03 avril 2009
Le Tr@cT n° 44
Le Tr@cT n°44
Mailons nous les uns les autres ...
30 mars 2009
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“ Les mots sont des planches jetées sur un abîme, avec lesquelles nous traversons l’espace d’une pensée...”
Paul Valéry
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Enfoncer le clou...
C’est bien joli, la poésie, mais ça sert à rien. Franchement, il vaut bien mieux planter des choux. Ou casser des cailloux. Ou chercher des poux. Ou chasser les hiboux. Ou démonter des joujoux. Ou fabriquer des bijoux. Ou se laver les genoux... Ou bien, encore, planter des clous...
Dans les années 60, Claude François (oui, le même que pour “Alexandrie” et “Le lundi au soleil”...) chantait “Si j’avais un marteau”... Et bien moi j’ai un marteau, mais c’est à peine si je sais planter un clou...
Quelle misère... Ça sert à rien un poète. Et si demain, comme je le prévois, c’est encore le Déluge, j’aurai du mal à construire mon Arche, et pas même une petite barque pour sauver my family et mes amis. Non, nothing. Aucune idée de comment il faut s’y prendre. Toutes ces années de vie, et toujours incapable de bricoler le moindre petit bout de planche... Quelle honte...
Ah, parler, écrire, oui, ça, je sais faire... J’en ai dans ma besace des mots et des images... J’en ai des jolies tirades, bien métaphorico-symbolico-signifiantes... dont je sais même pas si elles m’appartiennent tellement j’en ai lu, de la poésie et autres balivernes... Ah, ils sont beaux, les poètes, avec tous les mots inutiles qu’ils ont fourgués dans ma cervelle pour en faire une vraie boite à citations ! Certains jours je préfèrerais avoir hérité d’une vraie boite à outils, avec tout ce qu’il faut dedans : les tournevis, les vis et les écrous, les chevilles, le mètre ruban et le niveau à bulle... ! Oui, j’en ai plein le teston, de ces jolies formules même pas toujours magiques, de ces poèmes en vrac ! Tiens, celui-là, par exemple, par un dénommé Gil Jouannard, qui se croit malin en écrivant :
Une planche, un clou,
Souvenir flou de la montagne
Qui porta l'arbre, qui couva le minerai.
On est bien avancé, avec ça ! C’est pas demain qu’elle sera finie, ma barque, avec de tels modes d’emploi ! Et même si je demande de l’aide à Yves Bonnefoy, qui pourtant, en matière de planches, devrait s’y connaître puisque son principal recueil est intitulé “Les planches courbes”. On pourrait penser qu’il s’agit d’un manuel de menuiserie. Pensez-donc ! Que de la poésie encore, et de la costaude... Pas de la roupie de sansonnet. Tenez, jugez vous-même, juste un petit bout :
Je suis couché au plus creux d’une barque
Le front, les yeux contre ses planches courbes
Où j’écoute cogner le bas du fleuve.
Feignant ! Tu ferais mieux de te retrousser les manches, de prendre un marteau, et de venir taper avec moi ! Avec de telles planches, il ira pas loin mon bateau...
Et quand je me promène au pays des haïkus, l’une de mes balades favorites, je trouve aussi de curieux bricoleurs. Hosaï par exemple, qui écrit :
Dans la boite à clous
Tous les clous
Sont tordus
Ben alors, comment qu’on va faire ? C’est malin...
Et puis j’ai des bouts de chansons, aussi, dans ma caboche. Celles de ce Souchon, grand dégingandé notoire, qui n’est pas non plus un ouvrier très efficace.
“Putain ça penche / On voit le vide à travers les planches”
On sait pas trop ce qu’il veut dire, le zozio... mais tout de même c’est vrai que ça tangue pas mal en ce moment. Putain, ça va pas très bien... Il a pas tout à fait tort... On est embarqués sur un drôle de navire. Ou on traverse un pont suspendu plutôt délabré... On voit l’abîme... C’est pas rassurant tout ça... Finalement, ces quelques mots, ça suffit à me faire quelque chose. Rien de bien utile pour le Déluge, mais je sais au moins que je suis pas le seul à trouver que ça tangue sévère... Oui, c’est vrai, peut-être que tous nos clous sont tordus, que nos planches ne sont pas très solides ... Alors qu’est-ce qu’on fait en attendant le Déluge ? On lit de la poésie ? On vit poétiquement ? La poésie c’est peut-être aussi enfoncer des clous... mais ces clous, ce sont des mots... A chacun son bricolage...
C’est d’ailleurs ce que j’ai cru comprendre chez un certain Guillevic, qui n’est pas ébéniste :
J'ai vu le menuisier
Tirer parti du bois.
J'ai vu le menuisier
Comparer plusieurs planches.
J'ai vu le menuisier
Caresser la plus belle.
J'ai vu le menuisier
Approcher le rabot.
J'ai vu le menuisier
Donner la juste forme.
Tu chantais, menuisier,
En assemblant l'armoire.
Je garde ton image
Avec l'odeur du bois.
Moi, j'assemble des mots
Et c'est un peu pareil.
Pas pareil, mais un peu pareil...
En fait, pour me rassurer un peu, dans ces moments de doute absolu, je ressors habituellement une citation (une de plus !) du philosophe Jankélévitch, sentence pour moi relativement définitive et qui pourrait clôre le sujet : « On peut vivre après tout sans musique, sans poésie, sans amour et sans art. On peut vivre, mais pas si bien ». On peut, mais pas si bien...
Oui mais, tout de même... même les meilleurs poètes de notre époque continuent de s’interroger sur l’intérêt des mots et leur part de lâcheté, autre problème récurrent... Ecoutons Philippe Jaccottet :
Parler est facile, et tracer des mots sur la page,
en règle générale, est risquer peu de chose :
un ouvrage de dentellière, calfeutré,
paisible (on a pu même demander
à la bougie une clarté plus douce, plus trompeuse),
tous les mots sont écrits de la même encre,
« fleur » et « peur » par exemple sont presque pareils,
et j’aurai beau répéter « sang » du haut en bas
de la page, elle n’en sera pas tachée,
ni moi blessé.
Bon, voilà que ressurgit aussi dare dare mon sentiment de culpabilité (pour changer...). Heureusement, en même temps que le texte de Jaccottet, j’ai retrouvé ce sonnet d’Alain Bosquet intitulé précisément “Défense du poète” :
Ecrire son poème, est-ce une trahison,
comme devant la mise à mort d'un innocent
on détourne les yeux ? Aligner quelques mots
qui lâchent le réel pour un gramme d'azur,
est-ce dresser un paravent contre le monde
affolé dans son bain, parmi l'écume noire ?
Traiter sa fable favorite en libellule
par-dessus la rivière, est-ce oublier le pain
qui manque à l'homme ? Remplacer le vrai printemps
par un printemps verbal aux toucans invisibles
qui sont peut-être un peu de feu, est-ce insulter
notre nature ? Aimer une voyelle blanche
comme on aime sa fille, est-ce être dédaigneux
de notre amour universel, qui nous saccage ?
On comprend pas tout... Le poème tangue, lui aussi. Mais j’aime bien ce roulis là, ce balancement des mots, ces vagues de sens... Je suis bien content d’avoir trouvé cet avocat. Même s’il ne fait que poser des questions, on sent bien que son poème est en soi une réponse... Aligner quelques mots / qui lâchent le réel pour un gramme d'azur... De quoi on serait coupable ? Tout de même, c’est pas une maladie honteuse ! comme le dit Jean-Michel Maulpoix (1), qui fabrique lui aussi à sa façon quelques planches plus ou moins solides et dit de la poésie :
On y entend l’effort de la créature pour s’orienter dans son propre inconnu.
Et maintenant, qu’est-ce que je fais avec tout ça, tourmenté par cette inutilité et convaincu de cette nécessité ? Ecartelé entre accessoire et essentiel, entre écrire et agir... Mal barré... Heureusement, je continue de sentir (et même plus qu’avant encore !) l’effet qu’ils me font, ces mots... Dans ma vie même, dans ma vraie vie. Je suis pas un albatros baudelairien. Je garde les pieds sur terre, la tête sur les épaules, les yeux pas dans ma poche, et les mains non plus...
Beaucoup de choses m’échappent, me fuient, et le temps aussi, mais les mots restent. Têtus. Enfoncés dans ma tête, dans mon corps, dans mon cœur. Et puis je sais, de source sûre ! (quelle belle expression gionesque !), je sais de quoi ils sont capables, je sais comment ils peuvent enchanter notre réel, et même notre quotidien,lui donner des couleurs, du relief, sans le trahir pourtant. Oui, je sais, je vous assure, de source sûre...
Quelle est cette source ? J’vous dirai pas... En Provence on dit pas où sont les sources : vieux réflexe paysan... C’est mon secret. Et puis de toute façon, en fait, je sais plus très bien où elle est, cette source. Je saurais pas expliquer. Je sais seulement qu’elle coule. Et que ce ruisseau m’est infiniment précieux, qu’il m’abreuve littéralement, et que j’aime y plonger mon visage et mes idées, y laver mes mains et mes actes, y tremper mes pieds nus et mes soucis... Des mots, encore des mots, et pourtant et pourtant... Si vous saviez...
Leurre ou illusion, et alors ? Si j’ai envie de faire le trouvère qui trouve, le troubadour qui badine ! Et si je pense que ces mots m’aident à construire ma vie, faute de fabriquer un radeau ? Ça n’empêche pas de me taper sur les doigts avec le marteau en essayant de bricoler tout de même quelques vraies planches. Je suis très loin d’être un pur esprit...
Ainsi, pardonnez-moi si vous le pouvez, mais je crois que je vais tout de même, malgré l’eau qui monte et le monde qui se noie, continuer à enfoncer mes clous un peu particuliers, fidèle à l’ivre verbal que je suis devenu ... Ou plutôt à enfoncer un clou, le seul que j’ai, le seul qu’on m’a donné, plus ou moins tordu : ma vie. Et si ce clou permet d’assembler quelques planches à l’usage de mes frères humains, tant mieux. Sans trop peser, sans trop stationner, qu’ils passent sur ces planches, au-dessus de l’abîme, pour aller plus loin dans le vaste espace de leur propre vie. Cela, alors, n’aura pas été inutile...
“Aligner quelques mots / Qui lâchent le réel pour un gramme d’azur”... Ça sert à rien la poésie, mais c’est bien joli...
Yves Gerbal, tracteur qui fait pouet pouet...
(1) Lire ce magnifique texte de JB Maulpoix en cliquant sur :
http://www.maulpoix.net/honteuse.html
La chanson de Souchon “Putain ça penche” se trouve dans l’album “La vie Théodore”
Voir ici : http://www.amazon.fr/Vie-Theodore-Alain-Souchon/dp/B000A7SBDG/ref=sr_1_5?ie=UTF8&s=music&qid=1237247675&sr=8-5
Les haïkus de Hosai sont publiés aux éditions Moundarren
Voir ici : http://www.moundarren.com/poesiejaponaise/
pour mieux connaître Eugène Guillevic (1907-1997) : http://fr.wikipedia.org/wiki/Eug%C3%A8ne_Guillevic
Bousquet : http://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_Bosquet
Jaccottet : http://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Jaccottet
Mais le mieux est de lire leurs textes...
Valery est notamment cité par Lucchini dans son (génial) spectacle “Le point sur Robert” maintenant disponible en DVD. Voir ici :
http://www.amazon.fr/point-sur-Robert-Fabrice-Luchini/dp/B001E08TFS/ref=sr_1_1?ie=UTF8&s=dvd&qid=1238334976&sr=8-1
00:31 Publié dans Humeurs, Tr@cts | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Bonjour, j'ai lu, je voulais m'étonner de ne plus t'apercevoir entre aix et marseille, cordialement, alain paire
Écrit par : alain Paire | 16 juillet 2009
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