Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

15 janvier 2019

Le lambeau

Dernier jour de l’année. Je viens de terminer la lecture du livre de Philippe Lançon : Le lambeau. En larmes. Pour de vrai. Ce livre (prix Fémina et prix spécial du jury Renaudot) est bien à la hauteur de tout ce qu’on en a dit. C’est une incroyable construction littéraire qui raconte l’histoire d’une reconstruction. Philippe Lançon est l’un des « rescapés » de l’attentat de Charlie Hebdo (7 janvier 2015). Il ne fait, dans ces 500 pages, « que » raconter le jour de l’attentat et les mois qui suivirent à essayer de reconstituer chirurgicalement son visage défiguré. Ce n’est donc « que » l’histoire d’un corps, narrée dans la détail de chaque opération et de tout une existence désormais réduite à l’espace d’un l’hôpital et à quelques rares sorties et de nombreuses visites sous protection policière. Dit comme ça, évidemment, ce n’est pas très vendeur. Amateurs de romanesque, passez votre chemin. Ce n’est « que » l’histoire d’un homme mutilé, ravagé, qui trouve en grande partie consolation dans les livres, la musique, la peinture, dont il est un chroniqueur professionnel mais reste un amateur enthousiaste. Ce n’est « que » cela, oui, mais c’est de la littérature. Et c’est ce qui fait toute la différence. A l’heure où tant de livres inutiles encombrent les rayons des librairies, ces espèces de commerce en voie de disparition, il est rassurant de constater que l’on peut encore trouver des livres d’une telle qualité, d’une telle intensité, d’une telle maîtrise dans la construction et le style, d’un tel équilibre entre l’émotion et la réflexion, entre l’histoire individuelle et son élargissement à tous. Car évidemment personne d’autre n’aurait pu écrire ce livre. Et Philippe Lançon non plus sans cet « accident » de la vie. Mais la transmutation littéraire de cette expérience tragique est tout bonnement miraculeuse.

Lire la suite

10 octobre 2018

Pour un populisme de gauche ?

photo .JPG

 La gauche se demande parfois pourquoi elle n'a plus les faveurs du vote populaire. C'est pourtant assez simple. Depuis les  années 80 le mitterrandisme a donné naissance à cette partie de la gauche qu'on a d'abord appelé gauche caviar (figure tutélaire : Jack Lang), et  qu'on appellerait  plutôt aujourd'hui gauche bio (exemples nombreux dans les salles de profs) ou gauche bobo (exemples de figures tutélaires :  Charlotte Gainsbourg, Charles Berling)  C'est une gauche cultivée, essentiellement citadine, bien sous tous rapports. A cette gauche, il a donc toujours fallu une cause forte, à la hauteur de son niveau socio culturel et de sa légitime ambition militante.
Dans les années 80 il était tout de même un peu difficile de se prétendre ouvertement  trotskiste (on gardait ça comme laisser-passer interne au parti socialiste) ou de soutenir encore la cause maoiste comme on pouvait romantiquement le faire en 68, sans peur du ridicule ni de honte à  prendre pour modèles quelques uns des régimes les plus meurtriers du siècle. Certes la génération précédente de cette intellingentsia n'avait pas hésité  à afficher son soutien à Staline avant de se raviser un peu tard, sans véritable mea culpa. On connaît bien sûr par exemple les incroyables errances de Sartre, faisant jouer ses pièces devant les nazis puis ostracisant Camus au nom d'une theorie marxiste que l'URSS démentait dans les faits depuis des décennies... Et c'est lui, le même "Pape" de cette gauche en manque de gourous, qui fondera Libération, la Bible des mitterrandiens et de cette génération qui inventait le boboisme politique (faites ce que je dis, pas ce que je fais). On se doute bien qu'avec de telles figures de proue, cette gauche là ne pouvait se satisfaire de causes trop communes, donc trop...populaires. Le populaire, c'est tout ce qu'ils exécraient ! Sauf quand Andy Warhol (en posters sur leurs murs) faisait du "pop art"... Bref, c'est de l'histoire ancienne. Passons.
Après la victoire de Mitterrand, cette  gauche de baby-boomers, omniprésente dans les milieux intellectuels et médiatiques, habile à parler à tout propos et à user de l'argument d'autorité, avait donc besoin d'une cause (exit le mur de Berlin, by by le communisme)  pour asseoir ses certitudes idéologiques et assurer son confort moral. Cette cause, justement, aurait pu être  "la cause du peuple" ( nom du célèbre journal de la gauche "prolétarienne" de mai 68 à 70, Mao, faucille et marteau), Mais non. A cette gauche là il fallait quelque chose de plus original. Le "peuple" ne lui suffisait plus. Peut être parce que ces "gauchistes"  là venaient des beaux quartiers. Le peuple ? De loin, à la rigueur. Mais de près : bof...  Trop "beauf" justement ( Cabu venait  d'inventer le personnage dans Charlie Hebdo),  Trop blanc, trop conformiste, trop frustre, trop réactionnaire. Pas très fun, ce peuple. Pas très glamour, à un moment où la cour mitterrandienne faisait briller par ailleurs les artistes, chanteurs, créateurs en tous genres. Vous imaginez Buren défendre un peuple qui se moquait de ses colonnes du Palais Royal ?
La "génération Mitterrand", qui était aussi d'ailleurs la génération NRJ (fleuron des nouvelles "radios libres"), s'est donc entichée de l'immigré (ou plutôt de la "figure" de l'immigré) en le parant du costume de double victime, par le passé colonial de son pays d'origine et par le racisme présent des français (les fameux "beaufs"). Cette génération décidément très en verve créative a imaginé  un slogan digne d'une cour de récré ou d'une chanson d'Alain Souchon ("tar ta gueule") : le célèbre "Touche pas à mon pote" (et la petite main jaune qui allait avec). Cette géniale trouvaille lexicale était digne d'un rédacteur concepteur dans la pub. N'oublions  pas que le très mondain Jacques Seguéla, fils de pub, avait  grandement contribué à l'élection de François M. grâce à son slogan  "force tranquille" et à l'image d'un petit village français...avec un clocher ! (Je  ne sais pas si Seguéla s'était déjà offert une Rolex avec l'argent du PS... Mais je suis sûr qu'aujourd'hui on ne verrait plus le clocher sur une affiche du PS !).  Mais "Touche pas à mon pote", ce n'était pas de la pub, hélas. C'était de la politique. Il s'agissait, rien de moins, que d'universaliser (essentialiser?)  la notion très rudimentaire  de "pote" (annonçant le "frère" des cités d'aujourdhui) et en même temps de discriminer  le groupe ("mon" pote) car évidemment tout le monde ne pouvait pas prétendre à ce statut qui offrait une sorte d'impunité à peu près totale à celui qui en bénéficiait, c'est à dire l'immigré nord-africain (parce que les autres immigrés ne pouvaient prétendre au même passé colonial).

En marge de cette belle cause, le disciple de cette gauche moderne et mondialisée s'offrait  régulièrement des causes lointaines, internationales, très idéologiquement  flatteuses : on portait volontiers Che Guevara en bandoulière, symbole de ces nobles engagements. Et pendant ce temps, dans des banlieues abandonnées par cette gauche du boulevard St Germain relayée par les catégories  middle-sup intellectuelles, puissants leviers de transmission, le peuple prolétarien voyait peu à peu son environnement se dégrader, sa culture se perdre, sa vie se pourrir, sans que cette gauche petite-bourgeoise qui avait porté Mitterrand au pouvoir s'en préoccupe particulièrement, à quelques exceptions près en certaines occasions plus spectaculaires ou plus symboliques  (Lip, Michelin) car cette gauche là, Monsieur, a besoin de lyrisme et de mythologie pour asseoir son militantisme. C'est dans sa nature, et c'est plutôt intéressant en général, sauf quand ça déteint en politique.
Plus tard, au début des années 90, quand les premiers problèmes d'intégration d'une culture religieuse musulmane se sont posées dans la société française et son principe républicain de laïcité (les filles voilées du collège de Créteil), cette gauche s'est évidemment engouffrée dans la noble cause de "la diversité" en prêchi-prêchant une "tolérance" sans autre substance que tautologique ("il faut être tolérant parce qu'il faut être tolérant"), substance molle devant laquelle toute tentative de réflexion ou d'objection ou de nuance était irrémédiablement classée dans le camp d'un fascisme rétrograde et, one more time, "raciste" (bien qu'on dise en même temps, bien sûr, et à juste titre, que le concept de "race" est inopérant).
Aujourd'hui cette gauche là, qui commence à se rendre compte (en off seulement, en privé) qu'elle a probablement sous estimé  l'importance du problème culturel voire du défi civilisationnel auquel  nous confronte  l'influence et l'entrisme islamiques, cette gauche là, donc, vient de trouver une manière de rebondir. Une nouvelle cause la mobilise : les migrants. Changement dans la continuité.
C'est tout à son honneur, devrait on dire. Et elle ne se prive pas de faire de la tragédie des migrants une nouvelle façon de nous renvoyer à notre manque d'humanité, notre manque de morale, et autres leçons  dont elle s'est fait une  spécialité, tournant en boucle les mêmes indignations et formes de compassion très ciblées dans un entre soi soigneusement maintenu par un système de cooptation bien rodé, se tenant à l'écart de toute parole déviante...
Et le peuple, pendant ce temps ? Le peuple des villes et le peuple des champs ? Que  devient il ? Il fulmine, terré dans son appart d'une cité devenue drogue center, ou il rumine, atterré dans une campagne devenue centre commercial  ....
Et il y a belle lurette que ce peuple  n'écoute plus les  beaux parleurs qui croient faire l'opinion. Les migrants, à vrai dire, c'est pas trop son problème. Et il s'étonne même de toute cette mise en branle compassionelle alors que lui, son problème, c'est plutôt de pouvoir juste payer son loyer et vivre dans un quartier à peu près tranquille sans avoir non plus à renier sa culture ni ses usages. Et quand ce peuple s'éveillera, il ne faudra peut être pas que cette gauche s'étonne, une fois encore, qu'elle lui tourne le dos...
Mais tout n'est pas perdu ! Dans une récente interview donné au Point, Chantal Mouffe , l'une des  têtes pensantes du parti des "Insoumis" évoque le besoin de la gauche d'être elle aussi, d'une certaine manière, "populiste" (1) Cette philosophe qui remue un peu le cocotier idéologique de cette gauche "extrême", rappelle notamment qu'il faut reconnaître qu'il y a " un investissement libidinal très fort dans les identités nationales et au lieu de le nier il faut essayer de le mobiliser sous la forme d'un patriotisme de gauche." Elle ne récuse pas la notion de "roman national" et rappelle que le populisme de droite à deux idées fortes : "il reconnaît le rôle des affects en politique; il admet que la politique passe par la construction du "nous". La gauche est trop rationaliste pour le comprendre. Pour elle, les arguments et les chiffres suffisent. Or ce qui pousse les gens à agir, ce sont les affects. Abandonner ce domaine à la droite, c'est mortifère."
Passionnante interview qui ouvre des perspectives vers une réconciliation, enfin, de la gauche avec le peuple, tout le peuple, et pas seulement les camarades ou les "potes"...
Tout est encore possible pour cette gauche, à  moins que, une fois de plus, le  peuple dont elle a fait sa cause à ses origines, ne lui plaise toujours pas, ne pense toujours pas ce qu'elle voudrait qu'il pense. Dans ce cas, faudra lui dire, à la gauche, d'arrêter de vouloir remplacer ce peuple par l'idée qu'elle s'en fait.  En philo ça marche peut être. Dans la vraie vie, la réalité résiste.

Yves Gerbal, 8 octobre 2018.
(1) Pour un populisme de gauche , Chantal Mouffe. Albin Michel. 144p, 14€.

08 juillet 2018

Philosophie ou confort intellectuel ? Petite réflexion sur la difficulté de penser.

« Notre tête est ronde pour permettre à la pensée de changer de direction »  Francis Picabia

is.jpg

 

Il y a un paradoxe extraordinaire à constater que ceux qui prétendent s'affranchir de la "doxa"(l'opinion commune, au sens platonicien) sont eux-mêmes porteurs d'une "doxa" au moins aussi fermée que celle qu'ils cherchent à combattre. Ceux qui ont pour fonction d'apprendre la liberté de penser et d'opinion ont très majoritairement les mêmes pensées et les mêmes opinions. (1)

Voilà pourquoi il n'est pas très difficile de prévoir quelle sera par exemple, in fine, l'opinion retenue par une très grande majorité de professeurs de philosophie sur une problématique donnée (et en particulier quand le sujet est "politique"). Voilà pourquoi aussi peut-être le débat philosophique qui se prétend ouvert se referme la plupart du temps sur des opinions convenues, attendues, équivalent savant et dialectique du "lieu commun" littéraire. Voilà pourquoi la philosophie donne parfois l'impression de tourner en rond et de ne plus proposer de pistes stimulantes pour la pensée parce que ses zélées élites restent dans leur zone de confort intellectuel alors même, là est le paradoxe, qu'elles prétendent vouloir nous en faire sortir. Chacun, finalement, reste dans la caverne de Platon, et ne se risque pas à sortir dans l'aveuglante lumière des vérités qui fâchent...

Il suffit, pour s’en convaincre, d’assister à des débats réunissant plusieurs membres de cette communauté philosophique « professionnelle », caste qui ne dit pas son nom mais qui pourtant se révèle extrêmement soudée et solidaire autour de quelques idées inamovibles.

Oubliant la fameuse devise de Socrate « Ce que je sais de plus c’est que je ne sais rien », qui incite à faire table rase avant de partir en quête de vérité, le professeur de philosophie avance la plupart du temps, probablement inconsciemment, avec « une » idée en tête et n’a de cesse, malgré la sincérité de sa posture de chercheur et la cohérence de sa démarche logique, de démontrer la validité de cette idée véritablement « pré-conçue » et dont il est depuis longtemps familier, qu’il aime caresser, et bien sûr toujours dans le sens du poil...

Il est rare de voir un philosophe arriver là où il ne pensait pas, c’est à dire accepter peut-être même de s’égarer, de prendre des routes inconnues, d’oser des pistes qui le rebutent, pour finalement atteindre une vérité dérangeante avec laquelle il devra composer et revoir, peut-être, son logiciel de pensée. Cela, il est vrai, est moins confortable que de se faire adouber en permanence par des membres de la même confrérie dont les disciples sont soigneusement cooptés et qui ont dû montrer, dès l’entrée dans la famille, qu’ils seraient de bons petits soldats de la bonne pensée. A l’entrée de la boite « philosophie professionnelle » il faut montrer non pas « patte blanche » (cette expression ne relèverait-elle pas d’ailleurs d’un affreux spécisme raciste anti-loup ?) mais plutôt « patte gauche »… Sinon désolé, « ça va pas être possible » !

Les réseaux sociaux où s’invitent aujourd’hui parfois les débats en tous genres confirment cet « entre-soi » où chacun recherche l’assentiment, la confirmation, le cocooning idéologique. Les algorythmes de Facebook ont vite fait d’accentuer l’effet : on ne parle, en définitive, qu’à des convaincus…(2). C’est gagné d’avance !

Et cela, je veux dire cette difficulté à affronter la pensée différente, d’oser la vraie confrontation, s’avère d’autant plus évident que chacun de ces prosélytes du savoir et de la sagesse philosophique ne voit le réel que de son point de vue, de là d’où il est ancré (socialement, culturellement, idéologiquement, psychologiquement, historiquement etc…). La prétendue objectivité tant recherchée, à juste titre, par la philosophie, se révèle la plupart du temps un nouveau leurre. Une ombre de plus, encore, une silhouette, sur le mur de la caverne.

Personne n’échappe à cette difficulté de penser au-delà de sa bulle personnelle. Ce «solipscisme » est finalement le grand obstacle à l’émergence d’une pensée qui pourrait s’affranchir de sa subjectivité toujours un peu irrationnelle alors que la philosophie prétend se fonder sur la « raison », et encore plus, une raison universelle et atemporelle. Plus encore que Descartes, c’est Wittgenstein que l’on peut convoquer ici avec sa formule très simple mais capitale : « Je suis mon monde » (3). Et puis Diogène aussi, bien sûr, cherchant à Athènes avec une lanterne allumée en plein jour le fameux « homme » platonicien, manière comique de rappeler le caractère théorique du sujet sur lequel se fonde pourtant toute la recherche philosophique présentée comme une science (episteme).

En tant que pratiquant moi-même de cette discipline de la pensée je n’échappe pas à ce double écueil de l’idée préconçue et du point de vue. Je suis confronté, comme tous, à cette difficulté. Je veux juste témoigner ici que cette prise de conscience a marqué, il y a longtemps déjà, mon propre parcours intellectuel, ce qui me pousse peut-être à emprunter n’importe quelle route de la pensée sans jugement a priori ni de sa qualité ni des lieux où elle me mènera. Manière un peu « buissonnière » ou plutôt « buissonnante » d’avancer dans ma compréhension du monde et des problèmes humains. Manière parfois aventureuse qui peut être mal comprise, et sembler provocatrice. Je le comprends. Je ne prétends pas non plus qu’elle soit infaillible ou forcément meilleur q’une autre. Elle est pleine de dangers, de pièges, de chausse-trapes, de fausses routes ou d’impasses. Mais j‘estime, à tort ou à raison, qu’elle me préserve de ce « confort intellectuel » qui est ce que je redoute le plus. Penser en pantoufles, même de couleurs révolutionnaires, très peu pour moi ! Je laisse chacun de ceux qui connaissent un peu mon parcours intellectuel juger la réalité de cette aventure de la pensée.

 Platon se méfiait des célèbres « sophistes », plus enclins à chercher à « avoir raison » que de trouver la véritable « raison ». C’est encore un autre paradoxe pour cette doxa philosophique que de se comporter en donneurs de leçons, en maîtres « raisonnables », en admettant rarement qu’ils puissent être dans l’erreur. Et par conséquent, de trouver par exemple, quoi qu’il arrive, une référence ou une source qui validera leur théorie. Nous sommes tous, c’est vrai, le sophiste de quelqu’un. Nous avons du mal à admettre que nous pouvons nous tromper et notre ego, bien que fort peu sage, vient s’immiscer dans cette recherche pourtant louable de la vérité. Mais nous devrions a minima rappeler constamment que cette vérité est fuyante, qu’elle nous échappe toujours, qu’elle restera définitvement libre et que nous ne l’emprisonnerons pas dans la cage de nos concepts. Car en théorie, tout est simple. Mais comme le dit une petite maxime rigolote : « On ne vit pas en théorie ».

Voilà pourquoi à l’impossible quête platonicienne de l’idée pure je préfère toujours le questionnement socratique, aux systèmes de pensée trop bien ficelés j‘oppose le cynisme et l’indépendance de Diogène ou les fulgurances de Nietzsche, contre les dialectiques bien rôdées je choisis les « sauts et gambades » de Montaigne, et face aux héros d’une idéologie j’invite le « Monsieur Teste » de Paul Valéry s’exclamant : « Je suis l’instable ».

Je continuerai donc à pratiquer avec allégresse l’art de la pensée et la discipline philosophique, mais que Dieu, qui n’existe peut-être pas, me préserve des certitudes formatées et que les humains, qui existent bien réellement, continuent de m’apporter leurs doutes magnifiques… Je veux faire de mon mieux ma cuisine métaphysique et je serai toujours heureux de partager avec vous ces nourritures terrestres et spirituelles au grand « banquet » de la vie…

Yves Gerbal

8 juillet 2018

(1) Et c’est une très vieille histoire, en tout cas, en France, celle d’une « intelligentsia » qui se plie sans l’ombre d’un doute aux diktats d’une pensée préfabriquée et ressassée depuis, disons, le romantisme révolutionnaire du XIXème siècle, et largement réactualisée au XXème siècle par d’autres supports de cette pensée « révolutionnaire».Mais passons rapidement là-dessus. Cette histoire des idées reste à écrire et décrire. Ce n’est pas mon propos principal ici.

(2) Je m’abstiendrai poliment d’un jeu de mots trop facile mais il s’agit bien de la confirmation, comme le formulait déjà en 1987 le titre d’un livre précurseur d’Alain Finkielkraut, d’une « Défaite de la pensée »…

(3) Tractatus logico-philosophicus (1918)

 

 

 

 

04 mars 2018

Un jeûne de 7 jours, ou l'histoire des trois petites figues...

D'abord pourquoi jeûner ?

Petit défi personnel. Envie de "voir". Expérience. Besoin d'un "détox". Sentiment intime que ça ne peut que faire du bien. Incsription du jeûne dans une démarche plus générale de recherche d'un "bien être" (lieu commun, je sais…). Et puis Mister P. a aussi ses raisons...mais il ne veut pas en parler ici...

 

Lire la suite

17:20 Publié dans Divers | Lien permanent | Commentaires (1)

02 janvier 2018

Islam ? Non, merci.

 Religions, régressions.

 

"Dieu est mort ; mais puisque sont ainsi faits les hommes, il y aura peut-être encore pendant des milliers d'années des cavernes où l'on montrera son ombre" Nietzsche

 

                   Je voudrais ici, le plus simplement que je peux, mais avec autant de rigueur que possible, expliquer pourquoi je considère que la progression de l’influence religieuse en général, et celle de l’Islam à notre époque en particulier, est un problème grave. Nous montrerons également qu’une culture soumise à une pensée religieuse n’est pas un progrès mais au contraire une régression, ce qui accentue sa gravité…

Lire la suite

18 décembre 2017

Islam ? Non, merci !

PLAN

Intro :

La religion est-elle un phénomène grave ?

Que penser de la progression de l'Islam ?

La religion est-elle un progrès ?

 Partie 1 : La gravité.

1) Indicateur de mesure.

a) L'impact

b) Gravité absolue et relative.

2) Deux exemples.

a) Le climat.

b)Le capitalisme.

3) Le cas des religions.

a) Un phénomène totalitaire

b) Religion et culture

4) L'exemple du christianisme.

a) Le Moyen-Age

b) Religion et civilisation.

5) Un autre indicateur.

a) La propagation.

b) Le virus religieux.

6) Un indicateur essentiel.

a) La réversibilité.

b) Le poids du sacré.

Partie 2 : Le cas de l'Islam.

1) Un cas exemplaire.

a) Religion totalitaire et parfaite.

b) Normalisation.

2) Usage et norme.

a) Un exemple.

b) L'entrisme religieux.

3) La tolérance.

a) Une valeur dévoyée

b) Les accomodements

4)L'idéal multiculturaliste.

a) Histoire de l'espèce

b) Réalité ou idéologie.

5) Le choc des civilisations.

a) Diversité et perméabilité

b) La tyrannie de la minorité.

6) Nature du problème.

a) Mesure du progrès.

b) Régression.

Conclusion :

Le néo Moyen-Age

Islam, non merci...

Valeurs et morale.

Le doute et la certitude.

Tous prophètes...

 

 

17 septembre 2016

Chroniques du néo Moyen-Âge... (suite)

Chroniques du néo Moyen-Âge... (suite)
 
Il suffit de rappeler que les hommes ont préféré écouter Moïse, Jésus, Mahomet, que (par exemple) Socrate, Giordano Bruno, Spinoza... pour désespérer de cette espèce crédule et cruelle et ne pas croire une seconde à un "progrès" de l'humanité (autre que "progrès technique").
 
Petit rappel historique ci-dessous. Toute ressemblance avec notre époque (Salman Rushdie, Charlie hebdo, vêtements dits "impudiques" pour la jeunesse, place accordée à la femme... etc...) n'est pas fortuite mais malheureusement "logique"... Avec l'influence plus ou moins visible ou insidieuse du religieux (en l'occurrence en particulier islamique) dans nos sociétés nous sommes déjà entrés dans le néo Moyen-Age... et pouvons déjà écrire l'histoire des martyrs de la libre pensée condamnés par l'obscurantisme fanatique. Rien ne change...
 
Le procès de Socrate a eu lieu en -399. Socrate, accusé de corruption de la jeunesse, de négation des dieux ancestraux et d'introduction de divinités nouvelles, est condamné à mort par le tribunal de l'Héliée, à Athènes. Plusieurs amis de Socrate offrent de le défendre, mais il refuse leurs offres.
 
Giordano Bruno, né en janvier 1548 à Nola en Italie et mort le 17 février 1600 à Rome, est un ancien frère dominicain et philosophe. Sur la base des travaux de Nicolas Copernic et Nicolas de Cues, il développe la théorie de l'héliocentrisme et montre, de manière philosophique, la pertinence d'un univers infini, qui n'a pas de centre, peuplé d'une quantité innombrable d'astres et de mondes identiques au nôtre. Accusé formellement d'athéisme (confondu avec son panthéisme) et d'hérésie par l'Inquisition, d'après ses écrits jugés blasphématoires (où il proclame en outre que Jésus-Christ n'est pas Dieu mais un simple « mage habile ») il est condamné à être brûlé vif au terme de huit années de procès ponctuées de nombreuses propositions de rétractation qu'il paraissait d'abord accepter puis qu'il rejetait.
 
Le 27 juillet 1656, Baruch Spinoza est frappé par un herem, terme que l'on peut traduire par excommunication, qui le maudit pour cause d'hérésie de façon particulièrement violente et, chose rare, définitive. Peu de temps auparavant, un homme aurait même tenté de le poignarder ; blessé, il aurait conservé le manteau troué par la lame, pour se rappeler que la passion religieuse mène à la folie.

 

01 septembre 2016

Néo Moyen-Âge

Bienvenue au néo Moyen-Âge... 

(extrait, étape de travail)

 1. Le virus religieux. Tous prophètes.

 Est-ce qu'on a le droit de dire que Moïse, Jésus et Mahomet, étaient des illuminés ? Des psychotiques ? Comme le furent aussi tant de dictateurs fous ou de gourous allumés ?

Est-ce qu’on a le droit de dire qu’une religion est une secte qui a réussi ?

Est-ce qu'on a le droit de regretter que l'humanité soit à ce point naïve et servile qu'elle fonde des civilisations entières sur trois mâles qui ont prétendu parler avec Dieu, recevoir ses ordres (transformés en « lois »), voire être son fils. Rien que ça ! 

Est-ce qu’on a le droit de dire que les religions sont non seulement "l’opium du peuple" mais l’élément le plus viral du grand corps malade de notre humanité ?

Est-ce qu'on a le droit de regretter (parfois) que ces trois là soient nés ?

Est-ce qu'on a le droit de dire que la Bible et le Coran sont des livres parmi tous les autres et qu’ils s'inscrivent parmi des millions d'autres livres écrits dans l'histoire de l’humanité. Ce qui ne veut pas dire que tous ces mots ou tous ces préceptes se valent mais que ceux-là ne sont qu’une proposition dans une bibliothèque infinie où chacun peut faire son choix et ses synthèses, si possible sans déranger les autres lecteurs.

Est-ce qu'on a le droit de dire que l'on préfère le culte des livres à la religion du Livre ?

Est-ce qu’on a le droit de dire que l’on est sidéré que des milliers d’années d'évolution de notre "espèce" n'aient pas éradiqué la manie de chercher un « Dieu » introuvable (par définition) et de lui faire dire n’importe quoi, et de se trucider les uns les autres parce qu’on ne pratique pas tout à fait les mêmes rituels issus de ces soi-disant « paroles divines ».

Est-ce qu’on a le droit de trouver dingue que des miliiers d’années d’évolution de l’homo sapiens n’aient pas convaincu l’homme de la stupidité de rites et de coutumes prétendument dictés par ce Dieu introuvable (donc indiscutable par définition). Stupidité d'autant plus grande que le même Dieu (pourtant unique par définition) semble avoir dicté des règles différentes selon les groupes humains...

Est-ce qu’on a le droit de regretter d'autres civilisations, peut-être un peu moins bêtes, qui s’inventaient des dieux multiples à leur image, c’est à dire avec plein de défauts, et qui ont inventé la philosophie, c’est à dire la capacité à penser par soi-même tout en se fondant sur des expériences vécues et des dialogues ouverts ? 

Est-ce qu'on a le droit de dire que l’on peut avoir une morale sans avoir de dieu ? Et même surtout parce que Dieu s’absente (par définition). Si Dieu n’est pas là, tout est permis, donc nous sommes totalement responsables de nos actes, et notre existence engage celle des autres.

Est-ce qu’on a le droit de croire (si on veut) en une puissance supérieure (qu’on appellerait Dieu ou Zébulon ou spaghetti volant ou grand horloger ou Zeus,  comme ça nous chante) mais sans aucun porte-parole, c’est à dire aucun prophète, quel qu’il soit, quoi qu’il dise. Ou (mieux encore) croire en un dieu simplement perçu "en direct", par une certaine relation au vivant et au non-vivant, au physique et au métaphysique, au sensible et à l’émotionnel, un dieu qui serait présence vague, intangible, perception singulière, intuition, état de grâce… Un « dieu » avec lequel on pourrait croire communiquer (« prier » si on veut le dire ainsi) si ça nous aide à se sentir mieux et à aimer les autres. On appellerait cela la spiritualité et on le vivrait sans JAMAIS faire chier les autres avec nos croyances-expériences ! 

Est-ce qu’on a le droit de dire que les religions, toutes les religions, en tout cas dans leur forme répandue, commune, triviale, ont un problème avec le corps, avec la sexualité, avec la femme ?

Est-ce qu’on a le droit de dire que le progrès de l’humanité peut se mesurer à la capacité des humains de générer de l’harmonie (en soi, entre humains, avec la nature) et que les religions n’ont jamais suscité que des communautarismes et des clivages ?

Est-ce qu’on a le droit de reconnaître que les religions étaient peut-être une étape nécessaire dans l’organisation sociale des tribus humaines mais qu’il est temps de se donner d’autres moyens de « vivre ensemble » (c’est à dire une politique). Nous avons toujours besoin de sacré, d’art, d’irrationnel, de rêve ? Nous avons besoin de donner du sens à la vie ? Ni Dieu ni Maître pour cela. Nous avons peur de la mort ? Nous avons les philosophies pour cela. C'est peu, mais c'est notre boite à outils humaine. Bricolons modestement, si possible sans déranger nos voisins. 

Est-ce qu’on a le droit de dire que nous sommes  tous prophètes ? Car nous pouvons (et devons) tous écrire l’avenir. Le nôtre, et celui de la communauté humaine... C’est peut-être en cela que réside le sens que nous cherchons avidement : signification et direction. Nous n’aurons jamais dit notre dernier mot.

 

“Le grand tournant de l'histoire sera le moment où l'homme prendra conscience que le seul Dieu de l'homme est l'homme lui-même.” Ludwig Feuerbach  L'essence du christianisme (1841)

 

Yves Gerbal, 1er septembre 2016.

05 décembre 2015

Le Tr@cT n°47

Le Tr@cT n°47

5 décembre 2015

 « La justice sans la force est impuissante : la force sans la justice est tyrannique »

Pascal, pensée n°298.

 Je suis chaque jour qui passe un peu plus halluciné par la naïveté de notre démocratie face au prosélytisme islamiste... Et j'avoue ne pas comprendre... Je n’ai d’ailleurs jamais compris la forme de tolérance dont on nous a rebattu les oreilles pendant des décennies, en tout cas telle qu’elle s’est exercée en France depuis (disons) 40 ans. Je crois que le mot a souvent fait office de cache-misère idéologique, dissimulant une incapacité à penser la relation à l'altérité et le fameux « vivre-ensemble » autrement que comme une philosophie passive fondée sur une lecture anachronique d’un humanisme mal digéré... Je ne regrette absolument pas d'avoir alerté, à ma modeste place, à ma façon, et depuis longtemps (2003 exactement) sur ce danger de prosélytisme religieux, au risque de paraître... intolérant.

 J'ai toujours pensé par exemple que le fameux slogan "Touche pas à mon pote" qui a fait office d'étendard à toute une génération, était une absurdité dans les termes, quelle que soit sa générosité en soi. Si mon pote est un tueur, je fais quoi ? On voit bien, tous les jours, l’usage qu’on peut faire de cette « fraternité » (de l’omerta basique à la justification de tout) détournée de tout jugement de valeur. Le fait qu'il soit, au choix, mon pote, mon copain, mon frère, mon camarade, mon concitoyen, mon coreligionnaire... ne devrait, démocratiquement, rien changer à l'affaire. C’est « Touche pas » qu’il faut dire, au sens «Ne fais pas violence », « Ne fais pas à autrui ce que tu ne supporterais pas pour toi-même ». Que autrui soit "mon pote" n'a, dans une République, pas plus de valeur que n’être pas « mon pote ». Si mon frère lui-même est dangereux pour la société, hors la loi, son statut de "frère" ne doit rien y changer. La justice doit passer. Et pas forcément par une décapitation… comme le font ceux qui eux, n’ont précisément que ce slogan « Touche pas à mon frère (musulman, ou soi-disant) » pour justifier leur « combat ». La démocratie ne doit pas se fonder sur cette valorisation du « pote », qu’il soit familial, amical, politique, religieux, clanique, social, et elle doit placer chacun devant les mêmes responsabilités, les mêmes devoirs. Egalité de tous devant la loi. « Touche pas à mon pote » c’était finalement une autre version du slogan le plus absurde de mai 68 : il est interdit d’interdire.

 Je préfère un autre slogan de mai 68 qui n'est pas, c’est vrai, très "tolérant" : PAS DE LIBERTE POUR LES ENNEMIS DE LA LIBERTE. Pas très démocratique, hein ? En fait, c'est à l’origine un aphorisme de St Just, le révolutionnaire, ressorti des oubliettes par les romantiques étudiants sur les barricades du quartier latin. Un autre type de terrorisme ? Peut-être. Ce terrorisme là on a bien fini par l'intégrer dans notre histoire de France... Nous avons même historiquement admis qu’il fallait peut-être passer par une forme d’intolérance (jusqu’à la décapitation… du roi) pour préserver des valeurs plus hautes que celle-ci et permettre à la liberté de s’exercer. Erreur historique ? Il serait trop long d’en discuter ici. Et l’urgence est ailleurs. Mais on peut au moins faire l’hypothèse que la tolérance est peut être parfois un ennemi de la liberté. Comment être libre si j’accepte (je supporte) que l’on puisse faire n’importe quel usage (jusqu’à l’intolérable) de cette liberté dont je fais le fondement d’un régime politique ?

Tolérer c'est supporter (étymologie latine), c'est subir sans déformation (en physique). Il faudrait donc tolérer une « version » de religion elle-même intolérante ? On fait la chasse aux sectes et on a tranquillement laissé se développer une secte très efficace dont le cheval de Troie a été cette "tolérance" démocratique grâce à laquelle cette déformation religieuse hier nommée « intégrisme », aujourd’hui appelée « radicalisation », a tranquillement (sans efforts, sans résistance, grâce à la tolérance) pénétré la cité pour en saper les valeurs et les fondements, pour s'attaquer, fondamentalement, à une CULTURE.

 Parenthèse… Jusqu'aux attentats de novembre, parler de "choc culturel" cela paraissait insupportable et  "intolérant"... Depuis un mois, chacun reconnaît que cette internationale du crime (au nom de Dieu puisque c'est pratique, on peut lui faire dire n’importe quoi) vise directement une CULTURE. IL a fallu qu'on s'attaque à des "jeunes gens" qui "boivent des coups" et "écoutent de la musique" pour accepter enfin de formuler l'évidence. Oui, c'est bien un choc CULTUREL. Car qu’on ne me parle plus de nature humaine ! L’humanisme a eu besoin de postuler cette hypothèse. Ce fut un temps nécessaire pour la pensée. La nature de l’homme est sa nature animale. Tout est culturel. Et ça ne date pas du Bataclan, bordel ! Je reste, là-aussi, sidéré par la candeur de ceux qui ont toujours pensé qu'il suffisait que les cultures cohabitent pour qu'elles se fassent des mamours. Faut-il tolérer la culture de mon pote si cette culture ne supporte pas  la mienne ? Personnellement, je dis non. Simplement. Et stigmatisation mon cul. Je sais, bêtement peut-être, que je ne veux pas abandonner ce qui fonde cette CULTURE, cette culture qui n'est ni mieux ni pire qu’une autre mais qui est la mienne, qui est l’élément central de mon identité, de ma construction humaine. Si une autre culture, une autre construction identitaire, se révèle incompatible avec les valeurs communes de la démocratie, alors (au moins provisoirement) je ne dois pas la « tolérer ».

Mais c’est un sujet qui mérite d’être traité plus longuement, il faudra en reparler… La démocratie c’est aussi, d’abord, le débat, le logos

 Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ? On admet qu’il faut repenser cette notion de « tolérance ». On en parle, on accepte (on tolère ?) de voir les choses autrement qu’avec nos œillères d’une démocratie débordée de tous les côtés et dépassée par ses propres faiblesses. On lui donne un sens « actif », on la réinvente, et on ne la réduit pas à cette « passivité » à laquelle nous sommes trop souvent habitués. On définit une MORALE qui ne se réduise pas à cette valorisation d’une « tolérance » dont on a perçu les limites, et dans tous les domaines. Y a du boulot. Il y faut du courage. Ou bien on constate les dégâts... y compris dans les urnes... hélas...

 Yves Gerbal

13:37 Publié dans Humeurs, Tr@cts | Lien permanent | Commentaires (1)

04 novembre 2015

Chez Musset

Le patron de Chez Picone , la célèbre pizzeria de la Canebière, ne verra jamais le Lorenzaccio mis en scène par Catherine Marnas : il travaille à l’heure du spectacle. Et puis de toute façon je l’ai entendu dire à deux clientes, apprenant qu’elles allaient au Gymnase : « Lorenzaccio ? C’est chiant ». Je suppose donc qu’il restera quoi qu’il arrive, campé sur ses préjugés, près de son four à bois plutôt que de se risquer à voir et entendre cette version de la célèbre pièce de Musset. Je le plains. Il ne connaîtra jamais ce genre de plaisir artistique et d’émotion esthétique que l’on ressent devant un grand moment de théâtre. Et ici, quel moment ! Quelle réussite !

La relecture et le remontage des dialogues resserre le texte et densifie l’action dramatique sans jamais trahir l’original. Huit comédiens seulement en scène ! C’est une prouesse, mais jamais au détriment de l’essentiel, c’est à dire l’intensité du drame individuel et collectif que représente la pitoyable histoire du sublime Lorenzo.

Catherine Marnas a tout compris. Son texte d’intention le laissait présager. Sa mise en scène le confirme. On pouvait redouter les écueils d’une contemporanéité qui aime jouer avec les corps nus et l’ambiance sex drugs and rock and roll parce que le théâtre actuel aime bien se donner des airs de débauché. On y a droit, en effet, sauf qu’ici c’est bien une histoire de débauche et de dérive, celle du pur Lorenzo qui se sacrifie en vain en voulant libérer le peuple d’un tyran. Le meurtre accompli ne suffit pas. Rien ne change. Le vice colle à la peau. Les idéalistes sont lâches. Les réalistes sont opportunistes. « J’ai vu les hommes tels qu’ils sont » dit Lorenzo, qui méprise le grand bavardage de ces « hommes sans bras». La modernité festive, ses excès, ses musiques et ses lumières, ses transgressions hédonistes, ses addictions, constituent donc bien le décor idéal pour cette histoire sombre où rien, finalement, ne semble pouvoir sauver une humanité confrontée toujours à ses mêmes démons.

Il y a dans cette « adaptation » de la pièce par Catherine Marnas des moments d’une incroyable puissance émotionnelle. Musset, bien sûr, y est pour beaucoup. Ses mots s’inscrivent dans notre époque d’une très troublante manière. Le grand pivot de la scène, le dialogue central entre Lorenzo le désabusé et Philippe Strozzi l’intellectuel, est un pur joyau pour lequel il faut féliciter Vincent Dissez et Franck Manzoni (qui par ailleurs assure trois autres rôles !). Les autres comédiens sont tous remarquables dont la troublante marquise Cibo (Bénédicte Simon) et le cynique Cardinal, incarnation du pur politicien venimeux, joué ici par Frédéric Constant. Quant au Duc, que l’on a coutume d’imaginer plus imposant physiquement, c’est un subtil et fragile Julien Duval qui l’incarne au plein sens du terme.

Si vous n’avez jamais vu Lorenzaccio, n’ayez aucun préjugé et courez au Gymnase. Si vous avez déjà vu d’autres mises en scène, courez aussi : celle-ci fera date par son intelligence et sa justesse.

Avant le spectacle, allez manger une pizza chez Picone : elles sont absolument délicieuses. Profitez-en pour dire au patron à quel point ce Lorenzaccio, ce n’est pas « chiant » du tout : c’est au contraire fascinant. Et tant pis pour lui s’il ne veut pas vous croire. Chez Musset, on se régale aussi.                     

Yves Gerbal

Lorenzaccio, mise en scène Catherine Marnas, théâtre du Gymnase, Marseille.

Mercredi 4 novembre à 19h.

5-6 novembre à 20h30.

Samedi 7 à 17h.

Tel : 08 2013 2013.

01:38 Publié dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0)