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07 novembre 2019

La panthère perchée

On début on peut penser s’ennuyer un peu. Pensez donc : le « pitch »c’est l’histoire d’un mec qui attend de voir une très rare panthère perchée quelque part, très haut, dans un coin reculé du Tibet. Pas très passionnant comme promesse narrative !
On s’embarque donc avec ce photographe animalier (Vincent Munier), sa copine, un ami philosophe et porteur, et le Sylvain Tesson, pour faire l’expérience de l’immobilité, du silence, de l’attente, de la patience.
On imagine bien un documentaire télé, avec belles images et commentaires à la National Geographic. Mais un livre ! Faire un livre avec ça ? Des mots, vraiment rien que des mots (deux images néanmoins dont une splendide en bandeau du livre) ? Comment faire pour raconter cette expérience d’un temps passé à attendre ? Comment Sylvain Tesson, inlassable baroudeur qui, même après un accident presque mortel, a traversé la France à pied (« Sur leschemins noirs » 2016), lui qui a passé sa vie à avoir la bougeotte, comment va t il faire un récit avec l’immobilité du chasseur d’images ? La réponse est en fait très simple : en faisant de la littérature. Car si Sylvain Tesson a d’abord été reconnu comme un aventurier, il est désormais devenu un écrivain. Et pas un petit. Parce qu’en lisant ses descriptions de paysages, ses « portraits « de bêtes, ses réflexions sur l’homme et la nature, on songe inévitablement à Giono. Un auteur dont Munier, le (grand) photographe animalier qui a invité Tesson au Tibet, avoue (p 149) qu’il a « tout lu », malgré des études écourtées. Nul doute que Sylvain le voyageur a aussi « tout lu « de l’œuvre du (très grand) écrivain de Manosque qui, lui, ne voyageait que dans ses romans.
On ne s’ennuie donc pas du tout à attendre avec ce quatuor l’apparition de cette fameuse panthère . Au contraire. On se hâte de lire. On accélère parce qu on veut savoir, savoir surtout ce que cela « fait » d’attendre, d’espérer, de voir enfin (je ne tue pas le suspense en le disant).
Tesson confirme donc ici un art d’écrire longuement forgé dans ses ouvrages antérieurs et en particulier avec « Dans les forèts de Sibérie » qui était déjà une expérience de l’immobilité dans une cabane au bord du lac Baïkal ( prix Médicis, 2012). Cet art est un savant mélange de prose classique et raffinée ( il ne s’interdit même pas les imparfaits du subjonctif), d’humour parfois trivial, d’aphorismes percutants, le tout sur un fond philosophique distillé aux bons moments et comme « en passant » mais qui offre à l’esprit des échappées culturelles réjouissantes et de puissantes et vigoureuses synthèses métaphysiques.
Œuvre d’une certaine « maturité », en partie due à cet accident qui faillit lui coûter la vie et à des deuils familiaux (sa mère, très présente dans ce livre), cette « Panthère des neiges » est une nouvelle ode à la contemplation, à la poésie du monde, à l’adhésion (très nietzschéenne) à « ce qui est ». On s’y trouve au carrefour des philosophies orientales et occidentales, et au carrefour temporel d’une époque qui ouvre sur des avenirs incertains. Que nous dit cette panthère que rien ne semble perturber ?
Chut ... « l’on ne blesse pas un songe avec des bavardages ». Je ne vous en dirai pas plus. Mais une fois le livre refermé vous songerez longtemps à ce noble félin, souple et carnassier, incarnation de la dualité taoïste et héraclitéenne, animal qui passe comme passent les hommes car « Mourir, c’est passer ».
Dans notre monde agité, compulsif, fébrile, le récit de ce temps de pause et de silence nous rappelle la simple possibilité de rester toujours à « l’affût ». Et pour cela, pas besoin d’aller au Tibet.
La poésie n’est pas nécessairement au coin de la rue mais à nous d’être patient et de guetter, ici comme là bas, son apparition comme on guetterait la venue d’une panthère sur son rocher neigeux.
Yves Gerbal
17 octobre 2019
« La panthère des neiges »Sylvain Tesson Éditions Gallimard

07:37 Publié dans LIVRES | Lien permanent | Commentaires (0)