destructeur de toutes les traditions antérieures… Grande religion qui se fonde moins sur l’évidence d’une révélation que sur l’impuissance à nouer des liens au-dehors… La fraternité islamique repose sur une base culturelle et religieuse… Tout l’Islam semble être, en effet, une méthode pour développer dans l’esprit des croyants des conflits insurmontables, quitte à les sauver par la suite en leur proposant des solutions d’une très grande (mais trop grande) simplicité… ». J’arrête là. On dira probablement (en fait, on dit déjà) que le grand Lévi-Strauss était devenu islamophobe et que "la vieillesse est un naufrage" …
Peut-on alors imaginer (espérer !) une évolution lente et une inscription tranquille d’une nouvelle religion dans notre culture disons (pour faire simple) « européenne » ? Le choc des civilisations n’est pas inévitable mais il est probable parce qu’il est, paradoxalement, « naturel ».
Je n’ai pas, ou peu, parlé des attentats. Ce n’est pas mon sujet. Mais rappelons-nous cependant du Bataclan (13 novembre 2015) et des cafés parisiens. Il a fallu qu'on s'attaque à des "jeunes gens" qui "boivent des coups" et "écoutent de la musique" pour accepter enfin de formuler l'évidence. Oui, on l’a écrit seulement à ce moment là, c'était bien « un choc culturel ». Car, disait-on, c’est tout un « art de vivre » qui était visé. Il a donc fallu tant de morts pour que certains le réalisent…
On dira alors : les meurtriers ce ne sont que quelques excités, radicalisés. On dit souvent maintenant : des malades. On se rassure comme on peut. Certes. Ils ne sont pas l’Islam. Tous les musulmans ne sont pas des terroristes : évidemment ! On le sait bien. Mais une autre loi des sociétés humaines ne doit pas être oubliée : la minorité agissante finit toujours par avoir raison.
Observant la démocratie naissante en Amérique, Tocqueville a mis en évidence « la tyrannie de la majorité ». Il pointerait peut-être aujourd’hui « la tyrannie des minorités ». Il faut laisser à chacun sa place dans l’idéologie démocratique, y compris aux non-démocrates. Chaque communauté doit pouvoir y exercer ses pratiques coutumières, cultuelles, culturelles. Une minorité suffit donc à exercer sur l’ensemble un vrai pouvoir, y compris de nuisance.
Tout ce qui est important a commencé d’abord par l’action de quelques uns très motivés et actifs. Ils n’étaient pas nombreux les premiers bolchévistes, ils n’étaient pas nombreux les premiers nazis, ils étaient 12 les premiers disciples de Jésus… Et pourtant, même si probablement ils ne le voulaient pas, les russes sont devenus communistes, les allemands sont devenus hitlériens, et les européens sont devenus chrétiens… Tous les allemands n’étaient pas nazis, mais la plupart n’ont pas pu dire non, entrainés par un effet de groupe et d’appartenance culturelle, un sentiment identitaire qui est plus fort que tout… Ca ne marche pas à tous les coups, bien sûr. Pour que ça pousse, il faut un terreau, une base, des alliances, des circonstances (historiques, économiques, sociologiques, parfois écologiques). L’extrémisme islamique ne manque pas de ce « terreau ». A Bruxelles, on prévoit qu’en 2030, 50%, de la population sera musulmane… Une minorité agissante, une majorité passive : le cocktail est explosif.
Selon un institut de recherches américain, l’islam est aujourd’hui la religion qui fascine le plus de personnes et après 2050, elle deviendra même la religion la plus aimée au monde. En effet selon Farsnews citant l’institut américain situé à Washington, les musulmans représentaient en 2010, 23 % de la population mondiale, c’est-à-dire, 1,6 milliard de personnes. Et les chrétiens étaient au nombre de 2,2 milliards cette même année. Selon cette agence de recherche, le nombre de musulmans et de chrétiens va être plus ou moins le même en 2050 mais les musulmans vont ensuite être plus nombreux. L’une des principales raisons de ce phénomène serait selon l’agence, des naissances plus nombreuses chez les musulmans. Est-ce un problème ?
Une enquête exclusive de l'Institut Montaigne révélait en 2016 qu'il existe deux groupes très différents au sein des musulmans de France. D'un côté, une majorité silencieuse : 46% des personnes interrogées sont parfaitement intégrées dans la République et à l'aise avec ses valeurs. À l'opposé, près de 29% des musulmans contestent la laïcité et considèrent qu'elle ne permet pas d'exprimer librement sa religion. Pour les auteurs du rapport, la construction d'un Islam français reste possible, mais représente un défi majeur.
Les Islamistes fondamentalistes représentent une minorité très forte des communautés musulmanes mais aussi la plus active, celle qui oriente l'évolution de la pratique de l'islam chez la majorité non islamiste qui se laisse gagner par les codes vestimentaire et alimentaires des salafistes, mais aussi se font contaminer par les éléments de langage et les renversements de valeurs auxquels ils adhérent par solidarité et ne dénoncent pas par peur. Selon l’écrivain algérien Boualem Sansal l'islamisme fondamentaliste et le djihad sont indissociables de l'islam. L'islamisme est non seulement indissociable des 57 pays musulmans mais aussi des communautés musulmanes présentes en Europe, en Asie, en Amérique du Nord et en Australie. Boualem Sansal l'explique très bien : les musulmans ont peur de passer pour des traîtres vis à vis de leur communauté en s'attaquant aux fondamentalistes.
En sachant que l'islamisme trouve son épanouissement dans le groupe, la communauté, les réflexes culturels des nord africains musulmans, les poussent naturellement à remettre en place en Occident dans les quartiers où ils sont en nombre les comportements qui poussent au radicalisme, c'est à dire une société où, par exemple, la rue machiste s'affirme, où les traditions archaïques de l'islam dominent, avec des jeunes garçons livrés à eux mêmes dans la rue et un contrôle des mœurs et des vêtements, une forme de « big brother Islamique ». Cette « progression », ce n’est pas un problème ?
Dans les années 30, les allemands avaient de bonnes raisons de vouloir se « venger » après l’humiliation du traité de Versailles. Etait-ce une raison pour justifier cette pulsion identitaire mortifère ? Ils étaient d’abord peu nombreux. Etait-ce suffisant pour ne pas s’en inquiéter ? On traitait alors de "germanophobes" ceux qui s'inquétaient de l'influence des radicaux nazis sur la société allemande... Aujourd’hui le souvenir de la colonisation est-il une raison suffisante pour justifier les excès d’une pulsion identitaire qui s’exprimerait par la religion ? L’apparent « petit nombre » de « radicalisés » (terme finalement un peu flou dans sa définition…) est-il une raison suffisante pour ne pas s’en inquiéter ? L’islam fondamentaliste est un nazisme. Espérons que « l’histoire ne repasse pas les mêmes plats » (Marx)… "Les vrais collabos ne sont pas ceux qui se dressent contre l'islamisme, mais ceux qui lui tiennent la porte " (Raphaël Enthoven, novembre 2017).
6) Nature du problème.
Est-ce, finalement, un problème ? Il faut oser se le demander. La gravité n’est réelle que si le phénomène nous pose un « problème ». Qu’importent au fond l’impact, la progression, le caractère irréversible, d’une religion, si je considère que ces « effets » ne constituent pas un problème, ni pour moi en tant qu’individu, ni pour la société. Qu’importe que le phénomène soit grave s’il est bénéfique pour l’humanité ! Une épidémie de bonheur, ce serait grave (selon nos indicateurs) mais ce ne serait pas un problème (quoique…).
Ni l’usage ni les normes ne sont condamnées à être fixées une fois pour toutes, bien entendu. Il ne s’agit pas de se fixer dans une posture farouchement conservatrice. Chaque société, et donc chaque civilisation, est un organisme vivant. Quelque chose de grave (au sens de son importance) peut arriver qui soit favorable à son développement, épanouissement, harmonie. Est-ce le cas des influences religieuses ? Est-ce le cas de la progression de l’Islam ?
Ce n’est pas un problème si nous considérons que c’est un « progrès ». Mais c’est quoi, le progrès ? Quels critères ? Comment le mesurer à son tour, comme nous l’avons fait de la gravité ? On pourrait évidemment en discuter longuement. On pense immédiatement à certains « progrès » comme l’allongement de la durée de vie, l’éradication des maladies, un confort au quotidien… On peut aussi penser à d’autres pistes plus précises (« zéro mort » sur les routes) ou au contraire plus difficiles à définir (le bonheur pour tous). La question du progrès c’est celle des valeurs : à quoi attribuons-nous de la qualité ? (on peut renvoyer ici à Pirsig et sa « Métaphysique de la qualité » définie dans son « Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes »).
On passe alors de la question du « poids » à celle du « prix ». Qu’est-ce qui a du prix ? La question de la valeur est fondamentale. Elle détermine nos choix, notre éthique, notre morale. Que penser par exemple d’une société dont la seule valeur serait l'argent ?
La question du « sens du progrès » laisse donc ouverte une large palette de réponses plus ou moins universelles. J’en propose trois, qui pourront sembler arbitraires, puisque cette mesure là (celle du progrès) semble nécessairement relative.
Les trois critères sont donc trois « valeurs », trois formes de « qualité» : la liberté des femmes, l’autonomie de l’individu, la possibilité de vivre collectivement en paix. Je pense que nous pouvons, faute d’avoir en la matière un mètre étalon reconnu par tous, nous mettre d’accord sur ces trois critères de progrès pour l’humanité. Bien sûr ils sont donc discutables. On peut leur en opposer d’autres voire même refuser la notion même de progrès. Soit. Mais puisque nous en sommes arrivés à cette question, proposons néanmoins ces critères et prenons-les comme instrument de mesure d’une civilisation et interrogeons à ce propos les religions monothéistes.
Quelle est la place, le rôle, la liberté, des femmes dans une société ? On sait ce qu’il en était au Moyen-Age chrétien. Je n’entrerai pas dans le détail d’une analyse comparée selon les cultures. Je laisse chacun juger ce qu’il en est dans la religion chrétienne aujourd’hui (en progrès, mais peut mieux faire), dans la société occidentale contemporaine (et son culte de l'apparence), et dans les autres sociétés, et selon les autres religions, dont l’Islam.
Ce qui est remarquable, la vraie bonne nouvelle (il y en a !) c'est que la question féminine soit placée à nouveau au coeur des débats dans les pays "occidentaux", à la suite d'une vague de dénonciations réunies sous le sigle "Me too" (2017). La place faite aux femmes, à leur liberté, à la libre maîrise de leur corps et de leur désir, leur possibilité de vivre en-dehors de toute menace violente, de harcèlement d'aucune sorte, est donc plus que jamais un marqueur de progrès. A ce titre, chaque "civilisation" doit en toute objectivité regarder sa capacité d'évolution. Certes, les lignes de démarcation des divers états des lieux ne recouvrent pas forcément les seules limites civilisationnelles fondées sur une religion dominante mais personne ne pourra nier le rôle capital que jouent l'influence religieuse en ce domaine. Rappelons-nous les vers d'Aragon, presque "prophétiques": "L'avenir de l'homme est la femme (...) Et sans Elle, il n'est qu'un blasphème". Dans ce combat capital pour notre avenir, dans cette "révolution du désir" qui s'annonce (pour reprendre les mots de l'actrice Nathalie Portman, janvier 2018), aucune de ces religions ne me semble porteuse d'un ferment de progrès. Aucune. Et l'Islam, aujourd'hui, encore moins que les autres.
Concernant le critère de l’autonomie, je laisse là aussi juger le degré d’autonomie de la pensée de ceux dont la religion est la référence constante. Récemment, un professeur de français langue étrangère en Centres Sociaux me parlait de femmes musulmanes qui ne savaient toujours pas parler français tout simplement parce que leurs maris les ont empêchées depuis… 25 ans ! J’ai plusieurs fois eu à faire pour des transactions au « Bon Coin » avec des femmes au téléphone qui m’ouvraient même la porte de l’immeuble puis se dissimulaient dans l’appartement pour laisser leur mari finir la transaction avec le mâle mécréant. Exemples isolés ? A chacun de l’évaluer en fonction de ses propres expériences. Les rues des grandes villes sont assez éloquentes en la matière. (On m’objectera que ce n’est pas une étude sérieuse, basée sur des enquêtes sociologiques. Je me demande souvent, quant à moi, si les sociologues vivent dans le même monde que moi, et même s’ils empruntent les rues de nos villes.) De toute façon, en soi, le but de la religion, quelle qu’elle soit, n’est pas l’autonomie. Elle se présente comme un prêt-à-penser. Un Livre unique. Progrès ?
Quant à vivre en paix, aucune époque de l’histoire ne montre une religion comme facteur de paix durable. Bien au contraire. D’une religion contre une autre (croisades hier, jihad aujourd’hui) ou à l’intérieur d’une religion (catholiques-protestants hier, chiites-sunnites aujourd’hui), ce ne sont que bruits et fureurs, fracas et horreurs. Le cas de Jérusalem est emblématique : les trois religions monothéistes se disputant un même (tout petit) territoire au nom d’un « sacré » et mettant en péril la paix mondiale… Progrès ?
Question en passant : le polythéisme grec ététait-il plus tolérant que les montothéismes qui l'ont suivi ? "Sans aucun doute" répond l'ethnologue Claude Calame (Le Point, références, "La Grèce et ses dieux", août 2016). "Ce que nous identifions comme religion gecque est sessentiellement fondé sur la pratqiue rituelle, et les Grecs s'accomodaient très bien de la diversité narrative (...) Et l'histoire en témoigne : les régimes polytheistes ont eu globalement moins de conséquences meurtrières que les monothéismes. Ils ne permettent pas la référence à un pouvoir absolu". Giulia Sissa, héléniste, précise que "le polytheisme grec n'est pas une théologie. Il n'a ni Eglise, ni texte sacré, ni dogme. Les textes du polytheisme grec sont des histoires racontées par des poètes". On voit bien tout ce que nous avons perdu avec les monothéismes et leur Livre unique, et leur prophète exclusif...
Si on se souvient que les textes de l'Antiquité ont été soigneusement rejetés dans l'oubli durant tout le Moyen-âge par l'Eglise chrétienne qui voulait éradiquer cette mythologie trop profane et trop diversifiée, on sait moins que le grand recueil de textes oriental des "Mille et une nuits" a été contaminé par l'influence de l'Islam dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. Jean-Claude Garcin, historien specaliste de la civilisation musulmane rappelle : "C'est à cette époque qu'émergent le wahabisme et le salafisme dans la socité arabé. Ce fut l'occasion de purger le texte de tout ce qui pouvait contrarier le puritanisme ambiant, en visant notamment la magie considérée comme dangereuse et anti-islamique, et l'amour des garçons, pourtant bien présent dans les sociétés persanes et arabes classiques". Rien n'a changé... Vous avez dit progrès ?
Revenons au critère "pacification". On m’objectera que la religion soude une communauté (étymologie supposée : religere, relier), rassemble des individus autour de valeurs communes (une valeur désigne ici à la fois la caractéristique d’un mode de vie et un élément auquel on accorde de l’importance, un « prix »). En effet, et c’est ce que nous définissons comme « civilisation » ! Mais qu’une religion rassemble des individus partageant une même croyance et des mêmes rites implique-t-il que ce ne serait pas possible sans elle ? Cela suffit-il à éviter les conflits, à la fois individuels à l’intérieur d’une société, et à l’extérieur contre d’autres civilisations ? Il suffit d’ouvrir un livre d’Histoire ou… nos journaux quotidiens… pour voir que les religions ne sont pas des facteurs de paix. Les pays les plus « apaisés » aujourd’hui en matière de « vivre ensemble » ne sont pas les plus religieux, ou en tout cas surtout pas monothéistes. C'est le cas de Bali l’hindouiste par exemple ou du Japon eclectique en religions. Un proverbe japonais dit : "On naît dans le shintoïsme, on vit en confucéen, on se marie en chrétien et on meurt en bouddhiste."
On pourrait alors se demander pourquoi les religions ont toutes une telle incapacité (ou au mieux une telle réticence) à accorder leur liberté aux femmes et plus généralement à laisser aux hommes leur liberté de pensée ? Pourquoi, autrement dit, elles refusent le progrès (défini selon ces critères) ? Cela tient probablement au fondement même de toutes les religions et à leurs trois « problèmes ». « Toute religion dit : Dieu est le chef de l‘homme, l’homme est le chef de la femme » synthétise Sophia Aram, humoriste, qui ajoute " Voilà des siècles que pour acheter la soumission des hommes, les religieux de tout poil ont offert, en échange, la domination sur les femmes. Les femmes ont simplement été vendues aux hommes par les religieux. Ce qui fait de la religion la plus vaste entreprise de proxénistisme de l'histoire de l'humanité". A chacun de juger le caractère excessif ou lucide de ce résumé...
En fait, toutes les religions ont un triple problème, et naissent de trois peurs : la mort, les femmes, le sexe… Voilà pourquoi les religions se sont accaparées les rites funéraires, probablement à l’origine de leur succès. Voilà pourquoi les prophètes sont toujours des hommes et les femmes sont toujours une place différente dans la hiérarchie religieuse et dans les rites du quotidien où elle reste au service de l’homme. Voilà pourquoi toutes les religions (à part peut être l’hindouisme avec le tantrisme) font peser sur la sexualité d’incroyables et terribles tabous. Toutes les religions, disions nous, et l’Islam en particulier qui impose dans de nombreux cas (sans forcément de références claires au Livre unique, le Coran) une quantité de contraintes à la femme pour garder sur elle son pouvoir. L’Islam a peur de la femme. Ou plutôt l’homme musulman a un problème avec les femmes, avec le sexe. Ce sont des problèmes, je le répète, que l’on retrouve dans toutes les religions, et au-delà, dans toutes les sociétés. Je constate seulement que l’Islam donne des réponses à ces problèmes qui ne contribuent pas à l’autonomie de l’individu féminin.
La progression des religions dans le monde actuel, et en particulier celle de l’islam, ne constituent donc pas un progrès mais au contraire une régression. Puisque nous avons mesuré le phénomène religieux comme étant objectivement « grave », et de manière absolue, il semble évident de se préoccuper de toute propagation de ce phénomène. Pourquoi alors a-t-on parfois tendance à le minimiser ?
Lévi-Strauss encore : « Séparés par l’intervalle approximatif d’un demi-millénaire, ils ont conçu successivement le bouddhisme, le christianisme et l’Islam ; et il est frappant de marquer que chaque étape, loin de marquer un progrès sur la précédente, témoigne plutôt d’un recul… ». Chaque religion est une régression…
Conclusion :
On peut, par peur, par déni, par opportunisme, par idéologisme, négliger la portée de l’influence religieuse dans nos civilisations et particulièrement celle de l’Islam dans nos sociétés occidentales. On peut ne pas les considérer comme un problème majeur. Elles ne sont pas, en tout cas, une solution.
Il est remarquable de constater que ceux qui nous alertent le plus sur les dangers de l’entrisme religieux et en l’occurrence islamique, sont ceux qui sont issus de cette culture, des femmes notamment. Je n’oublierai jamais ma première rencontre avec les fondatrices de « Ni putes, ni soumises » en 2003, au théâtre Toursky, au moment des premiers débats sur le voile à l’école et les lois à formuler… Ou ce témoignage d’une journaliste algérienne exilée en France… Ou tant d’autres musulman(e)s rencontré(e)s (en France ou à l’étranger) et qui m’ont depuis longtemps alerté du danger de cette influence religieuse. Sans concession. Sèchement. En s’étonnant toujours de notre candeur, de notre laxisme… Mais nos élites et notre intelligentsia ont du mal à les écouter car leurs constats, très réalistes, ne correspondent pas à leur grille de lecture idéologique. Il n’est pas rassurant de dire que les cultures ont du mal à vivre ensemble. On pense à « nos amis musulmans », nos voisins, nos « potes »… Oui, mais justement, c’est pour eux aussi qu’il faut réagir ! Eux ne le peuvent pas ! Les musulmans eux-mêmes ont besoin de cette critique parce qu'elle n'est peut-être pas possible à l'intéreiur de la communauté. On aimerait que ce soit autrement, évidemment. On aimerait plier la réalité dans la forme de nos idéaux. J’aimerais parler d’autre chose ! J’aimerais ne pas écrire ce texte ! Ce serait tellement plus agréable…
L’Islam, religion jeune et parfaite, est un danger. De quel danger s’agit-il ? Nous l’avons expliqué plus haut : le danger de donner à un pouvoir religieux les clés d’une civilisation pour les siècles à venir ! Autrement dit : d’entrer dans un néo Moyen-Age.
Les civilisations sont mortelles, cycliques, condamnées à expansion puis décadence. Les peuples ont horreur du vide. Notre civilisation décline (entre autre rongée par le manque de valeurs sinon celles, vaines, de l’argent), une autre civilisation la remplace. Rien de plus ? Rien de mal ? Pourquoi dire « néo Moyen-Age » et pas, par exemple, « New Age » ?
On peut trouver cette formulation un peu excessive. Pourtant je ne peux m’empêcher de me transporter au 4ème siècle de notre ère, de me mettre dans la peau d’un romain qui assiste à l’émergence d’une secte, les chrétiens, et a probablement du mal, lui aussi, à imaginer les conséquences de l’activisme de quelques extrémistes (prêts au martyr) sur sa civilisation et sur les siècles à venir… Faut-il croire alors, comme Schopenhauer, que l’histoire est un perpétuel recommencement ? "La devise générale de l’histoire devrait être : les mêmes choses mais d’une autre manière."
A-t-on vraiment, même spontanément, l’impression que les trois grandes religions monothéistes, et notamment la plus « récente », permettent davantage « d’harmonie », mesure essentielle du progrès ? Faut-il imaginer que ce serait pire encore sans les religions ? Peut-on penser qu’elles sont un mal nécessaire ? Une manière d’endiguer la pulsion mortifère des humains… Je laisse chacun continuer sa réflexion et son analyse…
En ce qui me concerne je considère les religions en général comme un obstacle au véritable progrès de l’humanité, et l’islam en particulier comme une religion encore plus régressive. Oui, selon moi, il y a un problème et ce nouvel « Age » qui s’annonce ne m’apparaît pas porteur d’espoir pour l’humanité.
Voilà pourquoi je dis, posément, sans haine ni colère : Islam ? Non, merci. A la manière du sticker écologiste que je portais sur mon cartable dans les années 70 : « Nucléaire ? Non, merci. » On alertait là aussi sur la gravité d’un « phénomène » et ses conséquences. Nous voyons bien comment aujourd’hui le nucléaire est lui aussi irréversible…
Ce n’est pas un rejet, c’est un refus. Poli. Posé. Mais ferme. Refus de la soumission à de nouvelles normes religieuses. Refus de ce néo Moyen-Age.
Alors que fait-on ensuite ? « Celui qui pense librement pour lui même honore toute liberté sur terre » Stefan Zweig. Il faut librement repenser la notion de « tolérance ». On en parle, on accepte (on tolère ?) de voir les choses autrement qu’avec nos œillères d’une démocratie débordée de tous les côtés et dépassée par ses propres faiblesses. On lui donne un sens « actif », on la réinvente, et on ne la réduit pas à cette « passivité » à laquelle nous sommes trop souvent habitués. On définit une morale qui ne se réduise pas à cette valorisation d’une « tolérance » dont on a perçu les limites, et dans tous les domaines. Y a du boulot. Il y faut du courage. Ou bien on constate les dégâts...
Il faut réapprendre à s'aimer, à aimer ce que l'on est, réaffirmer nos valeurs pour pouvoir les offrir en partage, les transmettre. Il faut aussi rappeler aux "bonnes consciences", aux "âmes nobles", aux "esprits généreux", qui ne s'épanouissent que dans la dénonciation, qu'en niantt ce qui se passe sous leurs yeux, l'entrisme dans les quartiers et la diffusion de l'islamisme, c'est une partie de notre jeunesse qu'elles envoient dans le mur. Voilà pourquoi je pense que se taire, chosir la censure en espérant que cela fera disparaître le problème est le pire choix. Voilà pourquoi j'ai écrit ce texte.
La tolérance ne règlera pas tout.Car la tolérance, quand en face se dresse un ennemi dont l'idéologie vise à détruire ce que nous sommes et qui instrumentalise une jeunesse perdue pour arriver à ses fins, n'est que le faux nez de la lâcheté et de l'abandon.
Face au terrorisme ? Laissons la parole à David Vallat, ancien djihadiste algérien repenti (condamné en 1997 à 10 ans de prison) et désormais inlassable pourfendeur de l'intégrisme islmamiste : "Des solutions face au terrorisme? Il me semble que les suivantes seraient probantes. La fermeté dans l'application des lois existantes, en expliquant que d'appliquer celles-ci aux "imams" prêcheurs de haine, n'est pas une injustice, sans la peur d'être taxés "d'islamophobes". La fermeture de toutes les librairies islamistes qui rependent le corpus djihadiste, toujours ouvertes à cause de cette même peur. Les moyens de préventions avec des outils pédagogiques pour les personnels en contact avec la jeunesse. De vrais moyens donnés à l'éducation nationale pour faire cette prévention. La poursuite en justice de toutes les incitations à la haine (contre les rappeurs qui prônent le djihad, les auteurs douteux, etc, etc). La vérification des sources financières de toutes les associations "culturelles" et cultuelles par TRACFIN. Bref, il suffit d'une volonté politique. Le problème c'est que notre personnel politique n'a de vision qu’électorale, et se compromet en accointances avec ceux-là même qui détestent la démocratie, mais restent des électeurs. Et surtout l'application d'une laïcité non adjectivée, en se rappelant que l'application de celle ci ne s'est pas faite dans la joie et la bonne humeur avec les réactionnaires catholiques. 1905 est aussi l'année de la création des Renseignements Généraux , dont l'ADN étaient de surveiller et signaler les officiers de l'armée, soupçonnés de nostalgie de l'ancien régime. Et je ne cite là que les actions immédiatement applicables si nos politiques avaient le courage de la vision du bien commun, et non-pas uniquement celle de leur carrière." Oui, y a du boulot...
Faisons le choix déterminé et fort d’un avenir dans une société laïque et une communauté d’individus autonomes, libres de pensée, unis autour de valeurs communes (que je considère aller dans le sens d’un progrès) et responsables de leurs actes devant l’ensemble de la société au nom du droit civil et du vivre-ensemble.
Ne renonçons sous aucun prétexte à ces valeurs. Le relativisme culturel interdit-il de formuler des jugements ? Oui, je peux « juger » d’autres cultures en fonction de mes valeurs, non pas pour vouloir les éradiquer mais pour se protéger de leur influence si je la juge contraire à l’idée que je me fais du progrès. « Non, merci »… avec panache, à la manière de Cyrano…
Ce jugement des religions n’est pas celui de la spiritualité, ni de certaines valeurs que ces religions peuvent défendre et que l’on peut retrouver dans une morale sans dieu (on pourra lire à ce propos " L'Esprit de l'athéisme : introduction à une spiritualité sans Dieu" par André Comte-Sponville). On a peut-être plus de raisons d'être moral quand on ne croit pas en Dieu, parce que l'on est vertueux gratuitement et poussé à croire en l'homme.
Il ne s'agit pas de se priver des messages d'amour ("Aimez-vous les uns les autres"), ni de certaines pratiques issues de traditions millénaires (par exemple orientales : bouddhisme, taoisme, hindouisme) plus ou moins revisitées et adaptées à notre culture si cela nous fait du bien (corps, esprit), contribue à notre équilibre et à plus d'harmonie individuelle et collective. La méditation sous toutes ses formes, le yoga, le Qi gong, les rituels du (vrai) tantrisme ... participent à une philosophie de vie, un "souci de soi", un "bien-être" qui est aussi un "souci de l'autre", une spiritualité simple, ouverte et généreuse, toujours bienveillante et jamais "conquérante". Rien à voir avec des religions monothéistes clivantes, prosélytes, communautaristes.
Oui, que fait-on, après avoir constaté que le ver est dans le fruit, et depuis longtemps, hélas… L’essentiel : on sort du carcan religieux… Il est difficile pour un musulman de quitter son identité religieuse puisque nous l’avons vu elle fonde sa culture. C’est la même chose pour un chrétien ou un juif. Il est pourtant urgent de se séparer de cette relation toxique qui nous enferme. Il s’agit d’arriver à quitter ce repaire qui est aussi, probablement, un père fictif et fantasmé… Il faut grandir !
Ce n’est pas parce que mon père, mon vrai père, était un saint homme, un chrétien « modèle », charitable, généreux, aimant, aimable, serviable, ouvert, que je ne dénonce pas globalement l’influence des religions sur les esprits. Il faut savoir sortir du groupe, se mettre à distance, pour mieux penser l’avenir. Ce n’est pas « tuer mon père » que de tenir un tel discours contre les religions, c’est au contraire faire fructifier son héritage, faire un saut qualitatif d’une morale religieuse à une morale à hauteur d’homme… Je sais qu’il ne m’en voudrait pas… Même sans la religion il aurait été un homme exceptionnel et un exemple…
Dans son best-seller paru en 2008 le biologiste Richard Dawkins démontre pourquoi il faut "en finir avece Dieu" ? Apprenons au moins à vivre sans un dieu autre que l'homme lui-même : ”Le grand tournant de l'histoire sera le moment où l'homme prendra conscience que le seul Dieu de l'homme est l'homme lui-même" (Ludwig Feuerbach, L'essence du christianisme, 1841).
J'imagine, comme John Lennon, un monde sans religion, sans paradis et sans enfer... Pas de bombes suicides, pas de 11 septembre, pas de Croisades, de partition de l'Inde, pas de guerres israélo-palestiniennes, pas de massacres de musulmans serbo-croates, pas de persécution de juifs, pas de "troubles" en Irlande du Nord, pas de télévangélistes au brushing avantageux, pas de talibans pour dynamiter les statues anciennes, pas de décapitations publiques des blasphémateurs, pas de femmes flagellées pour avoir montré une infime parcelle de peau...
En attendant cette libération, en attendant de "briser l'idolâtre qui est en nous" (Nietzsche), chacun peut croire ou ne pas croire, mais cela ne doit en aucune manière, d'aucune façon, interférer avec les lois de la République ou constituer une identité spécifique à l'intérieur de la société.
Je n'oublie pas que les religions ont été aussi facteurs de lien social et sociétal à travers leurs traditions et coutumes. J'ai moi-même grandi dans un environnement religieux (aimant et généreux) et mes souvenirs sont souvent associés à des fêtes religieuses (plus ou moins formulées comme telles cependant). A nous d'inventer peu à peu du lien et du "commun", familial, convivial, festif, symbolique, qui puisse se dérouler en-dehors d'une référence religieuse... ou seulement commerciale. Inventons d'autres traditions qui expriment le besoin et le bonheur de "vivre ensemble". Donnons du sens. Soyons imaginatifs. Regroupons nous autour de valeurs simples et intangibles : célébrons les saisons (comme les cerisiers en fleurs en Japon ou en Corée), la liberté, la paix, la nature, et pourquoi pas aussi les femmes, les enfants, les anciens...
Je refuse que ma culture soit fondée sur une religion, sur une parole soi-disant « révélée » et interprétée par des prophètes auto-proclamés. A la religion du Livre je préfère le culte des livres. J’oppose un doute serein à des certitudes inquiètes.
Tout reste à écrire. « Nous sommes tous prophètes car nous écrivons tous l’avenir. » (Yves Gerbal, La plage du prophète). Nous n'avons pas dit notre dernier mot.
You may say I'm a dreamer
But I'm not the only one
I hope someday you'll join us
And the world will live as one
(John Lennon)
Yves Gerbal, 2 janvier 2018.
14:34 | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
J'ai énormément de difficultés à lire (et donc me concentrer) sur un écran... J'ai repéré quelques petites "erreurs" mais sans numérotation (pages et/ou lignes), comment faire ? Ne pourrais-tu, à la rentrée, m'apporter une "version papier" ? Je travaille mieux... "à l'ancienne" !
Écrit par : Guelton Catherine | 06 janvier 2018
Merci pour cet exposé sans filtre , en totale transparence, ce qui montre une fois encore chez toi une grande honnêteté intellectuelle.
J'ai lu et relirai encore, puis nous en parlerons j'espère...
Écrit par : Serres rené | 09 janvier 2018
Friandise de mots pour les gourmets. Farandole pour le musicien. Analyse et analyses, saison 1, dans ta boite mail.
A bientôt pour parler des mots.
Écrit par : Orsini chantal | 31 janvier 2018
Il faudrait développer l’universalisme unitarien comme solution de remplacement à l’islam.
Créer un « islam universaliste »...
https://blogs.mediapart.fr/duduche/blog/240515/universalisme-unitarien
Écrit par : Totor | 10 juin 2018
Les commentaires sont fermés.