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10 octobre 2018

Pour un populisme de gauche ?

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 La gauche se demande parfois pourquoi elle n'a plus les faveurs du vote populaire. C'est pourtant assez simple. Depuis les  années 80 le mitterrandisme a donné naissance à cette partie de la gauche qu'on a d'abord appelé gauche caviar (figure tutélaire : Jack Lang), et  qu'on appellerait  plutôt aujourd'hui gauche bio (exemples nombreux dans les salles de profs) ou gauche bobo (exemples de figures tutélaires :  Charlotte Gainsbourg, Charles Berling)  C'est une gauche cultivée, essentiellement citadine, bien sous tous rapports. A cette gauche, il a donc toujours fallu une cause forte, à la hauteur de son niveau socio culturel et de sa légitime ambition militante.
Dans les années 80 il était tout de même un peu difficile de se prétendre ouvertement  trotskiste (on gardait ça comme laisser-passer interne au parti socialiste) ou de soutenir encore la cause maoiste comme on pouvait romantiquement le faire en 68, sans peur du ridicule ni de honte à  prendre pour modèles quelques uns des régimes les plus meurtriers du siècle. Certes la génération précédente de cette intellingentsia n'avait pas hésité  à afficher son soutien à Staline avant de se raviser un peu tard, sans véritable mea culpa. On connaît bien sûr par exemple les incroyables errances de Sartre, faisant jouer ses pièces devant les nazis puis ostracisant Camus au nom d'une theorie marxiste que l'URSS démentait dans les faits depuis des décennies... Et c'est lui, le même "Pape" de cette gauche en manque de gourous, qui fondera Libération, la Bible des mitterrandiens et de cette génération qui inventait le boboisme politique (faites ce que je dis, pas ce que je fais). On se doute bien qu'avec de telles figures de proue, cette gauche là ne pouvait se satisfaire de causes trop communes, donc trop...populaires. Le populaire, c'est tout ce qu'ils exécraient ! Sauf quand Andy Warhol (en posters sur leurs murs) faisait du "pop art"... Bref, c'est de l'histoire ancienne. Passons.
Après la victoire de Mitterrand, cette  gauche de baby-boomers, omniprésente dans les milieux intellectuels et médiatiques, habile à parler à tout propos et à user de l'argument d'autorité, avait donc besoin d'une cause (exit le mur de Berlin, by by le communisme)  pour asseoir ses certitudes idéologiques et assurer son confort moral. Cette cause, justement, aurait pu être  "la cause du peuple" ( nom du célèbre journal de la gauche "prolétarienne" de mai 68 à 70, Mao, faucille et marteau), Mais non. A cette gauche là il fallait quelque chose de plus original. Le "peuple" ne lui suffisait plus. Peut être parce que ces "gauchistes"  là venaient des beaux quartiers. Le peuple ? De loin, à la rigueur. Mais de près : bof...  Trop "beauf" justement ( Cabu venait  d'inventer le personnage dans Charlie Hebdo),  Trop blanc, trop conformiste, trop frustre, trop réactionnaire. Pas très fun, ce peuple. Pas très glamour, à un moment où la cour mitterrandienne faisait briller par ailleurs les artistes, chanteurs, créateurs en tous genres. Vous imaginez Buren défendre un peuple qui se moquait de ses colonnes du Palais Royal ?
La "génération Mitterrand", qui était aussi d'ailleurs la génération NRJ (fleuron des nouvelles "radios libres"), s'est donc entichée de l'immigré (ou plutôt de la "figure" de l'immigré) en le parant du costume de double victime, par le passé colonial de son pays d'origine et par le racisme présent des français (les fameux "beaufs"). Cette génération décidément très en verve créative a imaginé  un slogan digne d'une cour de récré ou d'une chanson d'Alain Souchon ("tar ta gueule") : le célèbre "Touche pas à mon pote" (et la petite main jaune qui allait avec). Cette géniale trouvaille lexicale était digne d'un rédacteur concepteur dans la pub. N'oublions  pas que le très mondain Jacques Seguéla, fils de pub, avait  grandement contribué à l'élection de François M. grâce à son slogan  "force tranquille" et à l'image d'un petit village français...avec un clocher ! (Je  ne sais pas si Seguéla s'était déjà offert une Rolex avec l'argent du PS... Mais je suis sûr qu'aujourd'hui on ne verrait plus le clocher sur une affiche du PS !).  Mais "Touche pas à mon pote", ce n'était pas de la pub, hélas. C'était de la politique. Il s'agissait, rien de moins, que d'universaliser (essentialiser?)  la notion très rudimentaire  de "pote" (annonçant le "frère" des cités d'aujourdhui) et en même temps de discriminer  le groupe ("mon" pote) car évidemment tout le monde ne pouvait pas prétendre à ce statut qui offrait une sorte d'impunité à peu près totale à celui qui en bénéficiait, c'est à dire l'immigré nord-africain (parce que les autres immigrés ne pouvaient prétendre au même passé colonial).

En marge de cette belle cause, le disciple de cette gauche moderne et mondialisée s'offrait  régulièrement des causes lointaines, internationales, très idéologiquement  flatteuses : on portait volontiers Che Guevara en bandoulière, symbole de ces nobles engagements. Et pendant ce temps, dans des banlieues abandonnées par cette gauche du boulevard St Germain relayée par les catégories  middle-sup intellectuelles, puissants leviers de transmission, le peuple prolétarien voyait peu à peu son environnement se dégrader, sa culture se perdre, sa vie se pourrir, sans que cette gauche petite-bourgeoise qui avait porté Mitterrand au pouvoir s'en préoccupe particulièrement, à quelques exceptions près en certaines occasions plus spectaculaires ou plus symboliques  (Lip, Michelin) car cette gauche là, Monsieur, a besoin de lyrisme et de mythologie pour asseoir son militantisme. C'est dans sa nature, et c'est plutôt intéressant en général, sauf quand ça déteint en politique.
Plus tard, au début des années 90, quand les premiers problèmes d'intégration d'une culture religieuse musulmane se sont posées dans la société française et son principe républicain de laïcité (les filles voilées du collège de Créteil), cette gauche s'est évidemment engouffrée dans la noble cause de "la diversité" en prêchi-prêchant une "tolérance" sans autre substance que tautologique ("il faut être tolérant parce qu'il faut être tolérant"), substance molle devant laquelle toute tentative de réflexion ou d'objection ou de nuance était irrémédiablement classée dans le camp d'un fascisme rétrograde et, one more time, "raciste" (bien qu'on dise en même temps, bien sûr, et à juste titre, que le concept de "race" est inopérant).
Aujourd'hui cette gauche là, qui commence à se rendre compte (en off seulement, en privé) qu'elle a probablement sous estimé  l'importance du problème culturel voire du défi civilisationnel auquel  nous confronte  l'influence et l'entrisme islamiques, cette gauche là, donc, vient de trouver une manière de rebondir. Une nouvelle cause la mobilise : les migrants. Changement dans la continuité.
C'est tout à son honneur, devrait on dire. Et elle ne se prive pas de faire de la tragédie des migrants une nouvelle façon de nous renvoyer à notre manque d'humanité, notre manque de morale, et autres leçons  dont elle s'est fait une  spécialité, tournant en boucle les mêmes indignations et formes de compassion très ciblées dans un entre soi soigneusement maintenu par un système de cooptation bien rodé, se tenant à l'écart de toute parole déviante...
Et le peuple, pendant ce temps ? Le peuple des villes et le peuple des champs ? Que  devient il ? Il fulmine, terré dans son appart d'une cité devenue drogue center, ou il rumine, atterré dans une campagne devenue centre commercial  ....
Et il y a belle lurette que ce peuple  n'écoute plus les  beaux parleurs qui croient faire l'opinion. Les migrants, à vrai dire, c'est pas trop son problème. Et il s'étonne même de toute cette mise en branle compassionelle alors que lui, son problème, c'est plutôt de pouvoir juste payer son loyer et vivre dans un quartier à peu près tranquille sans avoir non plus à renier sa culture ni ses usages. Et quand ce peuple s'éveillera, il ne faudra peut être pas que cette gauche s'étonne, une fois encore, qu'elle lui tourne le dos...
Mais tout n'est pas perdu ! Dans une récente interview donné au Point, Chantal Mouffe , l'une des  têtes pensantes du parti des "Insoumis" évoque le besoin de la gauche d'être elle aussi, d'une certaine manière, "populiste" (1) Cette philosophe qui remue un peu le cocotier idéologique de cette gauche "extrême", rappelle notamment qu'il faut reconnaître qu'il y a " un investissement libidinal très fort dans les identités nationales et au lieu de le nier il faut essayer de le mobiliser sous la forme d'un patriotisme de gauche." Elle ne récuse pas la notion de "roman national" et rappelle que le populisme de droite à deux idées fortes : "il reconnaît le rôle des affects en politique; il admet que la politique passe par la construction du "nous". La gauche est trop rationaliste pour le comprendre. Pour elle, les arguments et les chiffres suffisent. Or ce qui pousse les gens à agir, ce sont les affects. Abandonner ce domaine à la droite, c'est mortifère."
Passionnante interview qui ouvre des perspectives vers une réconciliation, enfin, de la gauche avec le peuple, tout le peuple, et pas seulement les camarades ou les "potes"...
Tout est encore possible pour cette gauche, à  moins que, une fois de plus, le  peuple dont elle a fait sa cause à ses origines, ne lui plaise toujours pas, ne pense toujours pas ce qu'elle voudrait qu'il pense. Dans ce cas, faudra lui dire, à la gauche, d'arrêter de vouloir remplacer ce peuple par l'idée qu'elle s'en fait.  En philo ça marche peut être. Dans la vraie vie, la réalité résiste.

Yves Gerbal, 8 octobre 2018.
(1) Pour un populisme de gauche , Chantal Mouffe. Albin Michel. 144p, 14€.

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