26 juin 2021
Koons au Mucem : la mauvaise galéjade
En voyant une affiche dans les rues d’Aix en Provence je viens d’apprendre que le MUCEM, musée (marseillais)des Civilisations d’Europe et de Méditerranée ouvre grand ses portes à l’artiste américain Jeff Koons. J’étais en voiture. J’ai failli avoir un accident tant je fus ahuri de réaliser que ce Musée national (donc payé via nos impôts) va offrir pendant 5 mois une nouvelle opportunité au milliardaire François Pinault de valoriser encore un peu plus sa vache à lait artistique , sa machine à fric la plus rentable de sa « Fondation ».
Car qui est Jeff Koons ? Une construction artificielle, un pseudo-artiste fabriqué pour être le support principal et la tête de gondole (Pinault a deux musées à Venise) d’une extraordinaire opération spéculative, un imparable détournement de l’art contemporain au profit d’un marché dont les plus riches tirent les ficelles puisqu’ils en déterminent eux mêmes les cotations.
Comment ça marche ? C est assez simple. Il suffit d’avoir quelques millions et les relations qui vont avec pour amorcer la pompe. Vous choisissez un artiste qui fait dans le décoratif (grand format bien sûr) et le degré zéro du sens, histoire de pouvoir lui associer tous les discours savants que vous voulez et pouvoir le décliner en merchandising, sans oublier que ses “œuvres” doivent  être immédiatement reconnaissables, et photogéniques (pour faire image dans les smartphones). Jeff Koons est parfait. Lisse, sans aucun génie, glamour ce qu’il faut, un peu sulfureux ( un jeu), kitsch moderne, neo pop, pas engagé, très à l aise avec les médias... Et en plus : ancien trader !!!
Vous en faites l’artiste majeur de votre collection d’art contemporain. Vous l’exposez partout, et bien en vue. Par exemple au bord du Grand Canal à Venise, dans les jardins du Château de Versailles, ou sur l’esplanade du musée Guggenheim à Bilbao. Tout cela avec la complicité des villes ou des institutions qui évidemment se pâment à l’idée d’accueillir le « grand artiste » et les retombées financières grâce aux gogos qui eux aussi se prosternent devant les « œuvres « du maître.
Car entre-temps l’artiste élu par le milliardaire est bien sûr devenu une valeur sur le marché de l art. En vertu de quoi ? Du simple fait qu’on l’a vu partout, et dans des endroits prestigieux. L’art ayant du mal à établir ses cotations sur des valeurs strictement artistiques il se fonde naturellement sur les lois du commerce. Plus un artiste est muséfié plus il prend de la valeur. Plus il est côté. Et comme le milliardaire a les moyens d’entrer dans tous les musées (qui ont aussi besoin de ses milliards) il fait entrer sa pouliche préférée, sa poule aux œufs d’or, dans tous les lieux d’exposition prestigieux, et vogue la galère : la valeur de l’artiste grimpe « automatiquement » parce qu il y aura aussi toujours d’autres milliardaires qui voudront eux aussi se payer « un Jeff Koons » pour mettre dans le grand salon de leur yacht ou dans leur appartement de Dubaï. Parce qu il y a aussi tous les relais médiatiques qui au lieu de faire leur travail critique courbent le dos devant les milliards qui irriguent aussi ces médias...Voilà comment Koons a pu devenir assez vite l’artiste vivant le plus cher au monde. Idem pour le britannique Damien Hirst et le Japonais Murakami, les deux autres poulains de Pinault qui forment avec Koons le trio gagnant de la spéculation mondialisée sur le marché de l’art.
Une fois la pompe amorcée, c’est imparable. Jeff Koons, puisqu il est partout, puisqu’il vaut si cher, est « forcément » un artiste majeur. C’est indiscutable. Et si vous en doutez on va vous faire passer évidemment comme le ringard de service qui ne comprend rien à l’art contemporain, ou pire pour un réactionnaire. Ou un artiste aigri. Classique.
Les deux commissaires de l’expo du MUCEM s’appellent Elena Geuna et Émilie Girard. Les très courtes vidéos sur le site du musée qui annoncent l’expo justifient la présence de Koons par la mise en relation de ses œuvres avec des objets ou images du fonds patrimonial du MUCEM. On y voit par exemple un rapprochement entre un « lobster » du pop artiste américain avec l’image ancienne d’une acrobate dont la posture ressemble à celle du homard (voir ci-dessous). Ah wouhai... Super ! Sinon, il y a les cœurs de Koons mis en relation avec des... images de cœurs, ou des objets en forme de cœur.
Un tel degré zéro du sens, de l’intelligence, du message, c’est très fort.
Mais évidemment ils vont pouvoir compter sur tous les gogos intellos qui vont eux aussi se pâmer devant l’événement : « Tu te rends compte, Jeff Koons, à Marseille, dans notre ville, dans notre MUCEM... » Je ne doute pas que les files seront longues à l’entrée (payante). Pinault doit bien se marrer. Koons doit bien s’amuser aussi, lui l’ancien trader, fils spirituel d’Andy Wharol qui était un publicitaire. De l’artiste qui fait de l’art un objet de pub à l’artiste qui fait de l’art un pur produit de spéculation... Tout cela est très logique. Capitalistiquement parlant.
Elle est pas belle la vie ? C’est tellement simple de prendre les gens pour des cons ! Et c’est tellement encore mieux quand ça permet aux milliards de fructifier gentiment au nom de la noble cause de l’art ... Car ce bon MrPinault est décidément très gentil de partager ainsi un peu de sa collection, “aimablement prêtée” comme on le lit sur le site.
Je suppose que nos deux commissaires vont lui dire merci, bien sûr, dans chacune de leur prise de parole. Putain, franchement, je les envie pas. Mais j’oublie pas que ce sont nos impôts qui les payent, alors si j’ai l’occasion je leur en dirai deux mots. Ça nous permettra de parler peut être aussi de l’essentiel, qui n’est pas là : l’art.
Yves Gerbal, 24 juin 2021
10:16 | Lien permanent | Commentaires (1)