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05 novembre 2023

En vers (de terre) et en prose…

Selon l’expression consacrée voilà un livre que j’ai « dévoré ». Cela ne m’était plus arrivé depuis… je ne sais plus, mais très très longtemps !
« Humus » est un roman, écrit par un philosophe (mais pas que) : Gaspard Koenig. J’ai fait sa connaissance il y a quelques semaines à la soirée inaugurale de la Semaine de la Pop Philosophie à Marseille. J’avais vaguement entendu parler de lui avant, notamment lorsqu’il était parti sur les traces de Montaigne en faisant le même voyage en Europe, et à cheval, comme lui. Ce genre de projet, vous vous en doutez, me « parle ».
Au théâtre de La Criée le brillant Normalien (qui s’est aussi frotté à la politique) a bien parlé là aussi, et m’a vraiment donné envie de m’embarquer dans son histoire de « vers de terre ».
Car son « Humus » nous ramène à l’essentiel : notre sol nourricier, et ses indispensables habitants. Mais attention, ce n’est pas du Bernard Werber (l’auteur des « Fourmis » que j’aime bien par ailleurs). Avec Koenig on est plutôt chez Houellebecq et Balzac. Réalisme et satire. Son « Humus » c’est un peu « Les particules élémentaires » et « Les illusions perdues » réunies.
Je ne vous dirai rien du récit ni des personnages si ce n’est que le thème global en est la préoccupation écologique, les stratégies et les pratiques plus ou moins morales, les contradictions et les convictions, la préoccupation pour l’avenir de notre planète… Tout cela vu… du sol.
Et le résultat est juste captivant. Presque 400 pages : lu en un jour et demi ! Dévoré, vous dis-je !
Avec ses vers de terre Gaspard Koenig a réussi à mon avis à écrire le grand roman qu’on attendait sur notre époque et notre société traversées par la crise climatique qui est aussi et surtout une crise des valeurs.
Très documenté, hyper réaliste et férocement satirique, Koenig trouve toujours le ton juste , mi didactique mi humoristique. Il tape fort parce qu’il parle de milieux sociaux, de communautés culturelles, de coteries idéologiques, de groupes générationnels, qu’il connaît bien pour les avoir pratiqués. C’est souvent cinglant, et hilarant, mais c’est aussi très riche en réflexions essentielles sur le sujet. Koenig n’est pas philosophe pour rien. Le dosage est parfait.
Quant au style, s’il n’est pas flamboyant, il est simplement parfaitement adapté à son récit, entre simplicité réaliste et lyrisme teinté d’ironie. Oui, décidément, très Houellebecquien. Mais que cet adjectif surtout ne vous effraie pas !
« Humus » figure dans les 4 derniers nominés pour le Prix Goncourt qui sera décerné après-demain. Je vote pour lui, sans hésiter. D’autant plus que je n’ai pas lu les 3 autres…
 

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23 juillet 2022

La leçon de théâtre de Philippe Caubère

On va au festival d’Avignon pour découvrir une pièce parmi des milliers. On va à Avignon sans vraiment savoir ce que l’on cherche et donc évidemment ce que l’on va
 trouver. On va à Avignon pour faire la part belle  à des petites compagnies, à des troupes en devenir, à des débuts de carrière.
Et puis au hasard d’une déambulation place de l’Horloge  on tombe par hasard sur une affiche parmi des milliers d’autres qui propose le spectacle de Philippe Caubère a partir de textes de Alphonse Daudet. On n’était pas venu pour ça. On n’était pas venu pour lui. Mais le hasard est aussi souvent un signe. Alors on fonce  à « La condition des Soies ». L’horaire est favorable. C est  une chance. On entre  à 19h30 dans cette salle demie circulaire à haute coupole. On a fait un peu des pieds et des mains pour se trouver au tout premier rang,  au plus près de cet acteur que l’on connaît bien, que l’on a si souvent vu seul en scène, depuis si longtemps. On craint  peut-être d’être déçu. Serait-ce la représentation de trop ? Une redite ? Va-t-on se lasser ? 
Ca commence. Caubere entre en scène avec pour simple appareil les mots de Daudet, quelques lumières, des bouts de musique, une mise élégante de dandy félibrige. Ça commence, et c’est magique. Si peu de choses : un comédien, un texte. Et tout ce que cela fait exister : paysages, personnages, lieux, objets, drames, comédies…
Une fois encore Philippe Caubere nous offre une leçon de théâtre. 
Il lui suffit d’un regard, d’un geste, d’une intonation, pour faire apparaître le marin corse, les naufragés de la Sémillante, la plaine de Camargue, les taureaux dans la tempête, un couple de vieux, un berger amoureux sous les étoiles…
Bien sûr tout cela c’est d’abord Daudet, auteur tellement injustement minoré, qui en a fait matière littéraire, mais Caubère donne à ces textes merveilleusement écrits un écrin qui les exalte, amplifie leur effet, et nous permet de les graver en nous. Il incarne par sa voix ensoleillée les moments de grâce de l’écrivain enivré par les  beautés du sud, par cette Provence qu’il contemple avec tous ses sens. 
C est donc un grand moment de pur bonheur théâtral que l’on peut vivre à la Condition des Soies.
On en ressort tout joyeux, souriant, gai et pimpant. Daudet a pourtant parcouru toute la palette de la comédie humaine, douleurs et tragédies. Mais savoir que l’on peut ainsi jouer la vie, aussi simplement, et mettre à distance un instant la dureté du monde sur une scène, cela ne nous sauve de rien mais nous offre une parenthèse enchantée. Peut-on espérer davantage dans notre époque trouble que cet éphémère enchantement? Alors ne vous  en privez surtout pas. Allez sous les étoiles de Provence avec Philippe Caubère retrouver la magie du théâtre éternel…
Yves Gerbal
« Les Étoiles et autres lettres », au théâtre La condition des soies. Festival d’Avignon, le Off.

26 juin 2021

Koons au Mucem : la mauvaise galéjade

En voyant une affiche dans les rues d’Aix en Provence je viens d’apprendre que le MUCEM, musée (marseillais)des Civilisations d’Europe et de Méditerranée ouvre grand ses portes à l’artiste américain Jeff Koons. J’étais en voiture. J’ai failli avoir un accident tant je fus ahuri de réaliser que ce Musée national (donc payé via nos impôts) va offrir pendant 5 mois une nouvelle opportunité au milliardaire François Pinault de valoriser  encore un peu plus sa vache à lait artistique , sa machine à fric  la plus rentable de sa « Fondation ». 

 
Car qui est Jeff Koons ? Une construction artificielle, un pseudo-artiste fabriqué pour être le support principal et la tête de gondole (Pinault a deux musées à Venise)  d’une extraordinaire opération spéculative, un imparable détournement de l’art contemporain au profit d’un marché dont les plus riches tirent les ficelles puisqu’ils en déterminent eux mêmes les cotations.

Comment ça marche ? C est assez simple. Il suffit d’avoir quelques millions et les relations qui vont avec pour amorcer la pompe. Vous choisissez un artiste qui fait dans le décoratif (grand format bien sûr) et le degré zéro du sens, histoire de pouvoir lui associer tous les discours savants que vous voulez et pouvoir le décliner en merchandising, sans oublier que ses “œuvres” doivent  être immédiatement reconnaissables, et photogéniques (pour faire image dans les smartphones). Jeff Koons est parfait. Lisse, sans aucun génie, glamour ce qu’il faut, un peu sulfureux ( un jeu), kitsch moderne, neo pop, pas engagé, très à l aise avec les médias... Et en plus : ancien trader !!!

Vous en faites l’artiste majeur de votre collection d’art contemporain. Vous l’exposez partout, et bien en vue. Par exemple au bord du Grand Canal à Venise, dans les jardins du Château de Versailles, ou sur l’esplanade du musée Guggenheim à Bilbao. Tout cela avec la complicité des villes ou des institutions qui évidemment se pâment à l’idée d’accueillir le « grand artiste » et les retombées financières grâce aux gogos qui eux aussi se prosternent devant les « œuvres «  du maître. 
 
Car entre-temps l’artiste élu par le milliardaire est bien sûr devenu une valeur sur le marché de l art. En vertu de quoi ? Du simple fait qu’on l’a vu partout, et dans des endroits prestigieux. L’art ayant du mal à établir ses cotations sur des valeurs strictement artistiques il se fonde naturellement sur les lois du commerce. Plus un artiste est muséfié plus il prend de la valeur. Plus il est côté. Et comme le milliardaire a les moyens d’entrer dans tous les musées (qui ont aussi besoin de ses milliards) il fait entrer sa pouliche préférée, sa poule aux œufs d’or, dans tous les lieux d’exposition prestigieux, et vogue la galère : la valeur de l’artiste grimpe « automatiquement » parce qu il y aura aussi toujours d’autres milliardaires qui voudront eux aussi se payer « un Jeff Koons » pour mettre dans le grand salon de leur yacht ou dans leur appartement de Dubaï. Parce qu il y a aussi tous les relais médiatiques qui au lieu de faire leur travail critique courbent le dos devant les milliards qui irriguent aussi ces médias...Voilà comment Koons a pu devenir assez vite l’artiste vivant le plus cher au monde. Idem pour le britannique Damien Hirst et le Japonais Murakami, les deux autres poulains de Pinault qui forment avec Koons le trio gagnant de la spéculation mondialisée sur le marché de l’art.
 
Une fois la pompe amorcée, c’est imparable. Jeff Koons, puisqu il est partout, puisqu’il vaut si cher, est « forcément » un artiste majeur. C’est indiscutable. Et si vous en doutez on va vous faire passer évidemment comme le ringard de service qui ne comprend rien à l’art contemporain, ou pire pour un réactionnaire. Ou un artiste aigri. Classique.
 
Les deux commissaires de l’expo du MUCEM s’appellent  Elena Geuna et Émilie Girard. Les très courtes vidéos sur le site du musée qui annoncent l’expo justifient la présence de Koons par la mise en relation de ses œuvres avec des objets ou images du fonds patrimonial du MUCEM. On y voit par exemple un rapprochement entre un « lobster » du pop artiste américain avec l’image ancienne d’une acrobate dont la posture ressemble à celle du homard (voir ci-dessous). Ah wouhai... Super ! Sinon, il y a les cœurs de Koons mis en relation avec des... images de cœurs, ou des objets en forme de cœur. 
Un tel degré zéro du sens, de l’intelligence, du message, c’est très fort.
 
Mais évidemment ils vont pouvoir compter sur tous les gogos intellos qui vont eux aussi se pâmer devant l’événement : « Tu te rends compte, Jeff Koons, à Marseille, dans notre ville, dans notre MUCEM... » Je ne doute pas que les files seront longues à l’entrée (payante). Pinault doit bien se marrer. Koons doit bien s’amuser aussi, lui l’ancien trader, fils spirituel d’Andy Wharol qui était un publicitaire. De l’artiste qui fait de l’art un objet de pub à l’artiste qui fait de l’art un pur produit de spéculation... Tout cela est très logique. Capitalistiquement parlant. 

Elle est pas belle la vie ? C’est tellement simple de prendre les gens pour des cons ! Et c’est tellement encore mieux quand ça permet aux milliards de fructifier gentiment au nom de la noble cause de l’art ... Car ce bon MrPinault est décidément très gentil de partager ainsi un peu de sa collection, “aimablement prêtée” comme on le lit sur le site.  

Je suppose que nos deux commissaires vont lui dire merci, bien sûr, dans chacune de leur prise de parole. Putain, franchement, je les envie pas. Mais j’oublie pas que ce sont nos impôts qui les payent, alors si j’ai l’occasion je leur en dirai deux mots. Ça nous permettra de parler peut être aussi de l’essentiel, qui n’est pas là : l’art.

Yves Gerbal, 24 juin 2021

03 février 2021

MANIFESTE



Pour un design du progrès 

« Un artiste est impliqué dans la vie, dans la réalité du monde, dans l’idée du progrès. »  

Ôlafur Eliasson, artiste et designer danois, XXIème siècle.

 « Je veux apprendre de plus en plus à voir la beauté des choses dans leur nécessité, et devenir ainsi un de ceux qui rendent les choses belles » 

Nietzsche, philosophe poète allemand, XIXème siècle.

 « Une chose est ce qui convient à un homme, une chose est ce qui convient à "l’humanitas" : si un homme a soif, n’importe quelle coupe suffit ; mais "l’humanitas" exige que la coupe soit belle » 

Varron, érudit et écrivain romain, 1er siècle avt JC 

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Au XVIIème siècle le progrès était, en Europe, une idée neuve.

Au XIX et au XXème siècle le progrès était une croyance.

Au XXIème siècle le progrès est souvent une désillusion, parfois une réalité effrayante, et ne fait plus rêver.

Est-on condamnés à la folie d’une civilisation techniciste qui a fait de la vitesse son nouveau dieu et de la science une nouvelle religion ?

Ou faut-il se soumettre à des idéologies régressistes qui feraient table rase de toutes les conquêtes sociales, sociétales, culturelles, intellectuelles?

Faut il se résoudre à cette lutte entre une modernité aveuglante et un archaïsme aveugle ?

Notre époque est passionnante et trouble, inquiétante et pleine d’espoirs. Elle nous impose de repenser le progrès pour imaginer un avenir meilleur pour l’humanité.

Nous, designers graphiques, nous voulons contribuer à dessiner l’avenir de l’humanité, et pour cela nous devons redéfinir nos objectifs.

Nous  voulons contribuer à un design du progrès.

De quoi parlons nous ?

Nous ne voulons ni retour stérile en arrière ni course éperdue en avant.

Nous revendiquons le caractère utopique de notre ambition. L’utopie est un moment du possible. Nous affirmons aussi le caractère pratique de nos réalisations. 

Notre objectif est de contribuer à une  redéfinition du progrès. 

La tache n'est pas facile. C'est pour cela nous avons d'abord donné des exemples de ce qu’il n’est pas. 

Nous avons commencé une première liste... 

Le progrès ce n’est pas...

La vitesse à tout prix   

L’accélération sans fin et sans frein

Multiplier les déchets

Consommer trop

Le bruit

Faire souffrir des animaux

La publicité envahissante

 Boire de l’eau en bouteilles 

Du courrier non désiré 

La laideur urbaine et périurbaine

Les embouteillages 

Les violences sexuelles

L’information en continue  

Manger trop de viande

Les inégalités homme-femme

La femme seule responsable de la fertilité

La hantise d’un virus 

L’obsolescence programmée

Le harcèlement

Le tourisme de masse

La mondialisation à outrance

Les modes

...

On nous objectera que tout cela n’entre pas directement dans le champ du design graphique ou numérique. Ces exemples sont plutôt de l’ordre du politique, de l’économique, du social, du sociétal, du culturel, du technique.

Mais le designer du progrès considère que tout le concerne et que sa création, quelle qu’elle soit, s’inscrit dans le champ global de la société et du monde. 

Artiste et artisan, le designer est aussi, et d’abord, citoyen. Le designer  garde toujours sa vision d’un « progrès à redéfinir » en tête, ce qui n’a rien de futile puisque cela doit à tout moment orienter la forme ou le contenu de son message, de sa production, de sa création. 

Alors nous avons commencé une seconde liste, comme autant de pistes à creuser pour cette nouvelle vision du progrès.

Le progrès c’est…

Ralentir

Savoir faire des pauses

La sobriété heureuse

L’eau potable pour tous

Même en ville entendre le chant des oiseaux

Pouvoir se déplacer partout en sécurité

Une véritable éducation à la sexualité

 Développer nos défenses immunitaires

 Le cannabis thérapeutique

La prise en compte des handicaps

Des cours de diététique et de cuisine à l’école

Des voyages éthiques

La préservation des espaces naturels

Le partage des connaissances

Le collaboratif

L’importance du local

L’engagement

 L’imagination

La qualité

La vie poétique

Le style

...

.De toute évidence, l’avenir ne manque pas de chantiers... Mais nous ne manquons pas d’enthousiasme. 

Grand projet. La modestie n’est plus de mise quand le monde brûle. Mais petites contributions pour éteindre l’incendie. Chacun fait sa part, comme le colibri qui transporte sa goutte d’eau...

« Designer le progrès » c’est lui donner une forme « esthétique et fonctionnelle »,  « viable et durable ».

A chacune des étapes de sa création le designer garde à l’esprit cette réflexion sur la nature du progrès qu’il induit aujourd’hui et sur sa conception du monde de demain.

Une idée ce n’est pas qu’une idée. Parce qu'une simple idée peut changer le monde. 

Un concept ce n'est pas qu'un concept. Le design est une pensée appliquée.

Le progrès n’est pas neutre. Le progrès est une action permanente.

A chacun de s’engager dans l’histoire de l’humanité qui est notre histoire.

Seul l’humain pourra sauver l’Humain. Le design doit participer à ce  »dessein intelligent » dont l'humanité a tant besoin  et qui peut rendre le monde sinon meilleur au moins mieux habitable et mieux vivable.

En redonnant à tout moment un sens à la notion de progrès le designer redonne foi, avec ses propres armes, en un demain désirable.

Le design du progrès est un design de combat pratiqué par un guerrier pacifique.

Nous, jeunes designers, nous nous engageons à donner forme et formes, desseins et dessins, à ce progrès chaque jour réinventé.  

Les étudiants de DNMADE 2ème année St Joseph Les Maristes, Marseille,

année 2020-2021.  Mentions graphisme et numérique.

A partir d’une proposition de leur enseignant en « Humanités » : Yves Gerbal.

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Nos parrains ! 

Olafur Eliasson (né en 1967), artiste et designer danois.

Idriss Aberkane (né en 1986), conférencier et essayiste français.

Ils ont été parmi nos inspirateurs :

Les manifestes artistiques célèbres ... du futurisme (Marinetti,1909), du surréalisme (Breton,1924) etc..

Le « Manifeste pour une frugalité heureuse et créative » sur internet ! www.frugalite.org (2018)

Le "Manifeste convivialiste" (2013)

Les textes de William Morris (1834-1896) compilés dans « L’art et l’artisanat » et « Comment nous vivons, comment nous pourrions vivre » (éditions Rivages poche).

Yona Friedman : « Comment habiter la terre » (L’éclat/Poche). 

Paul Virillio et ses travaux sur la vitesse.

Pierre Rhabi, sa "frugalité heureuse"  et son colibri...

Pablo Servigne : "Une autre fin du monde est possible".

 

14 septembre 2020

Le plaisir au temps du corona.

Pour des raisons que l’histoire jugera, sanitaires et/ou politiques, nous semblons devoir vivre désormais dans une société de la barrière, de la distanciation, du sans contact. Interdiction de nous toucher les uns les autres. La prochaine étape c’est quoi ? Nous interdire de se toucher soi même ?
En attendant le jour où nous ne serons plus que des créatures digitales, des data sur pattes soumis aux algorithmes universels pour un bonheur virtuel imposé, profitons plus que jamais encore de cette liberté que nous offre notre corps pour se faire plaisir...
Caressons nous, câlinons nous, aimons nous, baisons nous... Et si nous ne pouvons pas le faire avec un « autre » désormais à distance, masqué, suspect de viralité, alors développons en nous même les ressources d’une résistance corporelle et sensuelle.
Ces ressources nous les connaissions avant le Grand Con-finement et la Grande Mascarade. Il est encore plus important aujourd’hui de les convoquer et de revendiquer ce droit au plaisir, y compris solitaire, quand les Etats s’acharnent à nous isoler pour mieux nous contrôler. Ce monde est désormais verrouillé d’un côté par des religions rétrogrades qui s’attaquent à la culture humaniste et d’un autre côté par des pouvoirs scientistes qui s’attaquent à notre nature humaine. Tous sont complices en déshumanisation.
Alors réaffirmons notre joie de jouir qui est joie de vivre, revendiquons notre droit au plaisir qui est l’expression de notre liberté quand partout ailleurs cette liberté est attaquée.
Car ce plaisir là n’est pas mercantile, il ne fait de tort à personne, il ne se fonde sur aucune exploitation, il ne fait pas de mal à la planète. Il peut en revanche nous reconnecter, en pleine conscience, à notre racine essentielle, à notre énergie vitale.
Et probablement, par la même occasion, développer nos défenses immunitaires, le seul véritable moyen de vivre demain en harmonie avec les virus qui, de toute façon, ne disparaîtront pas.
Plus que jamais il faut respirer, sentir notre souffle au lieu de le confiner derrière un bout de tissu. Il faut méditer, contempler, ralentir. Il y a de nombreuses pratiques pour cela et elles sont plus que jamais le meilleur rempart contre les attaques virales.
Mais il faut aussi s’aimer, se faire du bien, retrouver la confiance en soi et en son corps vecteur de virus. Et pour cela quoi de mieux que de choyer ce corps, de le louer, de le redécouvrir, d’en faire un jardin que nous aimons cultiver.
Préparons ainsi le jour de la libération, si un jour les masques tombent. Alors nous serons encore plus aptes à aller vers les autres, à faire tomber les barrières, à rétablir les contacts, à retrouver la proximité de nos semblables qui seule justifie notre existence et notre statut d’être vivant.
Faisons nous la promesse, dans l’intimité de nos plaisirs, solitaires ou partagés, d’inventer pour demain, enfin, un monde caressant...
Yves Gerbal, Aix-en-Provence, 29 août 2020

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25 mars 2020

"Qu'est-ce qu'un mauvais livre ?" Episode 3

"Qu'est-ce qu'un mauvais livre ?" Episode 2

"Qu'est-ce qu'un mauvais livre ?" Episode 1

Premier "épisode" d'une série consacrée à un seul livre, modèle de "mauvais livre"...

Pourquoi "mauvais"? Il suffit de le lire, vraiment, pour s'en apercevoir.

Et la question est capitale : savoir ce qu'est un mauvais livre permet de choisir les bons.

Cette chronique est sous-titrée : "Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n'as pas besoin de savoir écrire pour faire un livre". Vous comprendrez vite pourquoi en écoutant la chronique.

Autres épisodes à venir...

 

 

 

 

 

07 novembre 2019

La panthère perchée

On début on peut penser s’ennuyer un peu. Pensez donc : le « pitch »c’est l’histoire d’un mec qui attend de voir une très rare panthère perchée quelque part, très haut, dans un coin reculé du Tibet. Pas très passionnant comme promesse narrative !
On s’embarque donc avec ce photographe animalier (Vincent Munier), sa copine, un ami philosophe et porteur, et le Sylvain Tesson, pour faire l’expérience de l’immobilité, du silence, de l’attente, de la patience.
On imagine bien un documentaire télé, avec belles images et commentaires à la National Geographic. Mais un livre ! Faire un livre avec ça ? Des mots, vraiment rien que des mots (deux images néanmoins dont une splendide en bandeau du livre) ? Comment faire pour raconter cette expérience d’un temps passé à attendre ? Comment Sylvain Tesson, inlassable baroudeur qui, même après un accident presque mortel, a traversé la France à pied (« Sur leschemins noirs » 2016), lui qui a passé sa vie à avoir la bougeotte, comment va t il faire un récit avec l’immobilité du chasseur d’images ? La réponse est en fait très simple : en faisant de la littérature. Car si Sylvain Tesson a d’abord été reconnu comme un aventurier, il est désormais devenu un écrivain. Et pas un petit. Parce qu’en lisant ses descriptions de paysages, ses « portraits « de bêtes, ses réflexions sur l’homme et la nature, on songe inévitablement à Giono. Un auteur dont Munier, le (grand) photographe animalier qui a invité Tesson au Tibet, avoue (p 149) qu’il a « tout lu », malgré des études écourtées. Nul doute que Sylvain le voyageur a aussi « tout lu « de l’œuvre du (très grand) écrivain de Manosque qui, lui, ne voyageait que dans ses romans.
On ne s’ennuie donc pas du tout à attendre avec ce quatuor l’apparition de cette fameuse panthère . Au contraire. On se hâte de lire. On accélère parce qu on veut savoir, savoir surtout ce que cela « fait » d’attendre, d’espérer, de voir enfin (je ne tue pas le suspense en le disant).
Tesson confirme donc ici un art d’écrire longuement forgé dans ses ouvrages antérieurs et en particulier avec « Dans les forèts de Sibérie » qui était déjà une expérience de l’immobilité dans une cabane au bord du lac Baïkal ( prix Médicis, 2012). Cet art est un savant mélange de prose classique et raffinée ( il ne s’interdit même pas les imparfaits du subjonctif), d’humour parfois trivial, d’aphorismes percutants, le tout sur un fond philosophique distillé aux bons moments et comme « en passant » mais qui offre à l’esprit des échappées culturelles réjouissantes et de puissantes et vigoureuses synthèses métaphysiques.
Œuvre d’une certaine « maturité », en partie due à cet accident qui faillit lui coûter la vie et à des deuils familiaux (sa mère, très présente dans ce livre), cette « Panthère des neiges » est une nouvelle ode à la contemplation, à la poésie du monde, à l’adhésion (très nietzschéenne) à « ce qui est ». On s’y trouve au carrefour des philosophies orientales et occidentales, et au carrefour temporel d’une époque qui ouvre sur des avenirs incertains. Que nous dit cette panthère que rien ne semble perturber ?
Chut ... « l’on ne blesse pas un songe avec des bavardages ». Je ne vous en dirai pas plus. Mais une fois le livre refermé vous songerez longtemps à ce noble félin, souple et carnassier, incarnation de la dualité taoïste et héraclitéenne, animal qui passe comme passent les hommes car « Mourir, c’est passer ».
Dans notre monde agité, compulsif, fébrile, le récit de ce temps de pause et de silence nous rappelle la simple possibilité de rester toujours à « l’affût ». Et pour cela, pas besoin d’aller au Tibet.
La poésie n’est pas nécessairement au coin de la rue mais à nous d’être patient et de guetter, ici comme là bas, son apparition comme on guetterait la venue d’une panthère sur son rocher neigeux.
Yves Gerbal
17 octobre 2019
« La panthère des neiges »Sylvain Tesson Éditions Gallimard

07:37 Publié dans LIVRES | Lien permanent | Commentaires (0)

21 avril 2019

Notre-Flamme qui êtes sur Terre...

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Notre-Flamme qui êtes sur Terre…
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Je découvre, par nécessité mais aussi par choix, l’usage d’un smartphone dernière "génération" et je réalise (naïvement?) à quel point rien ne peut résister à l'emprise technologique qui, désormais, sert de seule religion possible hormis certains résidus actifs de croyances anciennes qui s'expriment néanmoins encore de manière archaïque (voire barbares) mais qui utilisent aux-aussi les outils technologiques modernes.
Le binôme capitalisme-technique a remplacé le duo politique-religion pour maintenir les masses en servitude. Les centres commerciaux se sont remplis à mesure que les églises se vidaient. Les temples sont ceux du commerce, du sport, du divertissement. Ou ceux de ces religions encore en vogue pour des peuples qui ont 5 siècles de retard et concilient aujourd’hui leur crédulité crétine et parfois dangereuse avec certaines formes de modernité.
On pleure sur les planches et les pierres de Notre-Dame de Paris, mais ne nous faisons pas d'illusion : Dieu est désormais ailleurs. Demain il ne sera pas dans une cathédrale, relookée ou pas. Les hommes seront toujours aussi stupidement idolâtres mais ils vénéreront le dernier robot le plus performant élaborée par les transhumanistes ou bien de vieilles prophéties qu'on leur sert encore en soupe commune pour leur donner une identité qu'ils ne savent pas trouver en eux-mêmes.
Notre-Dame de Paris reconstituée sera une belle attraction touristique à laquelle on aura consacré des millions d'euros pendant que le monde brûle, à tous les sens du terme, entre un savoir ultra-technologique et l'influence pérenne des croyances tenaces liées à un "Livre" unique.
Depuis cet incendie accidentel qui a touché ce bois sacré (ah, la fameuse « forêt » du 13ème siècle !) et ces pierres si bien taillées par de géniaux artisans moyen-âgeux, on nous chante avec des trémolos dans la voix les louanges de ce lieu si "symbolique".
Tant pis si cela paraîtra iconoclaste voire provocateur, mais je ne me réjouis pas que nous ayons encore, au XXIème siècle, comme lieu emblématique intouchable, un bâtiment qui fut fondé par une religion monothéiste. Et pourtant j'adore Victor Hugo. Et pourtant je suis (et je ne renie rien ) issu d'une tradition catholique dans ce qu'elle a de meilleur (charité, générosité, empathie). Et pourtant je sais bien que cette part d'histoire est une part essentielle de notre culture (mais qui est ce "nous"?). Et pourtant je cherche moi aussi une forme de vie de l'esprit comme certains de ceux qui s'asseoient sur les bancs de Notre-Dame (pas très nombreux tout de même). N'empêche.
Cet incendie, terrible, est peut-être un signe (divin? envoyé par E-T ?) : il nous oblige à considérer notre définition du spirituel, et notre rapport au passé. De manière concrète, il nous pose deux questions : qu’est-ce qui est vraiment sacré pour nous ? Comment faire du futur avec notre passé ?

Et pour l’instant les réponses apportées confirment les tares de notre époque et son incapacité à vraiment philosopher, c’est à dire à prendre du temps et à pouvoir s’autoriser à penser « contre ».
Que voit-on, en effet ? Unanimisme émotionnel, précipitation, excès. Tout le monde devient « Notre-Dame », on prend des décisions hâtives, l’énormité des dons est obscène.
Nous pourrions prendre cet accident comme un moment de transition qui ne renie pas le passé mais accepte l’impermanence, même du « sacré », m^me de nos fameuses "vieilles pierres". Voilà pourquoi refaire ND à l’identique serait une régression. Voilà pourquoi il faudrait en profiter pour répartir les dons à un patrimoine plus étendu et des causes tout aussi importantes que ce fameux "symbole". Voilà pourquoi, bien que triste, je ne suis pas « abattu » par un incendie, fut-il celui de cette magnifique cathédrale, balise parisienne et nationale, balise historique et culturelle, que j’ai si souvent visitée moi aussi, comme tant d'autres… Tout passe. Et même les civilisations sont mortelles… La bibliothèque d’Alexandrie, elle aussi, a brûlé, et cela marqua le début de la « Renaissance » européenne…
Alors, pour autant, je ne préconise pas d’ouvrir un Apple Store sur le toit devenue terrasse de ND ni d’en faire un rooftop pour des fêtes massives, fussent-elles dyonisiaques. Mais je verrais bien un bel espace clair et paysager dédié à la méditation, une sorte de cloitre laïque, une ode à la planète (si elle est sauvée) notre vraie « Mère », et au corps (naturel ou pas) notre seul « véhicule », qui est sacré. Un espace de silence au coeur de la ville, un espace de paix et d‘introspection, de recueillement, de contemplation.
Comme avant, en fait, me direz-vous ? Comme avant, oui, mais sans Dieu. Jésus a-t-il vraiment besoin d’être « fils de » pour nous inspirer ?
Les ruines de ND pourraient devenir les fondations d’une nouvelle ère pour l’humanité, celle où l’homme, enfin débarrassé d’un Dieu "inhumain", pourrait comprendre qu’il est lui-même ce dieu qu’il cherche depuis toujours dans des fables variées et qu’il est le seul responsable de sa vie, et par là, de la vie de tous.
L’incendie de ND pourrait être perçu alors, peut-être, comme ce que Hegel appelle « une ruse de la raison ». Cette catastrophe marquerait le début d’une reprise en main par l’homme de son destin. C’est urgent. Pendant que ND brûle, la banquise fond beaucoup plus vite que prévue, des attentats font 200 morts dans des églises au Sri Lanka, et la capitale du Yemen, joyau historique patrimonial, est dévastée comme le fut, par exemple, Palmyre en Syrie… Entre autres.
Notre-Dame brûle ? Il est rassurant, au fond, de se dire que ce n’est pas si grave. Notre essentiel est ailleurs : c’est la flamme qui est en chacun de nous et que personne, pas même la mort, ne pourra éteindre. Là se trouve mon sacré. Que faire de cette flamme ? Là est ma question. J’espère, un jour, pouvoir chercher ene moi-même une réponse à l’abri des tours de Notre-Dame rebaptisée Notre-Flamme, en ayant déposé à l’entrée du site mon Iphone dernière génération…
Yves Gerbal
21 avril 2019