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20 mars 2007

Le tracteur for President

Résumé des épisodes précédents : Sarko et Ségo sont sur un bateau. Tous les deux tombent à l’eau. Qui reste-t-il ?

 Il s’agit donc, dans le troisième temps de cette sorte de dissertation tractée, d’aborder la partie la plus difficile, celle de la synthèse. Alors, en route, labourons ensemble ! Semons des opinions, et nous verrons bien ce que nous récolterons au proche printemps... Evidemment, beaucoup m’ont vu venir, avec mes gros sabots (décidément, j’use beaucoup du lexique rural, même le plus anachronique) : je m’en vais vous suggérer de voter François Bayrou... Autant vous le confirmer tout de suite, ce qui permettra à ceux auxquels cela paraît aberrant, inconcevable, ou carrément con, d’interrompre tout de suite la lecture de cette 3ème lettre consacrée aux présidentielles et de retourner garder leurs moutons de droite ou leurs moutons de gauche...


Bien sûr, j’en entends déjà qui ricanent, qui disent : “Oh le vilain bobo ...” (2).  Libération a fait sa couv là-dessus il y a quelques semaines : “Pourquoi les bobos votent Bayrou”. Ça leur a valu un paquet de courriers de protestation. C’est rassurant : les gens ne supportent plus qu’on les mette dans des cases (3). Les lecteurs de Libé ont donc écrit pour dire qu’ils n’étaient ni des bobos ni des gogos mais qu’ils étaient néanmoins tentés par le vote Bayrou. Et pourquoi, dans l’ensemble ? Là encore parce qu’on commence à en avoir sérieusement marre des cases et des tiroirs. Choisis ton camp, camarade ! Voici la ligne : il faut que tu sois à droite ou à gauche !  Le problème est : où est la ligne ? Le problème est : cette ligne existe-t-elle vraiment ? Le problème est : cette ligne est-elle intangible ? Le problème est : cette ligne est-elle droite ? Le problème est surtout : cette ligne est-elle essentielle pour résoudre les problèmes de la société française ? Ou en le disant autrement : faut-il avant tout se préoccuper de cette ligne pour que ça aille mieux ? Et je précise : que ça aille mieux pour le plus de monde possible... Parce que pour moi, personnellement, ça va bien merci. S’il ne s’agissait que de moi, je voterais Royal et basta. Ou même Laguiller. Je peux tout me permettre. Même de m’en foutre ! Je suis un bobo, un “nanti”, comme de nombreux mails n’ont cessé de me le rappeler à l’occasion du référendum sur le TCE... Donc, je pourrais même voter Besancenot pour faire mon intéressant, ou même Le Pen, pour agacer les gens...

Alors voilà, je pourrais me contenter de cet argument : pourquoi voter Bayrou ? pour faire bouger la ligne. Là encore, je vous entends : comment ?! La droite et la gauche, ce n’est pas pareil ! La ligne existe ! Les partisans du clivage, les disciples de la ligne (de quelle couleur elle est, au fait ?), se lèvent alors tous en choeur, et pas pour chanter les vertus de la Danette...mais pour clamer :  il faut bien être à droite ou à gauche ! Ça a toujours été comme ça ! Y a pas de raison que ça change !  On nous poursuit, on nous traque.  Tu n’es pas à gauche ? Alors tu es passé à droite. Shame on you. On me maudit. On me honnit. Et on vilipende tous les intellectuels qui osent dire que cette ligne, ils ne la voient plus vraiment, qu’il faudrait peut-être apprendre à penser autrement pour trouver d’autres solutions... On a bien un cerveau droit et un cerveau gauche : vous imaginez qu’on vous dise de ne vous servir que de l’un ou que de l’autre... Il y a beaucoup  d’hémiplégiques de la politique... Par exemple Marie-George Buffet qui ce soir à la télévision ne cesse de parler du “peuple de gauche” et de ne s’adresser qu’à ce côté de la ligne... C’est quoi le “peuple de gauche” ? J’en fais partie ou non ? Moi je croyais qu’il y avait le peuple, c’est tout.

Mais attention ! Dire que la fameuse ligne de démarcation (ça rappelle de très mauvais souvenirs...) doit être enfin reconsidérée, ce n’est pas dire que tout se vaut, ce n’est pas admettre tout et son contraire. Ce n’est pas dire que tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil... Ce n’est pas dresser un tableau idyllique de la situation sociale. S’il y a bien une ligne c’est celle qui délimite et exclut toute une catégorie de la population par une sorte “d’eugénisme social”. Et bien sûr, “gouverner, c’est choisir” (pour reprendre les mots de Pierre Mendes France, référence préférée de Bayrou), mais la question est : gouverner est-ce choisir entre la droite ou la gauche ? Quels sont les choix essentiels pour résoudre les problèmes de la société française ? Faut-il recommencer à confier le pouvoir à l’un des grands partis qui ont échoué jusqu’ici à cause d’une stérile confrontation permanente ?  Vous imaginez en tout cas le cataclysme que représenterait l’élection de celui qu’on n’attendait pas (et un vrai démocrate celui-là !) ? Vous imaginez la remise en question totale que cela provoquerait à l’UMP et (surtout) au PS ?! Ce serait trop bien...

On dit donc, toujours en fonction de la fameuse ligne : Bayrou a toujours été de droite. Oui, et alors ? C’est une tare ? Fabius a bien toujours été de gauche... Cherchez l’erreur... On me dit : Bayrou est une imposture. Et Royal, ne serait-ce pas seulement une posture ? Ce qui ne fut pas une posture, c’est l’attitude de Bayrou face à Sarkozy. Quand il n’a pas cédé, il y a quelques mois, à l’appel des sirènes de l’UMP, on ne donnait pas cher de la peau du pauvre François, on se moquait de cet irréductible gaulois... Il a osé prendre ce risque. Il a accepté de voir certains de ses cadres le lâcher, comme des enfants qui dans la cour de récré abandonnent leur copain de toujours pour aller se mettre au service du nouveau chef de bande. Et voilà Christian Blanc, Santini etc... qui sont allés lécher les bottes de Sarkozy, pensant jouer le cheval gagnant. Bayrou a laissé faire. Il a suivi son idée. Il a tracé son sillon. A nous de lui donner raison maintenant, en lui donnant une belle moisson (vive le lyrisme rural !).

Le programme de Bayrou ? Cliquez sur http://www.bayrou.fr/propositions/  Alors ? Ni mieux ni pire que les autres... Mais moins cher, moins idéologique, moins dogmatique. Cherchant à trouver des solutions variées à des problèmes variées, faisant appel aux compétences de tous bords, cherchant les bonnes personnes au bon endroit. Réfléchissant sans oeillères. Moi, je préfère encore ça aux promesses irréalistes de la louve de gauche et aux alléchantes flatteries du renard de droite... Bayrou, ce sera pas un magicien, mais c’est peut-être la possibilité d’un “libéralisme éclairé” et d’un pays rassemblé.

On cherche à  réduire Bayrou à un “ni...ni” tiède et sans saveur. Je préfère imaginer, quitte à me tromper, un “et...et” qui permettrait de résoudre chaque problème non pas en fonction d’une grille de lecture pré-établie, mais de manière pragmatique, lucide, en cherchant toutes les solutions possibles, d’où qu’elles viennent. On peut reprocher à ce projet un manque de vision d’ensemble. Mais on a testé les “visions d’ensemble”  que constituent idéologies et utopies... Non merci ! Je préfère m’en tenir à un capitaine qui cherche à naviguer le mieux possible sans à priori ni itinéraire tout tracé. Il faut parfois savoir changer de cap pour éviter les cyclones (voilà que je mets aux métaphores maritimes maintenant...). Est-ce que Bayrou est vraiment celui dont je rêvais pour tenir ce rôle ? Peut-être pas. Mais aujourd’hui, ici et maintenant, il se trouve que c’est lui qui est en mesure d’incarner cette troisième voie... Et puis de toute façon, je préfère ne pas rêver la politique. Royal, elle vous fait rêver ? La politique, c’est par excellence le principe de réalité, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas l’aborder avec un idéal (voir la citation de Jaurès dans le Tr@cT précédent). Et cet idéal, il me suffit de le trouver dans un humanisme dont François Bayrou, par sa culture, par son histoire, par ses choix antérieurs, a prouvé qu’il en était dépositaire. En bref, à priori, j’ai plutôt tendance à lui faire confiance. On dit qu’il n’a plus de Parti ? Tant mieux. Tout reste à faire, plutôt que d’être obligé (comme Royal encore aujourd’hui) de cirer les pompes des éléphants (tiens, je ne savais pas que les pachydermes ont des godasses... C’est peut-être ce que l’on appelle un parti de godillots ;)

L’argument anti-Bayrou classique : il ne pourra pas gouverner, faute d’une majorité. Mais pourquoi les Français seraient-ils à ce point stupides pour ne pas adouber des députés estampillés sociaux-démocrates, labellisés Bayrou, lors des élections qui suivront ? Y a un risque ? Et alors ? Rien de nouveau ne se fait sans risque ! “Tout ce qui est neuf naît malgré “ disait Nietzsche. Pour cet extrêmiste du centre je pense aussi à cette phrase : “ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait” . Il y a un risque d’immobilisme ? Peut-être. Mais avec Ségolène Royal, croyez-vous vraiment que quelque chose va bouger ? Et avec Sarkozy, il n’y a pas de risque(s) ?

Tiens, c’est marrant, je viens de zapper sur internet et je lis qu’en Finlande le Parti du Centre est en tête aux législatives... Alors c’est possible chez eux, et pas chez nous ? Et puis je tombe sur le mail d’un Suisse dans un forum : C’est du bout de la lorgnette que j’étudie depuis la Suisse toute cette agitation autour du projet de François Bayrou. Ce que beaucoup récusent en France fonctionne fort bien en Suisse depuis plus de 50 ans. Le gouvernement se compose de représentants de toutes tendances (gauche, droite, démocrates etc.). Chez nous pas de grèves ruineuses, pas de conflits sociaux, pas de « c’est de la faute des autres », pas de dette qui explose, pas d’énarques irréalistes, mais des responsables de tous bords qui s’accordent dans une politique à long terme pour le bien du pays. Pourquoi cela ne pourrait-il pas fonctionner en France ? La France serait-elle moins « intelligente » que la Suisse ?  Lors des prochaines élections les Français pourront prouver que tel n’est pas le cas. Bon, je sais bien, la France n’est ni la Finlande ni la Suisse, ni Nokia ni Toblerone, et puis c’est tout de même pas un Suisse ou un Finlandais qui va nous dire ce qu’on doit faire ! Mais ça n’empêche pas d’imaginer tout de même quelques alternatives nouvelles, non ?

Parlons stratégie, maintenant. Ce sera court parce que c’est clair et net. A tous ceux qui, pour des raisons diverses, ne veulent pas de Sarkozy, il faut rappeler que toutes les projections de vote dans le cas d’un 2d tour Sarkozy-Royal donnent le petit Nicolas gagnant, et dans des proportions qui laissent  peu de marge aux incertitudes d’un sondage (ce soir, derniers scores : 56/44 !).  Ceux qui nous serinent à chaque fois sur la nécessité d’un vote “utile” dès le premier tour feraient bien de réfléchir à la pertinence d’envoyer au 2d tour une candidate donnée perdante depuis des semaines... D’ailleurs, il n’y a qu’à fréquenter les forums du web  pour se rendre compte que de nombreux sympathisants socialistes sont en train de faire ce calcul...

Et puis pensez vraiment à ce moment, certes anecdotique mais tout de même toujours marquant, où l’on voit apparaître la tête du “gagnant”, à 20h, à la télé, le soir des élections. Imaginez, mais imaginez vraiment l’effet que ça va vous faire. C’est Sarkozy (allez, faites l’exercice, imaginez...). C’est Royal (allez allez, un petit effort d’imagination...). C’est Bayrou... Quel sentiment vous envahit dans chacune de ces trois hypothèses ?

En ce qui me concerne, voir s’afficher la tête de Bayrou me semblerait à la fois apaisant et stimulant. Apaisant parce que je saurais alors qu’on éviterait la guerre civile larvée (avec Sarkozy) et stimulant parce que je saurais qu’on éviterait le déjà vu (avec Royal). Il me semble qu’on pourrait penser qu’enfin il s’est passé quelque chose, et que nous n’avons pas seulement, une fois de plus, simplement changé de côté. Oh bien sûr, je sais bien que ce ne serait pas la révolution. Mais la révolution serait-elle une solution ? Si oui, votez Besancenot, c’est son truc à lui. Moi je ne fantasme pas sur une révolution, sauf peut-être sur celle qui consisterait à choisir la décroissance (4). Mais c’est une autre histoire.

Que dire encore ? Je pourrais parler aussi de quelques supporters de Bayrou dont  la personnalité, la compétence, et l’indépendance de la pensée, m’incitent eux-aussi à faire ce choix. C’est le cas de Jean-François Kahn dont j’ai toujours apprécié la liberté d’esprit. C’est le cas de Jean Daniel. C’est le cas d’Azouz Begag. C’est peut-être aussi le cas de Borloo, qui hésite... Et même, j’en suis certain, de DSK, qui s’y verrait bien, malgré ses démentis... Et c’est le cas de beaucoup d’autres, dans les salles de profs et ailleurs, qui le pensent sans oser le dire...  Alors, n’hésitez plus, osez Bayrou !

Il me reste à essayer de conclure. Jean Daniel vient de consacrer à  Camus (qu’il a bien connu) un livre intitulé “Avec Camus, comment résister à l’air du temps”. J’en extrais la phrase de Romain Gary mise en exergue au début de la première partie  (5) : “Je suis contre tous les systèmes politiques qui croient détenir le monopole de la vérité. Je suis contre tous les monopoles idéologiques. Je vomis toutes les vérités absolues et leurs applications totales. Prenez une vérité, levez-la prudemment à hauteur d’homme, voyez qui elle frappe, qui elle tue, qu’est-ce qu’elle épargne, qu’est-ce qu’elle rejette, sentez-la longuement, voyez si ça ne sent pas le cadavre, goûtez en gardant un bon moment sur la langue — mais soyez toujours prêts à recracher immédiatement. C’est cela la démocratie. C’est le droit de recracher ”.

 Si l’idée de Bayrou, finalement, n’a pas bon goût, on pourra toujours la “recracher” dans 5 ans... Oui, c’est cela aussi, la démocratie...

Yves Gerbal

(2) Rappel : “bobo” est le diminutif de “bourgeois-bohème”, et ce terme (inventé par un sociologue américain) est devenu en quelques années une sorte de référence sociologique désignant une catégorie de gens ayant de l’argent mais restant anti-conformiste (je résume très vite). Récemment, Renaud, un chanteur rebelle (je me marre...), a gagné beaucoup d’argent en faisant le portrait de ces bobos dans une chanson. (3) Cela dit, mettre dans des cases est un défaut bien partagé. J’ai moi-même été pris en flagrant délit dans le “Spécial présidentielles” n°1, à propos de la collègue “anti-sarkosyste”... Elle s’est reconnue, s’en est émue, et a eu raison de me rappeler qu’il est stupide de réduire les gens à une image simplificatrice. J’aurais pas dû. Je lui demande de m’en excuser... (4) Voir http://www.partipourladecroissance.net/ Mais ça se discute... Pas sûr que ce serait la meilleure solution non plus (voir un excellent article dans Alternatives économiques de cette semaine). (5) Pour qui voterait Camus aujourd’hui, lui qui  a soutenu l’action de Mendes France ? Pour qui voterait Romain Gary ? Quel est, des trois “favoris”, celui qui incarne le mieux la possibilité de “résister à l’air du temps” ?

Commentaires

Bin dis donc ! Y'a toujours pas de réaction ? Ouski sont tes tr@ctés ? Je t'ai envoyé par émiles des réflexions idiotes mais azissonpanonplus. J'espère que tu vas tout de même mettre le poème de Perros que tu aimes bien aussi..

Bizoux Jean

http://perso.orange.fr/jeanselme/

Choses que je croyais perdues
et qu'une eau nouvelle retrouve
cailloux bloqués dans un ruisseau
qui attendiez l'autre printemps
pour reprendre l'âpre aventure
je ne vous imaginais plus
et vous me redonnez à vivre
Que suis-je quand vous n'êtes pas ?

Georges Perros (1923-1978)

Écrit par : Le jeannot des Bruyères Aérées | 25 mars 2007

Bin dis donc ! Y'a toujours pas de réaction ? Ouski sont tes tr@ctés ? Je t'ai envoyé par émiles des réflexions idiotes mais azissonpanonplus. J'espère que tu vas tout de même mettre le poème de Perros que tu aimes bien aussi..

Bizoux Jean

http://perso.orange.fr/jeanselme/

Choses que je croyais perdues
et qu'une eau nouvelle retrouve
cailloux bloqués dans un ruisseau
qui attendiez l'autre printemps
pour reprendre l'âpre aventure
je ne vous imaginais plus
et vous me redonnez à vivre
Que suis-je quand vous n'êtes pas ?

Georges Perros (1923-1978)

Écrit par : Le jeannot des Bruyères Aérées | 25 mars 2007

Ah c'est marrant ! Ca s'écrit tout de suite ! Va falloir que j'installe un truc comme ça sur mon ouaibe. Comment quifoque je fais ?

Rebizoux

Écrit par : Le jeannot des Bruyères Aérées | 25 mars 2007

Merci pour ton dernier" tract" , bravo pour ton courage et ta franchise ! à demain au parc Chanot... Josée.

Écrit par : Tourrette Josée | 11 avril 2007

Les commentaires sont fermés.