05 juillet 2024
De la politique. 5
De la politique.
Partie 5.
La fin du monde.
*********************
Je fais donc mon mea culpa. Je dois remercier le capitalisme de me nourrir presque sans efforts, de m'offrir du pain et des jeux, d'avoir financé depuis bientôt trois siècles une révolution industrielle et un progrès des techniques qui m'ont rendu la vie bien plus confortable, qui ont fait de moi un humain bien meilleur et bien plus heureux que mes lointains ancêtres assujettis à leurs instincts, à la nature et à ses caprices, à ses contingences, qui était esclave de sa misérable condition et soumis à des pouvoirs autoritaires arbitraires sanguinaires !
Oui. Ca va tellement mieux ! Merci grand Capital ! Merci Grand Marché ! Merci entrepreneurs, investisseurs, extracteurs, constructeurs ! Merci Sainte Croissance et Saint Progrès ! Merci d'avoir systématiquement pris à cette planète tout ce qui pouvait être "exploité" ! Merci d'avoir pillé ses ressources ! Merci d'avoir toujours su renouveler les types d'esclaves qui, d'hier à aujourd'hui, ont rendu ce miracle possible en rendant réalisables vos sublimes idées d'extension, de colonisation, d'uniformisation, de mondialisation !
Quoi ? Quelqu'un me souffle "d'extinction" ? Ah bon ? De qui, de quoi ? Des espèces ? Il en restera toujours assez ! De l'espèce humaine ? Ah bon. Vous êtes sûr ? Moi aussi ? Vous n'exagérez pas un peu
J'ai été enfant dans les années 60 du XXème siècle. Il y a forcément de la nostalgie dans le regard que je porte sur cette époque, qui probablement n'était pas parfaite pour tous et comportait son lot de tragédies collectives qui de toute façon accompagnent toujours l'histoire des hommes.
Non ce n'était "pas mieux avant". C'était différent. Ne cherchons pas un paradis perdu, en tout cas pas tout de suite... J'étais un enfant, et bien entouré, alors, forcément, je retrouve ce temps avec les yeux d'un homme mûr qui regarde la vie bien en face parce que la fin approche, et replonge avec émotion dans l'innocence de cette enfance pour y retrouver tant et tant de souvenirs heureux...
Quel rapport cette méditation mélancolique a-t-elle avec notre propos politique ? Enfant des années 60, et malgré deux conflits mondiaux au compteur du XXème siècle, jamais je n'aurais cru que 60 ans plus tard je devrais expliquer à mes petits-enfants que oui, sérieusement, sans exagération, on évoque une "fin du monde", et pas pour en faire un roman d'anticipation, pas dans le cadre d'une prophétie religieuse. On l'envisage "vraiment". On disserte, on commente, on discute. Même les sages, même les savants.
Guerre mondiale nucléaire ? Oui, c'est possible. Fin de l'humanité par épuisement de la planète et changement du climat ? Oui, c'est possible. Allez l'expliquer à vos enfants!
Leur dire la réalité de la cruauté humaine, du mal qui s'exprime sous bien des formes, ce n'est jamais facile. Les faire sortir de leur bulle protectrice et les laisser s'envoler vers tous les dangers possibles, ce n'est jamais évident.
"Expliquer" la mort, les deuils, à nos enfants, est difficile mais s'intègre dans la conscience de la condition humaine. Cette finitude fait partie du cours de la vie, elle en fait sa "nature".
Mais il faut maintenant leur dire aussi que leur génération verra peut-être l'extinction de notre humanité.
Alors je veux bien paraître un peu excessif dans ma dénonciation d'un système économique devenu aussi politique, je veux bien qu'on me taxe "d'anti-capitaliste primaire", mais j'ai quelques raisons de penser que si nous en sommes "là", le capitalisme y est pour beaucoup, comme nous l'avons montré ci-dessus.
Y compris d'ailleurs, n'ayons pas peur de le dire, par l'augmentation de la population en partie due à ces fameux "progrès" qui ont rallongé la durée de vie, sauvé des nourrissons, protégé les humains de nombreuses maladies.
Les guerres, qui n'ont jamais cessé, et les épidémies à toutes les époques, n'ont pas suffi à enrayer la progression exponentielle de la population mondiale entamée avec la sédentarisation de "Sapiens" et ce que l'on a coutume d'appeler "la révolution agricole" (entre 10000 et 7000 avant notre ère). Le capitalisme n'est pas la cause de tout mais si la planète était une entreprise elle serait en faillite, parce qu'il y a plus de profits à retirer en organisant la pénurie qu'en produisant ce qu'il faut pour nourrir 10 milliards d'habitants en 2050.
Comment expliquer alors à nos enfants et petits-enfants que tout le monde ne mange pas à sa faim sur une planète pourtant à l'origine pleine de ressources ? Comment expliquer que l'exploitation excessive et de plus en plus rapide a dilapidé toutes ces ressources et contribue à l'extinction de toutes les espèces vivantes, y compris la nôtre ? En deux siècles et demi de "révolution industrielle" le capitalisme, adossé à la politique et au pouvoir comme le christianisme l'était à la monarchie, a détruit de manière systématique les richesses naturelles du vivant sur notre planète. Mon "anti-capitalisme", somme toute, ne relève que de l'évidence d'un constat entre une cause et des effets.
Encore pourrait-on comprendre la destruction de notre environnement si les sociétés rassemblées autour de ce projet commun (disons à nouveau pour faire simple : "le progrès") s'en trouvaient apaisées, libérées de la fatalité du mal et de la violence. C'est tout le contraire. Le capitalisme est par essence porteur de violence. Freud l'associait à la "pulsion de mort". Le capitalisme est morbide par nature.
Le capitalisme c'est la guerre de tous contre tous, nous l'avons signalé dès le début de notre analyse. Il repose sur la complicité des Etats qui lui fournissent une "force légitime" au nom d'un ordre qui ne fait que perpétuer des inégalités.
Violence des rapports sociaux, violence des guerres commerciales, violence de la compétition instaurée en dogme, violence de la frustration (on en veut "toujours plus"), violences du travail aliénant, violence des hiérarchies, violence des injustices et des rapports de force, violence des systèmes médiatiques, violence de l'argent-roi.
Si la planète brûle à cause du capitalisme, la société s'embrase à cause de lui. Le "collectif" que crée le capitalisme politique n'est qu'une façade. Derrière la belle vitrine les pulsions les plus primaires sont constamment exacerbées. Certes les investisseurs prétendent aimer la paix qui instaure la stabilité favorable aux bonnes affaires. Mais les meilleures affaires, c'est encore en temps de guerre (ou d'épidémies), en temps de crises, qu'on les fait.
Le capitalisme n'a rien construit de durable. Les mégapoles sont fragiles, prêtes à s'effondrer. Il ne laissera que des déchets. Il ne propose aucune valeur morale commune qui pourrait contribuer à tendre vers un "vivre ensemble" harmonieux pour tous. Son "confort démocratique" se paye au prix de la destruction de l'humain. Sa violence naturelle s'est répandue comme un virus dans tous les domaines de la vie en société. Bien loin de faire du "collectif" il ne fait que diviser et se nourrit de ces divisions. Comment pourrait-on ne pas le dénoncer ?
Faut-il se résigner en attendant la fin du monde ? Faut-il fuir ? Peut-on limiter les effets morbides du capitalisme et de tous ses complices ? Faut-il alors se tourner vers d'autres manières de "faire du collectif avec des individus" pour faire du "politique" ? Quelles valeurs pour demain ? Quelle place peuvent tenir les religions, la culture, dans ce projet de "vivre ensemble" ? Ce projet se heurte-t-il à des frontières civilisationnelles ?
Nous en reparlerons éventuellement plus tard. D'ici là, j'aurai voté.
En attendant, je vais passer une semaine en "retraite" dans l'abbaye de Sénanque... A bientôt !
“Peu à peu il devint impossible d’échanger avec quiconque une parole raisonnable. Les plus pacifiques, les plus débonnaires, étaient enivrés par les vapeurs de sang, des amis que j’avais toujours connus comme des individualistes déterminés s’étaient transformés du jour au lendemain en patriotes fanatiques. Toutes les conversations se terminaient par de grossières accusations, il ne restait dès lors qu’une chose à faire, se replier sur soi-même et se taire aussi longtemps que durerait la fièvre.”
Stefan Zweig, 1914. "Le monde d'hier".
Yves Gerbal
24 juin 2024
18:48 | Lien permanent | Commentaires (0)
Écrire un commentaire