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22 décembre 2023

Faut-il croire au Père Noël ?

C’est la question que j’ai proposée aujourd’hui à celles et ceux qui suivent mon séminaire de philosophie à l’Université du Temps Libre….

On pourrait la croire relativement anecdotique, et bien sûr elle est en partie suggérée par l’époque de l’année. En fait elle se révèle beaucoup plus profonde qu’elle n’en a l’air et mérite tout à fait d’être approchée sous l’angle philosophique. 

Sans entrer trop dans le détail de nos riches échanges je voudrais ici synthétiser brièvement les enjeux de la question. Le Père Noël c’est (aussi) une chose sérieuse, ce qui ne nous empêche pas d’en perpétuer les vertus magiques…


Qu’est-ce que le Père Noël ? 

Pour les enfants : un personnage, un mythe moderne (élaboré à l’origine par une entreprise commerciale…). Ce récit est-il comme les autres parmi toutes les fictions qui s’offrent à l’enfance ? Non. Parce que cette histoire est donnée comme vraie, et se fonde sur des éléments présentés comme des « preuves » (les cadeaux apportés). Ce n’est pas une fiction. Le Père Noël existe : on peut même le rencontrer, le  prendre en photo, lui écrire, voire lui parler.

Pour les adultes : une métaphore pour signifier ce qui est illusoire, hors de portée, chimérique. Il nous renvoie à notre impuissance. La question semble jouée d’avance puisque par principe, et par sa formulation proverbiale, dans ce cas là, «on ne peut pas  croire au Père Noël ». L’injonction clôt  le débat, au moins provisoirement. On pourrait gloser ensuite sur cet « impossible », sur notre capacité à le croire possible par la vertu de l’espoir. On voit l’importance de cette piste de réflexion qui fait de l’adulte un être raisonnable sorti de l’enfance et aux prises avec le principe de réalité dans lequel aucun « Père Noël » n’a plus sa place. Principe auquel nous pourrions opposer notre volonté existentialiste qui construirait un «Père Noël « par exemple sous la forme d’un avenir radieux projeté comme idéal politique. Cela amènerait bien des remarques sur la place de l’imagination et de l’utopie, sur la nature de nos récits pour demain, sur leur capacité à guider notre action, mais nous choisissons volontairement ici d’en rester à la signification « enfantine ». 

Il s’agit donc de s’interroger sur une croyance. Cette croyance est-elle comme les autres ? 

Si oui, la question se réduit à « faut-il croire? ». Là encore, nous touchons à un concept fondamental de la philosophie : la distinction croire/ savoir, la nécessité ou non d’une croyance, la nature de celle-ci et ses conséquences sur notre vie (par exemple sur une éventuelle « morale »). Immense sujet. Passionnant. Essentiel. Bien des philosophes pourraient être convoqués ici. 

Mais le Père Noël n’est pas une croyance comme les autres. Certes cette croyance a parfois pour l’enfant une conséquence pratique : il faut être sage sinon le Père Noël ne passera pas…L’injonction morale reste malgré tout rarement très rigoureuse. Malgré tous ses efforts le Père Fouettard n’arrive pas à voler la vedette au gentil barbu.

Ce qui en fait surtout une croyance particulière c’est sa durée limitée. Si je crois en Dieu, a priori, ce n’est pas seulement pour un temps donné (même si bien sûr ma croyance peut se transformer). La croyance au Père Noël a une obsolescence programmée. L’enfant crédule est condamné à une révélation : le Père Noël, ça n’existe pas. Et là peut-être nous touchons la problématique essentielle  de cette question : le mensonge.

Faut- il mentir à nos enfants ? Sans en faire un traumatisme assuré ( laissons aux psychologues le soin de le mesurer) on ne peut négliger cependant la portée de cette révélation : des adultes, mes plus proches familiers auxquels je voue une confiance totale, m’ont fait croire  (y compris par de véritables mises en scène) une histoire dans laquelle je me suis investi(e). De quels autres mensonges seront-ils capables ? On connaît là- dessus la posture de Kant : aucun mensonge, même anodin,  n’est justifiable parce qu’il mine toute capacité de fonder une vérité. Que se passe-t-il si tout le monde ment ? Kant serait probablement farouchement opposé au mythe du Père Noël mais il acceptait le principe de la « croyance » et même sa nécessité. 

Au nom du contrat tacite de confiance entre parents et enfants on pourrait donc refuser de « faire croire » au Père Noël, afin d’éviter le caractère déceptif de la révélation et la rupture de ce contrat. Mais cette proposition est elle-même sujette bien sûr à plusieurs objections.

La pression familiale, la tradition, le principe de plaisir qui suscite le désir du « cadeau », placent l’enfant et ses parents dans une situation intenable : cette croyance apparaît aujourd’hui comme un « dû », un moment dont il serait cruel de priver le temps de l’enfance. L’enfant trop lucide semble trop vite adulte, c’est à dire immédiatement désenchanté (dans une vision certes romantique de notre rapport au réel). Les parents trop rationalistes culpabilisent d’extraire leur enfant d’un jeu qui contribue aussi à sa « socialisation ». Pour toutes ces raisons il faudrait donc accepter de laisser « croire au Père Noël », en espérant que la magie des souvenirs (une fois la crédulité passée) prenne le pas sur le rituel initiatique plus ou moins fortement ressenti de cette première « sortie de l’enfance ».

Ces quelques réflexions sur le bonhomme rouge et blanc (vert à l’origine) largement exploité par notre société consumériste (dont il est issu) nous ramènent en fait à une question plus globale : qu’est-ce que Noël ? Faut-il croire à un autre bonhomme (barbu lui aussi dans la plupart de ses représentations) qui se serait incarné dans un homme ordinaire né en Palestine ? 

Historiquement on le sait, les instances de la religion chrétienne ont choisi cette date parce qu’elle correspondait à une fête romaine très populaire, célébrant (en Europe et Moyen-Orient) le solstice d’hiver.  Il s’agissait de raconter la naissance d’un mythe (le fils de Dieu) et de l’ancrer dans une dimension spectaculaire (une mère vierge, l’étoile, les Rois Mages etc…) tout en insistant (à juste titre) sur la simplicité de sa condition (l’étable, l’âne et le bœuf, le père adoptif charpentier…). 

Il y  a là dans toutes les « Écritures », et depuis 2000 ans, déjà bien des raisons d’interroger notre capacité et nos raisons de « croire ». Parler ici de la Chrétienté ne doit pas nous faire oublier que toutes  les religions sont pourvoyeuses de récits plus ou moins fabuleux qui aujourd’hui encore, dans un monde pourtant hyper scientiste, conditionnent la vie de milliards d’individus. Avec le Père Noël on n’en est pas encore là. Alors, si on veut (en tant que parents), on doit pouvoir lui laisser de la place…

Mais a-t-on forcément besoin de cette croyance « supplémentaire » pour faire de ce temps de fête une promesse de concorde et d’amour, un projet impossible et pourtant toujours espéré ? Pour faire de ce moment, quand on le peut, une célébration de la croyance en la valeur « famille « ? Noël n’est-il pas assez « magique », en soi, pour devoir y ajouter l’homme au traîneau ?  D’autant qu’il y a de fortes chances qu’un de ces jours le Père Noël soit « cancellé”  quand on apprendra qu’il a tripoté une gamine posée sur ses genoux  et qu’il est donc vraiment une “ordure” ! (1)

Pas besoin de Père Noël pour croire à Noël. Et si, personnellement, je suis aussi passé par ce gentil mensonge, je me souviens surtout des prières récitées en famille devant la crèche, en l’honneur d’un nouveau-né posé sur de la paille et auquel tout le monde vient rendre hommage en faisant un rêve de paix. En Provence. Et ça je le crois : c’est un berger qui me l’a dit…

Yves Gerbal
21 décembre 2023
(1) C ‘est de l’humour. Idem pour le dessin “vintage” ci-dessous. Évitez svp de me harceler sur un réseau social. Merci.

 

IMG_2808.JPG

 

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