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16 mars 2007

Cogito Sego sum ?

Comme toujours je rechigne à envoyer trop vite un texte qui risque d’être mal compris. C’est terrible cette peur de déplaire... Trop d’égo, évidemment... Je devrais depuis longtemps avoir dépassé ce genre de réticence, mais en matière de causerie politique je reste souvent craintif sous mes apparences dégagées ( à la Desproges... sans son talent). Pourtant qu’ai-je donc à perdre que (rarement) l’amitié de quelques-uns, et à gagner sinon l’incompréhension de quelques autres et (le plus souvent) l’indifférence polie de la plupart... Je redoute néanmoins la réaction des tractés, proches ou lointains, avec lesquels j’entretiens décidément une relation toujours ambiguë : désir impénitent de communiquer, crainte plus ou moins assumée de décevoir... Je devrais m’en ficher, mais je reste encore trop timide (si si...). C’est dire le poids de la censure que nous impose notamment notre appartenance à un milieu socio-culturel, avec tout ce que cela représente de codes, de langages, de rites ...

 

 


En l’occurrence, en ce qui concerne le vote à venir, je serais dans mon rôle, et ce serait probablement plus simple, si je disais sans ambages qu’il faut voter pour Ségolène Royal. Oui, ce devrait être simple : je suis enseignant, j’ai tout intérêt à voter à gauche. Ce n’est pas pour rien que les profs représentent classiquement une réserve de voix stable (jusqu’à quand...?) pour la gauche, et surtout le PS, et qu’ils constituent une armada de maires, conseillers généraux, voire députés. Ils sont généralement chouchoutés par cette gauche avec laquelle ils entretiennent de forts liens historiques. C’est parfois pour des raisons bassement corporatistes. Mais c’est surtout parce qu’ils sont la figure de proue du service public, et les fortes têtes de la contestation tous azimuts... Ce n’est pas rien. Et c’est indispensable. D’une certaine manière, chaque prof (surtout en sciences humaines, évidemment) se sent peu ou prou investi d’une mission, se sent dépositaire d’une tradition de résistance à toute forme d’aliénation et chargé de la perpétuation d’un esprit critique toujours vigilant. Il n’y a aucune raison pour nous le reprocher. Ce rôle est essentiel, notamment à une époque où la pensée et le langage se simplifient à grande allure, une époque où l’on utilise le mot “intello” comme une insulte... Et moi aussi, je me sens (modestement ?) enfant de Montaigne et Voltaire, de Hugo et Camus... C’est donc aussi mon rôle, je le revendique, et je mène ce “combat” (assez confortable tout de même, n’exagérons pas...) chaque jour. Je peux me payer le luxe d’une pensée libre. Aucun patron pour me menacer. Aucune hiérarchie pour me foutre à la porte. Pas vraiment la crainte d’un plan de licenciement. Un salaire régulier. Du temps libre (oui, je l’avoue...). Il est normal que je profite de ces avantages pour affirmer certaines convictions et parler pour ceux qui n’ont pas comme moi la chance d’avoir un métier “stable” (dont l’Abbé Pierre disait qu’il devait suffire à se dire riche...), et permettre aux futurs citoyens d’accéder à une culture critique. La devise de Kant et des Lumières, “sapere aude” (ose te servir de ton propre entendement), c’est aussi ma devise, inscrite en préambule de mon blog professoral...(http://ivreverbalprof.hautetfort.com). Oui mais... tout cela suffit-il aujourd’hui à me faire voter pour le parti socialiste, qui fut le parti de Jaurès...?
Ségolène Royal, donc, parlons-en...  Je l’ai vu venir avec plaisir. Quand les médias écrits ont commencé à l’afficher sur leurs couvertures, quand elle a d’abord semblé faire entendre une voix libre, une voix un peu détonnante par rapport à la gauche classique, je me suis dit : chic, voilà un candidat pour moi ! En voilà une qui va me réconcilier avec la gauche, parce que cette gauche (vous l’avez compris) avait fini par me fatiguer, en tout cas quand elle ne se nourrit que de bons sentiments ou n’a pas coupé fondamentalement le cordon ombilical avec une forme  d’idéologie primaire ayant prouvé son inadaptation à la réalité d’une société humaine... Bref, à me réconcilier avec une gauche en laquelle je ne croyais plus, tout simplement... J’ai donc “cru” en Ségolène, et j’ai suivi de près son adoubement. La voir, elle d’abord si frêle, renverser les lourds éléphants, fut un vrai moment de plaisir. La voir renvoyer dans les cordes un insupportable Fabius, la voir énerver quelques-uns des gauchistes de salon ou des socialistes version cocktails, parler enfin un peu librement des sujets tabous chez ces gens-là. Oui, vraiment, j’ai beaucoup aimé la voir arriver, oublier pour un temps la langue de bois version socialiste, changer la donne, étonner son monde, affirmer sa personnalité ... J’étais emballé, bien content de trouver une alternative aux barissements prévisibles et unanimes qui ne me font plus rire depuis longtemps... Et puis c’est une femme... Je me refuse définitivement à en faire un argument électoral, mais je n’ai pu m’empêcher de penser (et nous sommes nombreux à l’avoir fait) que ce serait bien “d’essayer”, que ce serait peut-être un déclic, puisque de toute évidence toutes les autres formules ont globalement échoué. J’étais donc parti pour devenir un fervent partisan de Madame Royal mais... le charme  a fait long feu. Pourquoi ?

On pourrait croire que c’est à cause d’un coup fourré sur internet, la fameuse vidéo sur les “35 heures de présence dans l’établissement” pour les profs... J’étais concerné, et pas ravi ravi... Mais aussi peut-être un peu maso, ou tout simplement ouvert à une réflexion sur le temps et la nature de notre travail... Je ne vais pas m’étendre ici sur la question, ce serait trop long, et j’ai des copies qui m’attendent, après minuit...;) mais il se trouve que cela n’a pas suffi à me détourner de la Ségolène. En revanche, j’ai commencé à douter quand je l’ai vue et écoutée. Quelle platitude oratoire, quel ennui, quel manque de charisme... Je répète ici ce que j’ai dit dans le Tr@cT précédent : les tyrans furent souvent d’excellents orateurs. Je sais la méfiance qu’il faut avoir devant l’art rhétorique. Tout de même, un malaise m’a légèrement envahi. Alors j’ai attendu la suite, l’essentiel, c’est à dire le programme, le “Pacte présidentiel”.  J’ai entendu une incroyable énumération de “je veux”, comme s’il suffisait de le vouloir pour que ce soit, j’ai entendu une litanie de promesses fondées sur un pronostic de croissance qui me semble illusoire, je n’ai rien entendu qui me laisse espérer une amélioration véritable de l’économie française, ce qui reste tout de même la préoccupation majeure du plus grand nombre, et notamment des plus démunis. J’ai beaucoup entendu, comme d’habitude, qu’il fallait redistribuer l’argent, je n’ai pas compris  comment on pourrait en trouver davantage... Mais j’ai aussi entendu de la compassion, un ton apaisé, une manière très personnelle de transmettre ses convictions... Bref, tout n’était pas à jeter... et je me suis mis à nouveau à m’interroger : les socialistes sont-ils les plus aptes à résoudre les principaux problèmes de notre société ? Ou bien faut-il penser qu’il n’y pas de problème, et alors autant mettre n’importe qui aux commandes...

J’en étais là de mes réflexions quand Ségolène décida... le retour des éléphants... Coup dur. J’ai bien compris qu’elle ne pouvait pas faire autrement, qu’on lui reprochait un début de campagne décevant, et que c’était aussi une volonté louable d’unir toutes les forces pour contrer la droite arrogante... OK. Mais je n’ai pas pu m’y faire. Revoir à ses côtés les Lang et consorts (qu’on sort), les Fabius et ses sbires (ah, Mélanchon...), et tutti quanti... J’ai pas supporté. C’est comme ça, un peu épidermique, c’est vrai. Probablement un peu con. Tant pis. Chacun a ses raisons. J’en connais beaucoup pour qui la relation à Sarkozy est “épidermique”, et qui en font un argument... Alors j’ai le droit moi aussi de ne plus supporter, par exemple, un Pierre Bergé mitterrandolâtre qui vient, avant un grand raout culturel très parisien, donner des leçons de morale et de conscience à ceux qui seraient tentés de s’éloigner du cocon socialo.

Je me souviens parfaitement, au tout début du “phénomène”, au début de l’engouement médiatique qu’ont suscité certains magazines, que le premier que j’ai entendu soutenir Ségolène Royal était Malek Bouthi, ex-président de SOS Racisme. J’aime beaucoup ce que dit ce type, en général. Ça m’avait donc alerté. Et puis aussi, quelque temps après, j’ai entendu Bernard Kouchner faisant à son tour l’éloge de Ségolène. C’était bien avant que tout le monde vienne se courber devant ses tailleurs. Je me suis mis à rêver. Pourquoi pas une équipe Ségolène Royal, Bernard Kouchner, Malek Bouthi, et puis aussi Michel Rocard, Hubert Védrine (ex Affaires Etrangères), Manuel Valls (le maire d’Ivry) ... Avec un petit coup de Mauroy pour la caution historique. Ça c’était une dream team !!! Et pourquoi les Français n’en auraient-ils pas voulu ??? Ce sont tout de même pas des bras cassés, pas des petits gars sans expérience. Et puis il y avait “Désirs d’avenir” un site web très actif qui pouvait fédérer sans passer par les fédérations... Il y avait tous les nouveaux adhérents qui avaient fait pencher la balance en faveur de cette candidate. On aurait très bien pu se passer de l’appareil du PS. Oui, on pouvait gagner une élection en créant ce lien direct avec la population que Ségolène semblait capable d’établir. Il fallait dire “Qui m’aime me suive ! ”,  le faire à la Jeanne d’Arc (en fait, c’est Philippe VI qui l’a dit...). Il fallait prendre le risque, casser les clivages (tiens, ça me rappelle quelqu’un...), oser y aller au culot, faire confiance aux Français. Et alors ? Qu’aurait-il manqué ? De l’argent ? Des moyens ? Probablement. Pourtant, jusque-là, Ségolène Royal n’avait besoin de personne sur sa Harley Davidson... Et puis si on perdait, tant pis. C’eût été avec les honneurs, la tête haute. Il vaut mieux perdre en restant soi-même que gagner en se travestissant. Bas les masques ! Mais il fallait donc d’abord être désigné par le Parti... dont le Secrétaire Général n’est autre que le mari de la dame... Dommage. I had a dream. Et Ségolène ne me fait plus rêver...

Alors, me diront certains, on peut aussi “oser Bové” !!!  En effet, pourquoi ne pas choisir le pâtre du Larzac ? Sincèrement, disons-le tout net : c’est non. Pour plusieurs raisons, que je vais exposer rapidement, sachant qu’il faudrait les développer, mais que décidément, si je le fais, je ne pourrai pas corriger mes copies (35 heures vous dites ?)... D’abord, et c’est tout de même le plus important, je ne vois pas comment on peut se dire “anti-libéral”. J’ai essayé d’expliquer ça dans un Tr@cT précédent (voir blog http://ivreverbal.hautetfort.com/ à la date du 7 janvier). En (très) bref : si on choisit le camp de la liberté on prend aussi la liberté du commerce. Deuxième raison, il y a eu le “Non” au projet de Constition Européenne. Je n’y reviens pas non plus, mais  ça m’est resté en travers la gorge... D’autant plus que la mouvance altermondialiste, ô combien sympathique par ailleurs, a cru à cette époque que ce “non” signifiait le début d’un grand rassemblement populaire... Mon oeil ! C’était décidément bien mal connaître le peuple que de croire que ce “non” était vraiment un geste militant ou l’expression d ‘une volonté de tous se retrouver derrière les bannières rouges... Bref, comme union des forces vives et révolutionnaires, on a droit à quatre (ou 5, je ne sais plus) candidats de la gauche extrême, et des sondages qui annoncent Bové à moins de 2%. Comme réussite, c’est pas mal. Le petit facteur, par exemple, a-t-il une seconde songé à s’effacer au nom de ce rassemblement ? Pensez-vous, c’est pas le genre de la maison... Lui aussi il aime la télé, faut pas croire...  Et pendant ce temps, bien sûr, l’Europe n’avance plus...

Pourtant, j’aimerais bien être anti-libéral... Ce serait pratique. Dans les discussions, dans les débats, l’anti-libéral a toujours le beau rôle. C’est le vrai militant, le seul en paix avec sa conscience, l’ami des faibles, le gentil... A côté de lui, forcément, on passe pour un méchant. Lui, c’est Don Quichotte. On peut pas lutter. Ou Antigone (Bové s’est mis sous son patronage au début de sa campagne !!). Face à Antigone, on passe tous pour des tyrans, des sans-coeur, des égoïstes... Le problème, c’est qu’Antigone est vraiment nulle en politique... Y a qu’à relire Anouilh pour le comprendre... Ça peut la rendre sympathique, elle aussi, mais elle est dangereuse, aveugle (comme son père...) et mortifère... C’est un beau personnage, mais dans la vraie vie, c’est une calamité... C’est une ado, et on peut aimer les ados, savoir qu’ils sont magnifiques, purs, idéalistes, et que leur capacité de révolte nous est indispensable, mais pour autant faut-il leur donner le pouvoir ? Et à Don Quichotte, vous lui donneriez les clés de votre moulin ?

Oui, j’aimerais bien être anti-libéral. D’une certaine manière ça me simplifierait la vie. Ca m’éviterait de me faire parfois insulter après certains Tr@cts, ça m’éviterait de me poser toujours des questions sur la marche à suivre. D’une certaine manière, je l’avoue, ça pourrait me donner une raison de vivre. Chacun sa religion. Je sais bien que “je lutte donc je suis”... Mais je n’arrive pas à penser que c’est de cette manière que l’on va y arriver. Attention, je ne minimise pas la qualité des actions menées par les partisans d’un autre monde et la nécessité de résister à la marchandisation du monde. C’est capital (comme dirait Marx). Mais ce qui est peut-être bon aujourd’hui en Amérique du Sud (quoique... Il faudra faire un peu plus tard le bilan des années Chavez et Lula... comme l’on fait le bilan des années Castro) n’est pas forcément le mieux  pour la  France d’aujourd’hui. Donc, Bové, je te donne pas les clés... Et de toute façon, je parie (c’est dans quelques jours) que tu n’iras pas finalement devant les électeurs. Il n’ira pas, en prétextant un mauvais coup à propos des signatures. Mais en fait il n’a pas envie de se retrouver avec 1,5% des voix... Lui qui pensait probablement être à 7, voire plus... Dur retour à la réalité d’une élection pour celui qui avait promis de ne jamais faire de la politique...

Bon alors, qui il reste ? Quelques-uns qui méritent tous le détour (je ne néglige personne) mais pour lesquels ici je n’ai pas trop le temps de m’attarder. Du Pen ? Non merci, j’ai fini mon fromage. Buffet ? Non merci, j’ai plus faim. Arlette ? Désolé mais j’ai déjà donné. Voynet ? Je n’ai jamais compris que pour les Verts, faire de la politique soit forcément être de gauche. Les gens de droite, ils respirent pas le même air  ? Il y aurait pu y avoir Hulot... Mais je suis très content qu’il n’y soit pas. Sa place est ailleurs. Il joue un certain rôle et le joue très bien. En voilà un finalement moins avide de pouvoir et de gloire que certains gourous de l’extrême-gauche. Etonnant, non, pour quelqu’un qui de toute évidence, aurait fait bien plus de 1,5 % ? Alors, qui ? Oui, je sais, il en reste un... Je vous en causerai la prochaine fois... Si vous avez la patience de lire un troisième mail sur ce même sujet...

Et attendant, je relis Cioran et ses Syllogismes de l’amertume : “Avoir éprouvé la fascination des extrêmes, et s’être arrêté quelque part entre le dilettantisme et la dynamite !”. Oui, c’est un peu ça, en effet... Quant à un programme... “Ne me demandez plus mon programme : respirer, n’en est-ce pas un ?”. Ca peut paraître peu ambitieux, mais finalement, quand on y pense...

 Yves Gerbal

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