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04 novembre 2015

Chez Musset

Le patron de Chez Picone , la célèbre pizzeria de la Canebière, ne verra jamais le Lorenzaccio mis en scène par Catherine Marnas : il travaille à l’heure du spectacle. Et puis de toute façon je l’ai entendu dire à deux clientes, apprenant qu’elles allaient au Gymnase : « Lorenzaccio ? C’est chiant ». Je suppose donc qu’il restera quoi qu’il arrive, campé sur ses préjugés, près de son four à bois plutôt que de se risquer à voir et entendre cette version de la célèbre pièce de Musset. Je le plains. Il ne connaîtra jamais ce genre de plaisir artistique et d’émotion esthétique que l’on ressent devant un grand moment de théâtre. Et ici, quel moment ! Quelle réussite !

La relecture et le remontage des dialogues resserre le texte et densifie l’action dramatique sans jamais trahir l’original. Huit comédiens seulement en scène ! C’est une prouesse, mais jamais au détriment de l’essentiel, c’est à dire l’intensité du drame individuel et collectif que représente la pitoyable histoire du sublime Lorenzo.

Catherine Marnas a tout compris. Son texte d’intention le laissait présager. Sa mise en scène le confirme. On pouvait redouter les écueils d’une contemporanéité qui aime jouer avec les corps nus et l’ambiance sex drugs and rock and roll parce que le théâtre actuel aime bien se donner des airs de débauché. On y a droit, en effet, sauf qu’ici c’est bien une histoire de débauche et de dérive, celle du pur Lorenzo qui se sacrifie en vain en voulant libérer le peuple d’un tyran. Le meurtre accompli ne suffit pas. Rien ne change. Le vice colle à la peau. Les idéalistes sont lâches. Les réalistes sont opportunistes. « J’ai vu les hommes tels qu’ils sont » dit Lorenzo, qui méprise le grand bavardage de ces « hommes sans bras». La modernité festive, ses excès, ses musiques et ses lumières, ses transgressions hédonistes, ses addictions, constituent donc bien le décor idéal pour cette histoire sombre où rien, finalement, ne semble pouvoir sauver une humanité confrontée toujours à ses mêmes démons.

Il y a dans cette « adaptation » de la pièce par Catherine Marnas des moments d’une incroyable puissance émotionnelle. Musset, bien sûr, y est pour beaucoup. Ses mots s’inscrivent dans notre époque d’une très troublante manière. Le grand pivot de la scène, le dialogue central entre Lorenzo le désabusé et Philippe Strozzi l’intellectuel, est un pur joyau pour lequel il faut féliciter Vincent Dissez et Franck Manzoni (qui par ailleurs assure trois autres rôles !). Les autres comédiens sont tous remarquables dont la troublante marquise Cibo (Bénédicte Simon) et le cynique Cardinal, incarnation du pur politicien venimeux, joué ici par Frédéric Constant. Quant au Duc, que l’on a coutume d’imaginer plus imposant physiquement, c’est un subtil et fragile Julien Duval qui l’incarne au plein sens du terme.

Si vous n’avez jamais vu Lorenzaccio, n’ayez aucun préjugé et courez au Gymnase. Si vous avez déjà vu d’autres mises en scène, courez aussi : celle-ci fera date par son intelligence et sa justesse.

Avant le spectacle, allez manger une pizza chez Picone : elles sont absolument délicieuses. Profitez-en pour dire au patron à quel point ce Lorenzaccio, ce n’est pas « chiant » du tout : c’est au contraire fascinant. Et tant pis pour lui s’il ne veut pas vous croire. Chez Musset, on se régale aussi.                     

Yves Gerbal

Lorenzaccio, mise en scène Catherine Marnas, théâtre du Gymnase, Marseille.

Mercredi 4 novembre à 19h.

5-6 novembre à 20h30.

Samedi 7 à 17h.

Tel : 08 2013 2013.

01:38 Publié dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0)

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