10 octobre 2014
Fable
Le bobo et le prolo
Le bobo ayant parlé,
Pendant des années,
Se trouva fort dépourvu
Quand la guerre fut venue :
Pas un seul petit morceau
De phrase ou quelques bons mots,
Pas même un trait d’esprit
Ou habile plaisanterie
Pour parer au plus pressé.
Plus moyen de se planquer
Derrière de belles idées,
Même à Saint-Germain des Près.
Il alla chercher de l’aide
Chez le prolo qui n’était plus son voisin,
Depuis longtemps,
Le priant de le protéger
Contre les sauvages
Qui avaient envahi la cité,
Et contre les barbares
Qui n’allaient pas tarder.
« Je vous paierai, disait-il,
J’ai les moyens,
Et au mois d’août je vous inviterai
Dans ma maison en Provence
Où souffle le mistral
Et chantent les cigales.
Je vous le promets, c’est normal,
Je suis de gauche moi aussi,
Nous sommes donc amis. »
Le prolo n’est pas idiot :
Il a de la mémoire.
« Que faisiez-vous en temps de paix ?
Dit-il à ce rigolo.
_ Je causais,
Je décidais ce qu’il fallait penser.
Je nommais les gentils, les méchants,
Qu’ils soient petits ou qu’ils soient grands,
Personne n’échappait
A ma fureur de juger.
J’étais content et sûr de moi,
Sans souci de fin de mois.
Du fond de mon canapé,
Dans ma tanière des beaux quartiers,
Je m’offusquais d’une soi-disant insécurité.
Je défendais les faibles, surtout les étrangers,
Faisant bien sûr l’éloge de toutes les mixités
(Après avoir mis mes enfants dans le privé
Car faut tout de même pas déconner).
Je relativisais
Quand cela m’arrangeait,
Et si j’étais gêné
Par la réalité,
Il suffisait d’un geste
Pour retourner ma veste,
Toujours du bon côté.
Causeur professionnel
J’occupais les médias
Autant que je pouvais.
Je pérorais, je bien-pensais.
Je fustigeais les mots « identité, autorité »,
Je répétais « amalgames, stigmatisations »,
Et j’aimais bien aussi « nauséabond »
Pour dispenser à foison
Les brevets de mauvaises opinions.
J’avais pour compagnons
Le gentil Aymeric Caron
Et le brave Jean-Luc Mélanchon.
Je signais plein de pétitions,
Ne loupais aucune manifestation.
J’étais généreux dans mes idées
Mais je gardais un œil avisé
Sur mon porte-monnaie,
Pour partir voyager,
M’ébahir devant la diversité
De notre joli monde,
De notre terre ronde.
Bref, nuit et jour, à tout venant,
Je parlais. Cela vous déplaît ?
_ Vous parliez ? Ça me fait une belle jambe,
Mais je vous en remercie,
Parce que je reste poli.
Vous parliez ? Tout a empiré.
Vous parliez ? Je ne vous écoute plus
Depuis belle lurette, heureusement.
Vous parliez ?
Eh bien, dégagez maintenant !
Ou agissez, rapidement… »
YG
10 octobre 2014
18:51 | Lien permanent | Commentaires (0)